Ils sont faciles à voir! Ces 8 magnifiques panneaux colorés, qui ornent désormais la nef du CHPF de Taaone! Au-dessus de cet espace emblématique, transformé, on se souvient, lors de la pandémie de Covid en une gigantesque salle commune pour palier le manque de lits. Et c'est pour une autre épidémie qu'aujourd'hui ces grands panneaux de tissus cousus à la manière de nos Tifaifai, nos patchworks, sont suspendus afins que tous puissent y lire et découvrir des termes forts en Reo Ma'ohi. Mamū = Pohe soit le Silence = la Mort, Aore Tapu soit Il n'y a pas de Tabu (interdit), ou encore 'Ite 'ore = Ri'ari'a soit Ignorance = Peur. Ces 8 panneaux sont en fait un assemblage de panneaux plus petits. 64 d'entre eux forment ainsi les grands "tifaifai" accrochés dans la nef, et les volontaires de l'association ont aussi déplié au sol, 32 autres panneaux de formats plus petits, lesquels, tous ensemble symbolisent les 96 personnes décédées entre 1987 et 2022.
"C'était important de venir ici où les patients séopositifs sont suivis, et le dernier décès date du mois d'avril et c'est un jeune homme de 30 ans. C'est aussi en solidarité à ces familles, en hommage à ces personnes décédées du Sida" nous confie Karel Luciani président des associations Agir contre le Sida et Cousins-Cousines de Tahiti.
Cette année le thème de la journée de sensibilisation est la lutte contre la stigmatisation. "Cette stigmatisation n'aide pas le patient, ces patients vont avoir honte, ils vont avoir peur, vont avoir honte de de témoigner ou tout simplement se confier à un ami, ou à de la famille, et donc le mal-être, la souffrance vont faire qu'il ne suivra plus le traitement, et c'est la catastrophe et on décède du Sida." poursuit Karel Luciani, qui confirme que même si aujourd'hui on peut vivre grâce à la trithérapie, on meurt surtout de la stigmatisation qui règne autour de la maladie.
Les panneaux ont été réalisés en grande partie par un artiste polynésien, connu au Fenua comme à l'international: Alexander Lee.
"Ce qui est important dans l'art c'est de donner une visibilité aux choses, donc le fait de faire des tifaifai pour ces 96 personnes qui sont mortes de l'infection depuis 1987, c'était important de les avoir, parce qu'on oublie les morts, on oublie ces esprits"
Alexander Lee, artiste
Pour lui: "Ce qui est important dans l'art c'est de donner une visibilité aux choses, donc le fait de faire des tifaifai pour ces 96 personnes qui sont mortes de l'infection depuis 1987, c'était important de les avoir, parce qu'on oublie les morts, on oublie ces esprits, d'autant plus que la stigmatisation de l'infection fait que ces personnes sont anonymes. On a peur, on a honte d'en parler, et il ne faut pas les oublier! (...) Il ne faut pas qu'elles soient mortes pour rien ces personnes. (...) L'infection n'est pas liée seulement aux LGBTQ+ mais ça touche tout le monde! (...) Donc déjà le fait d'être sensibilisé (...) et il y'a maintenant des thérapies qui aident à vivre avec ces infections. (...) C'était important pour nous de le "polynésianiser" et justement de dire que ce n'est pas seulement une maladie d'ailleurs (...) et qu'il faut aussi sensibiliser à travers les mots, les concepts, la poésie des mots et de la langue aussi! On a utilisé aussi par exemple Mamu = Pohe, qui est traduit du slogan de Act Up des années 80 (...) pour parler de la maladie et pour revendiquer aupèrs des autorités sanitaires et gouvernementales des soins, de l'aide, la dé-stigmatisation et surtout une concertation au niveau des infections"
"Il y'a des jeunes personnes qui décèdent, et avec les problèmes d'aujourd'hui il y'a de plus en plus de personnes qui s'adonnent à la prostitution!"
Karel Luciani président de Agir contre le Sida en Polynésie
3 autres polynésiens sont depuis 2022 décédées des suites de la maladie, portant leur nombre à 99. Des personnes de moins de 30 ans, ce qui pour Karel Luciani est un signal d'alarme à ne pas prendre à la légère. Car les membres de l'association font un constat: les jeunes de moins de 30 ans sont de moins en moins sensibilisées aux risques des maladies sexuellement transmissibles.
"Il y'a un constat, Cette année c'est un homme de 30 ans, l'an dernier c'était un étudiant de 24-25 ans,, et une jeune fille de 32 ans, il y'a deux ans c'était un personne de 21 ans, donc il y'a un problème au niveau de la jeunesse. Ce sont souvent des patients que l'on découvre au stade SIDA, ça veut dire que pendant 7 ans ils étaient porteurs, et ils ont pu contaminer des personnes avec qui ils ont eu des rapports sexuels. ça peut sembler peu avec les chiffres, 100 personnes décédées, 150 personnes malades, mais ce sont des souffrances! Il y'a des jeunes personnes qui décèdent, et avec les problèmes d'aujourd'hui il y'a de plus en plus de personnes qui s'adonnent à la prostitution!" continue Karel Luciani
Autre intervenante ce matin à parler des problèmes rencontrés par les malades séopositifs, Maire Bopp Dupont, qui a été longtemps présidente au niveau du pacifique de la fondation "Pacific Islands AIDS" et qui oeuvrait déjà pour la promotion de la prévention et de l'information pour lutter contre la stigmatisation des patients atteints par le VIH et aussi lutter aussi contre les discriminations et l'isolation. Son combat aujourd'hui est de sensibiliser aussi à propos de la vie "après l'hôpital".
"C'est vivre au jour le jour. La prise des médicaments, les réactions par rapport aux prises de médicaments (...) face à ces douleurs, ces allergies, (...) ces maux peuvent être des situations très lourdes à porter pour des personnes qui se retrouvent seules après l'hôpital. (...) La vie aussi, une fois qu'on a remonté la pente du stade sida et qu'il faut réaborder la vie, la société dehors elle n'a pas changé, c'est toujours la même, ce que l'on attend de toi, ce que tu dois fournir, comment tu dois être. Tous les impératifs de la vie ne changent pas. Il faut pouvoir se refamiliariser et se réapproprier, en sachant qu'on a quand même une petite différence, et une grande fragilité aussi. Donc là aussi il y'a un accompagnement qui est nécéssaire, sans quoi c'est quasiment impossible!"confirme t'elle
Elle a d'ailleurs interpellé le tout nouveau ministre de la santé Cédric Mercadal présent pour l'occasion, afin que le gouvernement, les associations, et les représentants du monde médical et de la santé puissent se retrouver autour d'une table et discuter ouvertement de la prise en charge des malades du VIH et du SIDA.
"Il était prévu que je reçoive les associations individuellement, mais en effet une table ronde au sujet de la prise en charge des patients au cours de leur vie est fondamentale et avec les nouveaux traitements et tout ce qui peut exister, il faut remettre à plat les choses, parce que tout à évolué, et on devra travailler en commun pour faire avancer les choses" admet le ministre de la santé.
En attendant que ces mots soient suivis d'actes concrets, les panenaux sont à voir au CHPF jusqu'au 5 juin prochain.