En 2020, 311 900 personnes, soit 35,6% des Réunionnais, vivaient en-dessous du seuil métropolitain de pauvreté monétaire, fixé à 1 130 euros par mois et par unité de consommation. Un chiffre qui fait partie de ceux publiés ce mardi 24 janvier 2023 par l'Institut national des études et statistiques économiques (INSEE) Réunion, dans le cadre de son étude sur le niveau de vie et la pauvreté à La Réunion en 2020.
Un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu’il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian métropolitain (soit 60% de 1 880 euros par mois en 2020).
Définition du seuil de pauvreté monétaire
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
Une pauvreté bien plus marquée à La Réunion qu'en métropole
Pour comparaison, en métropole, ce sont 13,9% de la population qui vivent sous ce seuil de pauvreté. En Martinique également, les chiffres sont plus favorables, avec 27% de pauvreté. La faute au déficit d'emploi qui reste important sur l'île : seulement 48% personnes en âge de travailler ont un emploi, contre 65% en métropole.
Ainsi, le niveau de vie médian mensuel, par unité de consommation, s'élevait à La Réunion à 1 380 euros en 2020.
"Ce constat correspond à ce qu'on voit sur le terrain", confirme Mathieu Hoarau, directeur de la fondation Abbé Pierre Réunion. "On voit que La Réunion est un des départements de France qui a le plus fort taux de pauvreté. Une personne seule qui gagne moins de 1 100 euros par mois vit sous le seuil de pauvreté. Et parmi ces plus pauvres, 10% gagne moins de 700 euros par mois", déplore-t-il.
Des chiffres qui continuent de s'améliorer
Malgré tout, ces chiffres sont synonymes d'une amélioration du niveau de vie, malgré la crise sanitaire qui a débuté cette année-là. Le taux de pauvreté monétaire à La Réunion a baissé de 11 points entre 2007 et 2020, dont -5 points depuis 2015.
Mathieu Hoarau pour sa part, nuance cette amélioration par ce qu'il constate au quotidien sur le terrain.
"C'est un territoire structurellement marqué par la précarité, où quand on est pauvre on a moins de ressources qu'en Hexagone, et où malgré cette tendance à la baisse ces 13 dernières années, depuis 2020 on observe une augmentation du nombre de personnes qu'on accueille qui sont à la rue ou isolées, une augmentation du nombre des demandes au 115, une saturation des nuitées, une augmentation des demandes de logements sociaux... Tous les indicateurs sont vraiment préoccupants."
Mathieu Hoarau, directeur de la fondation Abbé Pierre Réunion
Des revenus malgré tout impactés par le Covid
Si le niveau de vie a réussi à ne pas trop souffrir du Covid, c'est en partie en raison d'un emploi qui est resté dynamique grâce aux mesures publiques (activité partielle, fonds de solidarité aux entreprises, aide exceptionnelle aux ménages modestes...), selon l'Insee. Il faut aussi noter que les périodes de confinement, en 2020, ont été moins longues à La Réunion qu'en métropole. Enfin, poursuit l'Insee, les créations d'emploi ont continué d'augmenter, tout comme le nombre de bénéficiaires de la prime d'activité.
Cela ne veut pas dire pour autant que les Réunionnais ont amélioré leurs conditions de vie cette année 2020. Le confinement, de mars à mai, a par exemple provoqué une hausse des dépenses puisque les familles avec enfants ont du trouver des solutions face à la fermeture des écoles, en ayant recours à de la garde d'enfants ou en réduisant leur temps de travail, et donc leurs revenus malgré des dispositifs d'aide mis en place.
Aussi, exit les "petits boulots" au noir, qui ont disparu pendant le confinement, ou les emplois d'appoint pour les étudiants dans une économie ralentie.
