A réécouter en PODCAST - Les entretiens de MANU : " Les Afriques Cobayes, 40 ans du développement du sous-développement " de Martine CAMACHO

Nous vous proposons de réécouter à volonté, en Podcast, l' émission " Les entretiens de Manu ". Emmanuel TUSEVO DIASAMVU a interviewé, à Paris, Martine CAMACHO, auteure du livre :   Les  Afriques Cobayes, 40 ans de développement du sous- développement.
Cliquez sur les liens ci-dessous pour écouter cette émission diffusée précédemment en 2 parties sur les antennes de la radio Mayotte la 1 ère.

1ère partie : Le 20 octobre 2018

2ème partie : Le 27 octobre 2018

ECOUTEZ :

https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/emissions-radio/entretiens-manu

 

A LIRE AUSSI :

Nous vous proposons également la présentation écrite, par l'auteure Martine CAMACHO, de son ouvrage.
Site : www.martinecamacho.com

« Les Afriques cobayes » par Martine CAMACHO


Provocation ou constat le sous titre du livre « Les Afriques cobayes » à savoir « 40 ans de développement du sous développement » ? L’ouvrage pose en fait un regard critique sur le défilé du prêt à porter des modes du développement qui , depuis quasiment un demi - siècle, plaque des modèles importés sur le continent africain avec la volonté de le faire entrer dans le marché planétaire hâtivement assimilé au progrès avec un grand P.
 

Les diverses faces du développement


Au début, il y eut les grands projets, les grands périmètres de production agro-sylvo-pastoraux, les remembrements des terres et le désir de faire entrer le paysan africain dans un système productiviste et individualiste. Il s’agissait, comme une mission civilisatrice, d’extraire la paysannerie de ses modes de productions jugés archaïques et de l’introduire dans la supposée modernité. Devant la faillite du modèle, on lui substitua, avec le même engouement, l’approche de la coopérativisation puis du « small is beautiful ». Là où l’on avait, à grand peine, extirpé le paysan de ses solidarités familiales et de ses pratiques d’entraide communautaires dans l’espoir d’en faire un entrepreneur, un paysan pilote dynamique, on enjoignit désormais au même paysan, déboussolé, de se regrouper avec ses voisins, en coopératives et autres groupements. Un moyen de faire face aux coûts des intrants, de l’acquisition des matériels, et aux difficultés de la commercialisation. Puis on se mit à vénérer les micros -réalisations, les petits projets intégrés, la gestion de terroir. Du grand devenu méchant on était passé au petit est gentil. Vint ensuite la grande mode de la participation qui allait tout résoudre, on s’aperçut enfin que la femme est l’avenir de l’Homme et l’on ne jura plus que par le concept de Femme et Développement et ce fut l’enthousiasme pour les projets Genre. ON, ce sont tous les développeurs patentés des institutions de coopération bi-, mais surtout multilatérale, qui jouent les apprentis sorciers avec le continent noir depuis des décennies. Le Système des Nations Unies tient une place de choix dans ce grand dessein de développement.
 

Le défilé du prêt à porter du développement : effets de mode


Dans « Les Afriques cobayes » j’essaie de décrire de l’intérieur, je l’espère avec humour, les mœurs, les rites, les fantasmes, les incohérences, les contradictions, les pesanteurs de cette Onusie qui occupe une place prééminente dans l’ensemble du dispositif visant à introduire l’Afrique dans l’économie mondialisée, tout en habillant cet objectif d’un discours moralisateur sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, la lutte contre les maladies et autres fléaux endémiques. Les institutions de Brettons Wood, autrement dit le couple infernal FMI / Banque Mondiale, sont également mises sur la
sellette et sous la loupe. Elles sont passées de la méthode dure des Plans d’Ajustements Structurels dévastateurs, les PAS des années 80-90 - qui ont réussi à faire disparaître, là où elles avaient pu voir le jour, les classes moyennes locales - aux méthodes « pommades douces » des filets sociaux et des récents projets de « cash transfert » et « cash for work ». L’Onusie et les « grands types » comme on dit sur les trottoirs abidjanais, de Brettons Wood, sont comme les deux faces opposées mais complémentaires des cartes à jouer. La première a pour vocation d’adoucir les conséquences des remèdes et potions amères des seconds. A chacun son rôle mais pour quel développement et avec quel efficacité ?


