Le projet de loi sur "l’aide à mourir" divise aussi à La Réunion

L'unité de soins palliatifs à la clinique Siante-Clotilde.
Emmanuel Macron, ouvre la voie à une "aide à mourir" avec un projet de loi qui sera examiné en mai à l’Assemblée. A La Réunion, le sujet divise. Certains soignants estiment qu’il faudrait plutôt développer les soins palliatifs. Pendant ce temps, des patients qui souffrent se renseignent pour partir dans d’autres pays qui pratiquent l’euthanasie ou le suicide assisté.

Les annonces d’Emmanuel Macron divise aussi à La Réunion. Dimanche dernier, le chef de l’Etat a ouvert la voie à une "aide à mourir" assortie de "conditions strictes". Ce projet de loi sera examiné en mai prochain à l’Assemblée Nationale.

Le Président de la République a expliqué que les patients concernés se verront prescrire un produit à s’administrer seul ou avec assistance. Il estime qu’avec ce texte, "on regarde la mort en face". 

Regardez le reportage de Réunion La 1ère :

Le projet de loi sur « l’aide à mourir" ne fait pas l’unanimité à La Réunion. Une nécessité pour les uns, une aberration pour les autres. Reportage

Quand un patient pense à l’aide à mourir

Atteint d’un cancer colorectal depuis 2016, un Réunionnais de 62 ans explique qu’un "patient peut changer d’avis". "Je me suis posé la question jusqu’à quel stade peut-on considérer que la vie vaut encore la peine d’être vécue ?, explique ce patient. Dans un contexte isolé sans soutien, on a une approche négative, alors qu’en étant entouré avec une bonne prise en charge, le positif reprend le dessus".

Payer pour partir à l'étranger

Jocelyne Lauret, déléguée régionale de l’association "Pour le Droit de Mourir dans la Dignité", reçoit régulièrement des appels "de personnes en fin de vie, qui souffrent et n’en peuvent plus". "Dernièrement, une dame de 35 ans, m’a dit : « ma vie aujourd’hui c’est souffrir ou dormir sous morphine »", raconte Jocelyne Lauret qui répond aussi aux patients qui se renseignent sur les pays qui pratiquent librement l’euthanasie ou le suicide assisté. Elle regrette la difficulté pour les patients réunionnais à pouvoir en bénéficier.

"Il faut déjà que la personne parte en France, ensuite en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg, explique Jocelyne Lauret. 

Dans ces cas-là, on veut être accompagné d’un proche, ça fait deux voyages à payer. Cela veut dire que seules les personnes qui ont les moyens pourront partir, donc il n’y pas d’égalité non plus sur cette question-là.

Jocelyne Lauret

La déléguée régionale de l’association milite depuis des années pour la liberté de choix des conditions de sa fin de vie. "A La Réunion, les gens cherchent des solutions, mais aujourd’hui la législation ne répond pas à la demande de ces personnes, constate-t-elle. La situation a évolué dans l’île". "Au début, les gens évoquaient la religion", raconte Jocelyne Lauret. Mais "après avoir assisté à des fins de vie difficiles pour des proches", elle remarque que les idées ont évolué.

Développer les soins palliatifs

La Réunion compte une unité de soins palliatifs à la clinique Sainte-Clotilde. Olivier Collard, le chef de service du centre n’est pas favorable à ce projet de loi sur une "aide à mourir". Selon lui, il faut surtout développer davantage la prise en charge des soins palliatifs en France.  

"Les gens qui demandent le droit à mourir le font car ils sont en souffrance, explique le docteur Collard. Si on les soulage, la pulsion de vie revient et ils ne demandent plus à mourir".

C’est la douleur, l’isolement, le fait de ne plus être inclus dans la société, qui pousse à demander à mourir. La souffrance est physique et psychologique.

Le Dr Collard

Ce médecin assure que "s’ils sont pris en charge, dans 9 cas sur 10, les patients ne demandent plus à mourir".

Manque de lit et de formation

En 1999, une loi a été adoptée pour reconnaître le droit à bénéficier de soins palliatifs "pour être soulagé en fin de vie". Elle organisait alors le développement d'unités de soins palliatifs. Sauf que depuis, "les moyens n’ont pas suivi", explique Olivier Collard, chef de Service du Centre de Soins Palliatifs à la Clinique Sainte-Clotilde.

"Si depuis 25 ans on avait formé les gens et ouvert des structures, on en serait pas là aujourd’hui pour un droit à mourir, parce que les gens ne peuvent pas être pris en charge", assure-t-il. A La Réunion, l’unité de soins palliatifs de la clinique Sainte-Clotilde compte douze lits. "Il en faudrait 20 ou 25, il faudrait aussi développer la formation des soignants, et le temps passer avec le patient", explique le docteur Collard.

"Des situations où on ne peut plus rien faire d’autre"

Chez les soignants, les avis divergent. Bruno Bourgeon, néphrologue, vice-président du comité d’éthique de La Réunion, partage en partie l'avis de son confrère. Mais selon lui, il ne faut pas empêcher ce projet de loi

"Je suis d’accord, j’acquièse, j’adhère, je signe, mais néanmois, il y a des situations ou les soins palliatifs sont dépassés, où les douleurs sont insupportables, où les cancers sont généralisés, où les douleurs sont physiques et morales, estime Bruno Bergeron. Dans ces situations, on ne peut plus rien faire d’autre que de provoquer un accompagnement jusqu’au soin ultime, c’est-à-dire jusqu’au décès".

Le projet de loi ouvrant une "aide à mourir" sous "conditions strictes" n'a pas fini de susciter le débat. Il sera présenté en avril en Conseil des ministres, pour une première lecture en mai à l'Assemblée.