La lumière se tamise dans le petit théâtre de la maison de la culture…au centre de la scène, un tabouret et un homme, seul, vêtu de noir. Sur le sol, du ruban adhésif blanc forme un petit rectangle de quelques mètres carrés, la même superficie que la cellule d’isolement où Jean-Marc Mahy a passé plusieurs années. Ce dernier interprète sa propre histoire, son “lui” de 17 ans, emprisonné en 1984. Il ne sortira qu’en 2003. Près de 20 ans passées derrière les barreaux, essayant de garder la tête haute. Il s’en sert désormais pour sensibiliser.
Quelques années après sa remise en liberté, le belge troque sa tenue de prisonnier contre celle de comédien, finalement convaincu par un metteur en scène intéressé par son profil. Qui de mieux pour parler de détention, qu’un ex-détenu ? Isolement, gardiens violents, tentatives de suicide nous sont contés au travers d’un regard troublant, de gestes agités, de paroles et de cris…l'atmosphère confinée, détresse et solitude totales, s’invitent dans la salle de spectacle.
Public conquis ou dubitatif... Émotion garantie
Seul en scène, Jean-Marc Mahy parvient à captiver les spectateurs, pour une immersion dans sa cellule de l’enfer où il trouve refuge dans la lecture et s’accroche au moindre espoir pour rester debout. “Malgré tout le malheur, il y a cet aspect positif où la prison a permis au personnage de prendre le temps de réfléchir à qui il est…ce qu’on n’a jamais le temps de faire dehors, on vit à cent à l’heure !” commente l’avocat Thibaud Millet, dans le public, charmé par cette “ambivalence” après plus de deux heures de spectacle.
Pour Lydia Vahimarae, chargée de mission à la Fondation Agir Contre l'Exclusion (FACE), “c’est la découverte de ce qui se passe réellement en détention. On a reconnu quelques attitudes qu’on a vues chez nos jeunes. Comme la parole, la communication, le fait que tout soit noir etc.”. Mais son coéquipier, Christian Chee Ayee, perçoit la pièce de théâtre autrement...il y voit plutôt un système judiciaire inadapté qui rappelle les problématiques de la Polynésie. À l’image du personnage de Jean-Marc, qui ne comprenait pas un mot d’allemand qu’on lui adressait en prison, “beaucoup de jeunes détenus polynésiens ont un langage à eux. Parfois ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit au tribunal par exemple. Le système actuel est Français” déplore Christian, qui accompagne des groupes d'adolescents en marge de la société depuis un an et demi.
Quid de la Polynésie ?
Que faire, ou ne pas faire, quelle méthode adopter, quelles mesures mettre en place pour favoriser la réinsertion des détenus en Polynésie ? Quelle réponse et politique pénale pour éviter la récidive ? Le spectacle soulève à nouveau toutes ces questions…car en Polynésie, où violences intrafamiliales et ice sont au coeur des affaires judiciaires, les structures manquent cruellement et sont loin d'être exemplaires. En 2020, Nuutania a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme pour conditions indignes de détention, malgré l’ouverture de Tatutu en 2017.
Un débat s’est ouvert après le spectacle entre Tumata Helme déléguée du procureur et active dans l’association polyvalente d’actions socio-judiciaires de Polynésie française (APAJ), Thomas Pison, procureur général de la Polynésie, Agathe Sorin, adjointe au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Faa'a, Sophie Nicolas, directrice adjointe du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), Fatima Pote, zoothérapeute, et Thibaud Millet, avocat. Les problématiques de la langue et de la culture sont à nouveau évoquées, “nous veillons à recruter des agents bilingues pour casser la barrière de la langue”, a tenu à souligner Tumata Helme.
Un paramètre essentiel pour recréer le dialogue…au même titre que la justice restaurative qui consiste en un échange entre les victimes et les auteurs d’infraction, pour tenter de soigner les blessures profondes. Ce concept, créé au Canada, est en place depuis 2014 en métropole mais la Polynésie est toujours en phase de démarrage. Depuis 2018, seulement trois tentatives de médiation ont eu lieu...