Tehea Fichaux combat les clichés comme les déchets

Tehea Fichaux, dit Mamie Propre.
Tehea Fichaux, aussi appelée Mamie Propre, c’est la dame aux cheveux courts que vous croisez souvent au bord de la route, en train de ramasser les pehu, début Paea. D’abord critiquée puis félicitée, rien ne l’a freiné. Elle nettoie inlassablement les rues de sa commune. Rencontre.

Tout a commencé il y a trois ans. Au cours de sa marche quotidienne, elle voit une énième bouteille en plastique traîner par terre, devant le portail d’une maison. Le lendemain, la bouteille est toujours là. Trois jours après, personne ne l’a encore ramassée, “ni les gens qui habitent dans la maison, ni ceux d’à côté. Ça ne gêne personne”. Consternée, Tehea finit par ramasser cette bouteille et la jeter dans une poubelle un peu plus loin… Pas plus de cinq minutes pour effectuer le geste, qui est pourtant négligé par de nombreuses personnes, au grand regret de la retraitée. C’est ce jour-là qu’elle a eu le déclic.

Désormais, elle effectue son parcours de marche en débarrassant tous les déchets qu’elle croise au passage. Les bénévoles de Mama Natura, une association qui milite pour l’environnement, l’ont remarqué lors de l'événement “Paea to’u oire ma” : la commune est plutôt propre… Les gestes, même minimes, de chaque habitant pèsent sur la balance. Et c’est pour le rappeler, que Tehea se livre aujourd’hui.

On me traitait de sale farāni

Lorsqu’elle a commencé, elle s’est heurtée à de nombreuses critiques racistes : “‘Ah mais regarde cette popaa qui vient nous donner des leçons. Elle n’a qu’à retourner chez elle, ramasser ses pehu chez elle et laisser les ta’ata Tahiti tranquille !’ Je répondais en disant que je ne suis pas popa’a, c’est mon Pays ! Ça me concerne, j’aime ce Pays. Ou alors on disait ‘c’est une popaa qui fait ça alors que ça devrait être les Tahitiens !’ Ça m'énerve.” Mi-polynésienne, mi-chti, Tehea a longtemps souffert de cette double identité. “Le racisme, je l’ai senti, étant demie. Quand j’étais en France on me traitait d’exotique, quand j’étais ici, on me traitait de sale farāni. Je ne savais jamais comment m’identifier.” 

En action, comme tous les jours.

Mais elle a continué, pas pour les autres, mais pour elle et son fenua. Et aujourd’hui, les automobilistes s’arrêtent pour la féliciter et l’encourager. “Ça me va droit au cœur. Tout ce que j’espère, c’est que les gens ne jettent pas leurs pehu en pleine nature.

L’amour de la nature en héritage

Tehea est née en Polynésie et a grandi à Bora-Bora avec sa grand-mère fa'a'amu. Elle est partie vivre un temps en métropole, avant de revenir définitivement au fenua il y a vingt ans. Après une carrière d’infirmière en psychiatrie, elle prend soin de la nature dès qu’elle le peut. “Je le fais pour mon pays, pour la nature. Quand mes enfants étaient petits, je leur interdisais de jeter par la fenêtre. Ils ont gardé cette habitude. Si les petites voient les parents jeter par la fenêtre, ils vont faire pareil… Ma grand-mère m’a éduquée comme ça” raconte-t-elle, en partageant quelques anecdotes d’antan.

Avant, il y avait des tīfaifai dans toutes les maisons et il n’y avait pas autant de grillages, les gens voulaient que ça soit propre. Maintenant, avec les murs, on se soucie moins de ce qu’il y a de l’autre côté, tant qu’on ne le voit pas…” Mais Tehea, elle, s’en soucie, consciente de l’héritage qu’elle laisse à ses deux enfants et son mo'otua