Depuis ce 1er janvier 2025, sur arrêté préfectoral, les modalités de financement et d'attribution des contrats "Parcours emploi compétences" (PEC) ont été revues, au grand dam de plusieurs acteurs sociaux qui s'en inquiètent aujourd'hui.
Aujourd'hui, ces contrats aidés bénéficient notamment à des publics éloignés de l'emploi, des bénéficiaires du RSA, ainsi employés dans le secteur non-marchand, au sein d'associations ou dans le cadre de la lutte anti-vectorielle.
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Plus que 60% de financement de l'Etat
Le taux de prise en charge par l'Etat, précédemment fixé à 60%, a été revu à la baisse, soit à 53%. Le reste est financé, dans la plupart des cas, par des collectivités (Région, Département, mairies...). La durée des contrats elle, est passée de 11 à 10 mois, et la durée hebdomadaire fixée à 23,5 heures maximum au lieu de 26 précédemment.
Les premières à subir les conséquences de ces changements seront les associations, très inquiètes au lendemain de l'annonce de la publication de l'arrêté préfectoral.
20 contrats PEC dans la forêt du Tévelave
Depuis trois ans, l'Association Développement du Tévelave (ADT) travaille sur la forêt des Avirons, en y éliminant des espèces invasives, ou encore en y créant des sentiers. Depuis la fin novembre, le chantier habituellement investi par les 20 employés en contrats PEC de l'association, est délaissé. Les cannes fourragères ont repris le dessus. "Si on ne redémarre pas d'ici quelques jours, dans un mois ça sera recouvert d'espèces envahissantes", s'alarme James Fontaine, président de l'association.
Il est aujourd'hui préoccupé face aux nouvelles restrictions qui l'empêcheront sans doute de renouveler l'ensemble des contrats dont il bénéficiait l'an passé.
"Je lance un appel au préfet et aux politiques pour qu'on puisse continuer à faire ce genre de travail avec des contrats PEC. (...) On ne peut pas demander à chaque fois aux collectivités de puiser", considère James Fontaine, qui se réjouissait d'avoir pu, par le biais de ces chantiers, remettre des bénéficiaires de contrats PEC sur le chemin de l'emploi.
"Un tremplin"
Luidji Tantale lui, fait partie de ces jeunes employés en contrat PEC par l'association Développement du Tévelave. "C'était un bon système pou gayn un tremplin, na beaucoup de jeunes des Avirons la gayn un travay ici et de quoi débrouille a zot pendant un an. Si l'année prochaine i continue pas lé bien dommage", regrette-t-il.
Le jeune homme dit aussi être sorti grandi de cette expérience professionnelle, permise par ce contrat PEC au sein de l'association.
"Nou la plante des endémiques, nou la nettoyé, tire z'herbes, nou la déboisé, et nou la appris surtout. Ici en haut, ou fé pa que travay, ou enrichi a ou, ou gayn courage, parce que ou voit ou na un l'équipe derrière ou, ou lé pa tou seul. Ou apprenn manier débroussailleuse, la pioche, ou gagne reconnaître les bois endémiques et ce que néna devant ou ! C'est un bon système pou le bann moun qui aimerait travay. I aide a nou beaucoup".
Luidji Tantale, bénéficiaire de contrat PEC au sein de l'Association Développement du Tévelave
"Une opportunité de réinsertion qui disparaît"
Autre endroit, autre association, mais même discours. A Maison Rouge, sur les hauteurs de Saint-Louis, Emmanuel Coupama fait lui aussi part de son sentiment. "Si le PEC disparaît, c'est une opportunité de réinsertion professionnelle qui disparaît", regrette le président de l'Association Maison Rouge Développement quartier La Kour La Baryer.
La structure emploie 18 personnes pour l'embellissement du site, de la taille du gazon au ramassage des déchets verts. Depuis un mois, les contrats PEC de 2024 étant arrivés à leur terme, plus rien n'est fait ici.
2 à 3 contrats en moins
Précédemment, 112 000 euros avaient été votés pour le financement des 18 contrats PEC de l'association. "Avec la baisse, ça nous ferait un perte de 13 000 euros", évalue Mohamed Rouis, adhérent de l'association. Soit deux à trois contrats PEC en moins.
"On a une mission d'embellissement, mais aussi sanitaire parce qu'on lutte contre le chikungunya et la dengue. C'est une manière d'insérer des personnes coupées de l'emploi depuis de nombreuses années, de leur mettre le pied à l'étrier pour faire quelque chose qui a du sens".
Mohamed Rouis, membre de l'association Maison Rouge Développement La Kour La Baryer
"Catastrophique"
Jean-Bernard Maratchia, délégué économique et social à la Région Réunion, y voit une situation "catastrophique", soulignant qu'auparavant, l'Etat finançait 70% de ces contrats PEC, avant de passer à 60%.
