Quatre-vingts chercheurs préparent un "atlas critique" de la Guyane

Une carte de Trois Sauts, portant les toponymes en langues amérindiennes (Parc amazonien de Guyane)
Qu’est-ce que les cartes géographiques ne disent pas ? Comment sont-elles conçues ? Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs s’est lancée dans la création d’un "atlas critique" de la Guyane, une première. La publication est prévue pour septembre, aux éditions du CNRS.
C'est en découvrant un livre récent (publié en 2016) sur les noms de lieux, la toponymie, que le géographe Matthieu Noucher a été frappé par le peu d’informations qu’il contenait sur la Guyane. Un cas qui est loin d'être isolé.
Les travaux du Parc amazonien par exemple, visant à intégrer les noms en langues autochtones sur les nouvelles cartes, ne sont pas assez pris en compte, estime-t-il, par les instances nationales, en charges des cartes officielles (publication ici).

Matthieu Noucher, géographe (chargé de recherche au CNRS, laboratoire Passages)

"Dans leur imaginaire, ils nous disent attention ces toponymies en Teko ou en Wayapi, si on les intègre, ça va donner des toponymes qui ne vont pas être en Français et du coup, ça risque peut-être dans les années à venir, de susciter des conflits frontaliers"


Le chercheur rappelle qu'au début du XXe siècle, "il y a eu un arbitrage pour établir la frontière actuelle entre la Guyane et le Brésil. Et du côté brésilien, c'est notamment le baron de Rio Branco qui - comme argument - a apporté non pas des éléments de géographie physique mais des cartes avec des toponymes pour montrer une présence humaine, présence traduite par des toponymes qui justifiaient à ses yeux que le Brésil occupe cet espace". Aujourd'hui, ces enjeux se déroulent dans un monde où les cartes se multiplient, notamment sur le web. 
« Google adopte la présentation algorythmique, c'est-à-dire qu'en fonction du profil qu'il identifie derrière l'utilisateur, il va proposer des cartes différentes, explique le géographe, et notamment, il va proposer des tracés différents des frontières. Donc si je consulte Google depuis le Suriname, ou depuis la Guyane, ou depuis les Etats-Unis, ou depuis le Japon, je ne vais pas forcément avoir les mêmes toponymes et je ne vais pas forcément avoir les mêmes tracés de frontière. Vous voyez qu’on est dans une situation dans laquelle il y a - pourrait-on dire - une espèce de brouillage des cartes ».
 

Une instance régionale pour définir les noms de lieux


Les géographes et les spécialistes du Parc amazonien peuvent en partie se tourner vers les plateformes communautaires pour pallier le problème des noms de lieux. L'une de ces plateformes compte quelques membres actifs en Guyane. En parallèle, la commission de la toponymie de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) s’est dite favorable à ce qu'une instance régionale prenne en charge la question des noms autochtones à inscrire sur les cartes. Si un consensus local est trouvé, elle est prête à revoir ses positions, précise Matthieu Noucher. Interrogés par Guyane La 1ère, via la Commission nationale de la toponymie (qui dépend du Conseil national de l'information géographique), les experts de l'IGN font savoir qu'ils ne peuvent répondre "pour des raisons techniques et administratives dues aux conditions actuelles de travail".

C’est pour illustrer toutes ces difficultés liées à la conception des cartes qu’un "atlas critique" de la Guyane sera publié en septembre prochain, aux éditions du CNRS.

Matthieu Noucher, géographe (chargé de recherche au CNRS, laboratoire Passages)

"L’idée, ce n'est pas de dire que ces cartes sont fausses, c’est simplement de montrer dans quelles conditions elles ont été produites, quels étaient les objectifs des auteurs, pourquoi elles ont été produites comme ça et à quelle époque elles ont été produites. Et face à ces cartes dominantes, eh bien on va montrer tout un tas d’autres cartes alternatives des mêmes phénomènes."


80 auteurs participent à cette publication, qui comportera pas moins de 400 illustrations. Douze thèmes ont été retenus, dont la toponymie. Cet atlas aborde aussi le cas du littoral, la question de l'orpaillage ou encore des migrations, avec pour fil conducteur la volonté d'expliquer comment "un certain nombre de cartes dominantes, qui font autorité, alimentent des idées reçues sur la Guyane".