Le mal développement n' est pas que l' affaire des autres


Le développement, ses échecs, ses dérives, ce n’est évidemment pas que l’affaire des développeurs : toute une classe politique africaine porte une responsabilité dans ce grand «n’importe quoi » auquel nous sommes parvenus. Pour les avoir vécu directement, je parle de l’expérience malgache, de la crise socio-politico-militaire ivoirienne et je m’’interroge sur la capacité de résilience de tous ces vieux chevaux de retour d’hommes politiques que les peuples vont rechercher, réélire, alors qu’ils ont sacrifié leur pays pour au moins une génération. Comme les Ratsiraka, Kérékou et ceux qui organisent avec talent leur succession monarchique.

Et encore, comment parler de développement sans parler du fléau du SIDA, devenu fonds de commerce à la fois pour les boutiques spécialisées onusiennes mais aussi pour les politiciens locaux et les ONG innombrables vivant de la manne du Fonds Mondial et des diverses fondations privées. Comment parler aussi de développement sans parler de cette moitié de l’Afrique que sont les femmes. Malgré des projets à foison les prenant pour bénéficiaires, elles ont dans leur écrasante majorité bien du mal à secouer le carcan des traditions ancestrales, à faire respecter des droits qu’elles n’imaginent souvent même pas. Elles créent des richesses qui ne sont pas comptabilisées, elles font vivre des millions de familles et pourtant seule une minorité parvient à s’extirper de l’esclavage domestique, des pratiques traditionnelles néfastes et tout simplement de l’état de soumission dans lequel elles baignent dans le foyer comme dans la communauté.

Ce livre, « les Afriques cobayes » est un grand bazar où foisonnent les questions, où s’entrechoquent, s’emmêlent les thématiques qui toutes influent sur le développement. Ce n’est pas une thèse, ce n’est pas une démonstration rationnelle, c’est comme le miroir de cette Afrique complexe dont je préfère qu’elle soit sujet d’étude et non l’objet auquel on l’a si longtemps réduite. C’est un patchwork de réflexions, d’observations, de constats, de vécu, qui ne prétend aucunement apporter de réponses standards. Cela, c’est ce que l’on a fait depuis tant d’années. Ce n’est pas non plus une vision pessimiste du continent, bien au contraire. Malgré un demi -siècle d’interventions qui se sont voulues en faveur du développement, un développement « made in occident », l’Afrique est toujours debout. Elle a résisté à toutes les expériences, qui l’ont prise pour laboratoire. Et elle avance en dépit de tout.


De l'afropessimisme à l' afroptimisme


Comme sur le reste de la planète, la dernière décennie a été celle de l’accélération des changements : les positifs comme les négatifs. C’est sur l’inventaire rapide et non exhaustif de ces bouleversements que se referme le livre. D’un coté, la montée de l’intégrisme dans toute la bande sahélienne qui menace à terme l’équilibre de l’ensemble de la région ouest et centre africaine. De l’autre coté, le regain de croissance du continent dont les taux rendent jaloux les professeurs d’hier. D’un coté, l’avènement irréversible de la femme sur la scène économique, sociale et politique, même si le mouvement n’a pas encore touché la majorité des femmes rurales, de l’autre les conflits et autres rébellions à répétition, nourris des appétits divers autour des richesses minières ou pétrolières en Afrique Centrale. D’un coté, l’extraordinaire explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui a permis de passer directement de l’analphabétisme et de la tradition orale au portable et à Internet pour les plus jeunes, de l’autre la fâcheuse tendance des dirigeants à tripatouiller leur Constitution ou à organiser leur succession monarchique pour conserver le pouvoir. Et pour finir, inévitable, l’entrée de la Chine sur les marchés africains délaissés par les pays occidentaux en crise, en particulier ceux de la vieille Europe. Une Chine qui a compris les besoins des populations et sait produire les biens qu’elles sont en mesure de se procurer. Une Chine qui, selon une stratégie intelligente, aide au développement des infrastructures et prend la place laissée vide par les « tuteurs » d’hier. Pour son plus grand profit. Toutefois les Afriques ne sont pas dupes. Elles choisissent désormais leurs partenaires et avancent à leur rythme. Tranquillement mais sûrement. Et si le continent réussit à s’affranchir des menaces intégristes et des démons de la division, il risque bien de surprendre les grands développeurs qui ont tant voulu le modeler à leur image. Il faut juste lui en laisser le temps ! Et alors j’espère que mes enfants ou petits enfants pourront aller entendre, dans le crépuscule vaporeux enveloppant les flots impétueux du Niger, les génies du fleuve, échanger leurs secrets avec les pères fondateurs qui ont fécondé cette belle terre d’Afrique. Une conversation qui se perdra dans le rire tonitruant et les jurons de Kourouma.

AUTRE LIVRE DE MARTINE CAMACHO