Les couleurs et le savoir-faire s'entremêlent dans la salle de réception du Hilton Faaa... Sept stands de sculpture-gravure, quatre en bijouterie traditionnelle, trois en vannerie et trois en tissu offrent aux nombreux visiteurs une vitrine sur l'artisanat traditionnel Polynésien. Pour ce troisième salon des jeunes artisans créateurs organisé par le service de l'Artisanat, le thème "réinventer la tradition" s'impose à nouveau.
Comme d'habitude, les matières naturelles sont à l'honneur au salon : le pae'ore, le ni'au, ou encore la nacre. Rien de nouveau à première vue ; Mais quand on s'approche d'un peu plus près, on remarque la finesse des créations, le mélange des textures, et des choix plus audacieux, notamment sur les oeuvres en concours, pour lesquelles le public peut aussi voter cette année.
Interprétations
Dans l'univers de la sculpture-gravure, Warren Huhira a choisi de donner au 'u'u -autrefois taillé dans du bois de fer, mesurant environ 20 mètres et utilisé pour se battre- une fonction différente. Le 'u'u de Warren prend la forme d'un stylo. C'est sa nouvelle arme pour protéger et transmettre son patrimoine marquisien : "j'ai réduit sa forme et sa fonction -aujourd'hui, c'est l'écriture. Si avant, on se battait avec des armes comme les 'u'u, aujourd'hui on doit se battre avec intelligence, avec la tête et le coeur pour pouvoir préserver notre culture, protéger notre peuple et transmettre les valeurs culturelles" défend le sculpteur de 24 ans.
Keanu Hikutini, sculpteur de 22 ans qui nous vient également des Marquises, a choisi de travailler le bois de litchi pour son ukulele, rarement utilisé dans la fabrication d'instruments musicaux du fait de sa rigidité. Mais il a relevé le défi : "ma pièce concours est expérimentale. Le caisson est fait en litchi, un bois trop rigide pour la lutherie" détaille Keanu.
Spécialisé dans la lutherie mais aussi passionné de musique, Keanu s'inspire des deux arts pour créer des instruments à la fois originaux et intéressants d'un point de vue musical. "Cela me plait beaucoup de pouvoir créer mes propres instruments. J'ai un avis assez critique aussi dessus, parce-que je ne fais pas que pour l'objet esthétique, je le fais aussi pour la qualité sonore" pose-t-il.
Dans l'univers de la bijouterie traditionnelle, les jeunes artisans apportent aussi leur touche de modernité. Orama Nigou, presque une habituée des salons, participe pour la première fois à celui-ci. La jeune femme a jeté son dévolu sur la plume. Jadis très utilisée et associée aux dieux, la plume revient sur le devant de la scène à travers les créations d'Orama. "Dans nos légendes, c'est un matériau énormément utilisé mais on n'a pas fait perdurer le savoir-faire technique autour de ce matériau contrairement à la vannerie, la sculpture ou la gravure" précise la jeune, originaire de Raiatea.
De son côté, Temana Itchner se distingue par son oeuvre originale toute en inox qui fait transparaitre sa vision du monde moderne : industriel, gris et bétonné.
"Qu'est-ce qui nous entoure aujourd'hui ? Du béton et du fer. Du coup, on s'est dit : on va utiliser de la pierre et de l'inox pour symboliser cela. La nacre vient sublimer le tout. On a cassé les codes. C'est un parti pris pour la thématique du concours" explique Hanaiti Mariassouce, la compagne de l'artiste.
Dans l'univers de la vannerie, Anaïs Lissant mixe plusieurs savoir-faires pour créer ses sacs. Le tressage se mêle au tifaifai et à la sculpture. "À chaque fois, tu vois la même chose aux salons. J'ai voulu créer tout ce qui est en patchwork et montrer tout ce qu'on pouvait faire sur un panier avec ce qu'on a avec la nature" décrit Anaïs. En bonus, elle utilise l'écorce de fe'i, une matière extrêmement délicate à travailler.
Le patchwork est très présent dans l'univers du tissu, et notamment dans le tifaifai. Poerava Chapman propose une couverture avec des motifs en tressage, qui symbolisent la tradition, mais à l'envers, comme une touche de modernité. "En retournant le patchwork, je suis tombée amoureuse de l'envers et j'avais envie de montrer ça aux gens" nous dit Poerava, dans la couture depuis peu.
Une démarche artistique qui demande du temps, beaucoup de temps...Rava Ray, couturière expérimentée le confirme. Une seule couverture peut prendre des semaines voire des mois à confectionner.
Cette dernière fait partie des quatre parrains et marraines sélectionnés pour l'événement et propose de son côté des tifaifai en relief, dans un style plus hawaiien donc, avec des patrons ou des tutoriels vidéos.
Si la tradition reste encore très présente dans l'artisanat d'aujourd'hui, chacun y met du sien pour ancrer son art dans le présent..."cela va de pair ! Bien sûr qu'il y a le savoir-faire ancestral, et cette transmission intergénérationnelle est merveilleuse. Mais le fait qu'ils soient tournés vers l'avenir permet de faire évoluer le secteur car une culture qui n'évolue pas est une culture qui se meurt", conclut Vanessa Cunéo, responsable du pôle développement et communication du service de l'artisanat traditionnel.