Avoir un emploi n'empêche pas la pauvreté
Même si "avoir un emploi constitue la meilleure protection contre la pauvreté persistante", cela ne fait pas tout face à la pauvreté, nuance l'Insee. 20% des ménages dont les salaires et revenus sont la principale ressource déclarée vivent tout de même sous le seuil de pauvreté en 2020, soit deux fois plus qu'en métropole.
En outre, les pauvres sont encore plus pauvres sur l'île que dans l'Hexagone, selon les chiffres de l'étude : "les 10 % les plus modestes disposent d’au plus 740 euros par mois et par unité de consommation contre 990 euros dans l’Hexagone. Quant aux 10 % les plus aisés, ils disposent de revenus plus proches de ceux de leurs homologues hexagonaux : au moins 3 040 euros mensuels par unité de consommation contre 3 330 euros".
Les inégalités persistent, même si elles tendent à s'atténuer au fil des années : en 2020, l'ensemble des revenus des 20% les plus riches est 5,2 fois plus important que l'ensemble des revenus des 20% les plus pauvres.
Les communes rurales sont les plus pauvres
Si on s'intéresse à la localisation de cette pauvreté à La Réunion, il saute aux yeux qu'elle est plus marquée non seulement dans les quartiers prioritaires, mais aussi dans les petites communes rurales où elle concerne quasiment une personne sur deux, comme à Salazie (53%), Sainte-Rose (50%), ou Cilaos (49%).
À l'inverse, les villes comme La Possession et les Avirons sont les moins concernées, avec respectivement 24 et 27% seulement de pauvreté. L'Insee enregistrait en 2020 un taux de pauvreté de 28% à l'Etang-Salé, de 30% à Saint-Paul et Sainte-Marie... Sur le chef-lieu, il est de 33%.
La pauvreté atténuée par les prestations sociales
Notons que ces chiffres seraient plus élevés de 14% sans la politique de redistribution des revenus à travers les prestations sociales comme les allocations familiales, logement, et minima sociaux, qui bénéficient fin 2020 à 170 300 Réunionnais. Par conséquent, l'Insee note aussi que les prestations sociales constituaient en 2020 18% du revenu disponible des ménages réunionnais. En métropole, cette proportion est trois fois moindre (6%). Au Port et à Salazie, ce poids des prestations sociales dans le revenu monte à 29 et à 28%.
Mais les pensions et retraites sont ici moins élevées : elles pèsent seulement pour 16% dans le revenu disponible des ménages. "Ceci s’explique par la jeunesse de la population conjuguée à un fort taux de chômage, le plus élevé de France en 2020 après Mayotte (17 %)", précise l'Insee.
Ces réponses, bien qu'elles atténuent les inégalités, "ne sont pas suffisantes", considère Mathieu Hoarau de la fondation Abbé Pierre. Lui estime qu'il "faudrait avoir une réelle gouvernance sur les politiques de lutte contre les exclusions avec une logique de transversalité entre les enjeux de l'emploi, de l'éducation, de la santé, du logement, de la mobilité, avec des objectifs de résultats".
"Ce qu'on demande de manière très concrète, c'est qu'il n'y ait plus personne qui soit contraint de vivre à la rue, de produire massivement et de manière qualitative des logements très sociaux, et encadrer et réguler les marchés de l'immobilier. Il y a aussi un enjeu de redistribution des richesses : l'abbé Pierre disait le contraire de la misère, ce n'est pas la richesse, c'est le partage."
Mathieu Hoarau, directeur de la fondation Abbé Pierre Réunion
Un niveau de vie moyen de 1 710 euros par mois
Ainsi, le niveau de vie moyen à La Réunion s'élevait à 1 710 euros par mois en 2020, décomposé comme suit : 1 240 euros de revenus d'activité, 270 euros de pensions, retraites et rentes, 300 euros de prestations sociales, 110 euros de revenus du patrimoine et autres revenus, auxquels on retranchait 220 euros d'impôts.
Mathieu Hoarau, directeur de la fondation Abbé Pierre à La Réunion, était sur le plateau de Réunion La 1ère. Regardez son interview :