"On voit bien qu'avec la saison des pluies, le retour du chikungunya, ne plus nettoyer les ravines et laisser les déchets verts traîner, ce sera catastrophique pour La Réunion. Quand on connaît le nombre de chômeurs à La Réunion, (...) il faut que l'Etat fasse un effort pour ces gens-là"
Jean-Bernard Maratchia, délégué économique et social à la Région Réunion
Levée de bouclier chez les élus
Ces dernières heures, plusieurs élus locaux ont levé le bouclier face à la décision de la préfecture. Tous réclament que l'arrêté soit reconsidéré, reprochant une décision prise sans concertation.
En début de semaine déjà, la Région Réunion s'inquiétait de la fragilisation de l'efficacité de ce "dispositif crucial pour l'insertion professionnelle et la cohésion sociale sur le territoire réunionnais".
D'autant que cette baisse de subventions allouées aux contrats PEC intervient dans un contexte de retour du chikungunya sur l'île, d'inflation et de précarité, mais aussi de "chômage endémique parmi les plus élevés de France" s'inquiète la collectivité régionale, qui l'an passé à financé 45 associations sur 59 chantiers, soit plus 700 contrats Parcours Emploi Compétences.
Les collectivités régionale et départementale inquiètes...
La Région a déjà interpellé le préfet Patrice Latron afin d'obtenir un maintien du taux de prise en charge à 60% en outre-mer, et la prolongation de la durée des contrats à 11 mois. Une rencontre doit avoir lieu avec le préfet le 15 janvier prochain.
"Sans ajustement rapide, cet arrêté menace des centaines de familles réunionnaises et compromet des projets vitaux pour le développement territorial"
Huguette Bello, présidente de la Région Réunion
A la tête du Conseil départemental, Cyrille Melchior dit lui aussi sa "vive inquiétude". Il craint des "conséquences négatives majeures" tant sur les familles des bénéficiaires de contrats PEC, "publics particulièrement vulnérables", que sur les finances des collectivités "déjà fragilisées et en proie aux incertitudes et au manque de stabilité qui prévaut à l'échelle nationale".
"Il est important que le taux appliqué antérieurement soit maintenu car toute diminution des financements met en péril la cohésion sociale et la réinsertion des personnes les plus éloignées du marché du travail."
Cyrille Melchior, président du Conseil départemental de La Réunion
...tout comme les députés
La décision du préfet est "scandaleuse", estime quant à lui le député Jean-Hugues Ratenon. Il juge incohérente cette baisse de subventions dans le contexte réunionnais. "Pour exemple les PEC plan ravine passent de 74% en 2020 à 60 en 2022 puis maintenant à 54% en 2025 alors que les cas de maladies vectorielles augmentent…Où est la cohérence ?", s'interroge-t-il. Tout en s'inquiétant des conséquences pour les bénéficiaires.
"Cette décision va aggraver encore plus la précarité et la pauvreté chez celles et ceux qui n’ont déjà pas grand-chose. Je demande au préfet de rectifier cet arrêté et de concerter avec les employeurs pour améliorer le dispositif."
Jean-Hugues Ratenon, député de La Réunion
Pour le député Philippe Naillet, cette "mauvaise surprise" ne passe pas non plus.
"Avec des indicateurs socio-économiques bien inférieurs à ceux de l’Hexagone (...) une telle décision est profondément injuste dans un contexte où, qui plus est, le sort de la mission Outre-mer dans le PLF 2025 reste suspendu et en danger. Les Réunionnaises et les Réunionnais n’ont pas à subir l’incurie budgétaire des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron. Je demande solennellement à l’Etat de revenir sur cette décision."
Philippe Naillet, député de La Réunion
...et les maires
Même inquiétude chez le maire de Saint-Benoît, Patrice Selly, qui estime cette décision "totalement déconnectée des réalités sociales et des difficultés quotidiennes de nombreuses familles réunionnaises".
"Ces contrats permettent également aux collectivités réunionnaises de pouvoir assumer leurs missions de service public de proximité. Ces contrats PEC sont de véritable coût de pouce pour une insertion professionnelle durable. Une telle mise en œuvre obligerait la commune de Saint-Benoît à réduire drastiquement ses futurs recrutements".
Patrice Selly, maire de Saint-Benoît
L'Association des maires de La Réunion (AMDR), présidée par Serge Hoareau, dit avoir sollicité également le préfet après avoir pris connaissance de ces "mesures qui ont été prises de manière aussi brutale qu'unilatérale".
"Il m'est également apparu important de lui préciser que nous ne demandons aucunement un effort supplémentaire à l’État mais simplement de prolonger le dispositif existant qui, faute d'être idéal, permet d'assurer le bon fonctionnement de nos collectivités et de permettre à des familles de vivre dignement de leur travail. Sur un territoire fragile et déjà soumis à de fortes contraintes, c'est un minimum dont nous ne pouvons faire l'économie."
Serge Hoareau, président de l'AMDR