Hyperactif, Rémuel Leroy semble toujours occupé. Dans son champ, en cuisine, au volant de son camion ou encore sur son stand au marché de Ducos. " Je descends tous les jeudis pour mettre les ignames au bateau le vendredi pour les îles. Puis, le vendredi après-midi, il faut éplucher les légumes pour préparer les poches épluchées pour le samedi matin. " Un dynamisme qui ne date pas d’hier. " J’ai 37 ans et je travaille la terre depuis 24 ans. Je plante des ignames, et depuis 2006, je les vends. Avant, je le faisais pour moi, par passion. " Rémuel Leroy, que tout le monde appelle Baloo, a donc les mains dans la terre depuis le collège. " Au début, je cultivais un petit champ derrière la maison avec de la salade, des haricots, un peu de manioc et des bananes... J’ai toujours aimé travailler la terre." Son père, employé à la mine, fait aussi un peu d’agriculture, pour compléter les fins de mois. " Mais lui était plus dans la culture de la pastèque et du maïs. J’aimais, mais ça ne m’intéressait pas vraiment. C’est la culture de l’igname qui m’a vraiment plu et c’est devenu une passion de conserver les différentes variétés. Puis je suis passé au manioc, patates, taros, bananes, choux kanak… Aujourd’hui, je cultive et je conserve toutes les variétés locales en Nouvelle-Calédonie. "
De la découverte de la symbolique de l’igname
Rémuel Leroy grandit à Koumac. Il est issu d’une famille très métissée. " Je suis Caldoche-Kanak, mais j’ai beaucoup d’ethnies différentes : de l’Italien, de l’Anglais, j’ai même appris récemment qu’on avait même une grand-mère africaine. " Le premier Leroy arrivé sur le territoire était son arrière-arrière-grand-père. " Il s’est marié avec la fille du grand chef de Pouébo. Dans ma généalogie, il y a aussi du Young du côté Caldoche, puis il y a, du côté Kanak, du Paama et du Oumando," Baloo est élevé dans la culture Broussarde, "la chasse, la pêche, la cuisine à base de cerf ou de cochon sauvage, et on ne faisait pas la coutume bien entendu ". Il ne connaît alors pas encore toute sa famille. " Quand j’étais petit, c’était un peu compliqué à cause des Événements. Ça va mieux aujourd’hui, mais il y a encore des tabous, des choses difficiles à raconter. " C’est en allant voir une de ses grand-mères, à Balade, qu’il découvre la culture de l’igname. Puis au contact d’un de ses oncles, qu’il découvre la symbolique de ce tubercule. Aujourd’hui, Rémuel Leroy vend des ignames pour la consommation, pour replanter, et pour la coutume, tout en continuant ses recherches généalogiques. Après son bac obtenu au lycée agricole de Pouembout, il travaille à mi-temps comme surveillant au collège de Koumac, avant de se lancer comme agriculteur. De là, il devient collectionneur et se lance alors dans une quête : préserver le maximum de variétés d’ignames. Aujourd’hui, il prend soin de près de 160 variétés. " La question, aujourd’hui, est de savoir si je dois planter plus. J’aimerais. Mais je suis, comme beaucoup d’agriculteurs, confronté à un problème de terres. Je voudrais acheter pour m’agrandir, il y a des terrains à vendre, mais malheureusement, les prix ne sont pas abordables. "
À la mise en valeur de nouvelles variétés
Passionné, donc, l’agriculteur met du cœur à l'ouvrage et passe du temps dans son champ. " Planter, c’est simple, mais si tu n’entretiens pas bien ta parcelle, la récolte ne sera pas la même. Plus tu vas donner de ton temps à ce que tu plantes, plus la récolte sera bonne. " Des 80 plants que ses grands-parents lui ont offert pour se lancer à Balade en 1998, il en possède désormais 35 000. " Cette année, je suis à peu près à 15 tonnes d’ignames vendues, et il me reste encore entre 4 000 et 5 000 pieds à arracher. " À chaque récolte, l’agriculteur s’attache à vérifier chaque igname qui sort de son champ, afin de détecter la moindre mutation génétique. " Un vieux de Maré m’a dit que quand c’est comme ça, c’est que tu t’occupes tellement bien des ignames que la terre te donne des nouvelles variétés en échange. J’en suis à un peu plus d’une dizaine de mutation en 24 ans. " Et pour ce travail, Rémuel Leroy peut compter sur sa famille. " Sur la propriété familiale, à Karembé, on est onze à vivre à la maison. On vit et on travaille tous ensemble. On a été habitués à vivre en famille, on a toujours été nombreux à la maison. Être tous seul, c’est bizarre pour moi. J’aime quand on est beaucoup, quand ça fait du bruit. Je n’aime pas trop les gens qui restent assis à rien faire ", rigole l’agriculteur. Et comme la famille et le partage comptent plus que tout pour lui, Rémuel Leroy est attaché à la transmission de son savoir et de ses variétés. " J’adore ce que je fais avec les ignames, je me dis que plus tard, ce sera pour mes enfants et pour les générations qui viendront après. C’est devenu quelque chose d’important, je ne saurais pas le décrire. Quelque chose de sacré, que je respecte beaucoup, que je n’ai pas connu quand j’étais jeune. J’ai appris à le découvrir et j’essaie de le transmettre aujourd’hui. "