Un convoi ministériel, des embouteillages, un déploiement énorme de gendarmes et de policiers… A première vue, cette visite d’Elisabeth Borne n’était pas faite pour améliorer le quotidien des Réunionnais jeudi 11 mai.
Pourtant, à son arrivée dans l’île, la Première ministre l’assure : elle vient pour "balayer tous les sujet de préoccupations", "apporter des réponses concrètes" et surtout "rencontrer les Réunionnais". Encore faut-il pouvoir l’approcher sans l’intervention de la sécurité de Matignon.
Eviter les casseroles dès l’arrivée
A peine sortie de l’aéroport, Elisabeth Borne est déjà attendue par une soixantaine d’opposants à la réforme des retraites, installés au rond-point de Gillot. Le convoi ministériel emprunte un axe secondaire et esquive une première casserolade.
Quelques minutes plus tard, dans le centre-ville de Saint-Denis, la Première ministre dépose une gerbe de fleurs au monument aux Morts et renonce à aller serrer des mains. Son service de presse avait prévu une "séquence de rencontre avec la population". Premier rendez-vous manqué.
Le bol d’air et les images "cartes postales" à Salazie
Loin de l’agitation du chef-lieu, Elisabeth Borne arrive tout sourire dans le "magnifique" cirque de Salazie, un "patrimoine exceptionnel", enclavé dans les montagnes. Un an après sa nomination, ce passage à Salazie prend des allures de bol d’air frais, pour une Première ministre qui sort de plusieurs mois de turbulences, à défendre la très controversée réforme des retraites.
Au pas de course, Elisabeth Borne inaugure la maison France Services et salue "le retour des services publics de proximité". Un peu plus loin, sur le site de la prise d'eau de la rivière-du-Mât, elle annonce le financement de l’Etat, à hauteur de 30 millions d’euros, du projet MEREN, "Mobilisation des ressources en eau des micro-régions Est et Nord". Porté par le Département, il vise à une meilleure gestion de l’eau.
Satisfaite d’assurer ici la continuité du plan "eau" d’Emmanuel Macron, Elisabeth Borne répond aux journalistes devant l’Eglise de Salazie. Le cadre est idéal pour son service de presse. "Chez nous soyez reine" : la petite phrase du fronton de l’Eglise ne passe pas inaperçue.
EHPAD, lycées, transports : quelques annonces
La Première ministre achève sa première journée dans l’île à Saint-Denis. Elle s’entretient avec le président du Département, Cyrille Melchior, puis la présidente de Région, Huguette Bello, avant de faire quelques annonces : 2 000 places supplémentaires en EHPAD, 60 millions d’euros de l’Etat pour financer deux lycées tournés vers la mer et le tourisme, ainsi qu’une aide au financement d’études sur les mobilités et les transports en commun à La Réunion.
L’Etat renouvelle aussi sa participation au prochain CCT, Contrat de Convergence et de Transformation 2024-2027, et poursuivra en 2024 le Plan d’investissement dans les compétences.
Toutes ces annonces sont faites au coucher du soleil depuis la terrasse de la Région. L’image est belle. Mais il manque les fameux "échanges avec la population"... Le rendez-vous est pris pour le lendemain matin. Elisabeth Borne a prévu de faire 200m à pieds à Saint-Pierre, pour visiter la grande braderie.
"La page n'est pas tournée !"
C’était sans compter sur une douzaine d’opposants à la réforme des retraites qui l’attendent de pied ferme devant la Maison de Projet de Saint-Pierre.
"La retraite à 60 ans, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder !", "La page n'est pas tournée !" : les slogans fusent. La Première ministre est huée. Rapidement, le petit groupe de manifestants est neutralisé par le service de sécurité de Matignon. Elisabeth Borne renonce à la grande braderie et remonte en voiture pour faire… 200 mètres.
"Taper sur des casseroles n’est pas très constructif"
Quelques minutes plus tard, dans le décor feutré de la mairie de Saint-Pierre, elle l’assure : "elle va continuer à aller à la rencontre des Réunionnais", et regrette cette contestation "très bruyante". La veille déjà, elle estimait que "taper sur des casseroles n’était pas très constructif".
La Première ministre en profite pour souligner qu’en venant à La Réunion, elle n’a pas "fait le choix de la facilité", rappelant au passage les résultats des extrêmes aux présidentielle et législatives. Marine Le Pen a largement devancé Emmanuel Macron au second tour et l’île ne compte aucun député de la majorité.
Visite "en misouk" à Saint-Joseph
Une heure plus tard, elle surprend tout le monde avec un passage surprise d’un quart d’heure sur le marché de Saint-Joseph. Echanges avec bazardiers et clients, achat de vinaigre aux fruits de la passion. De quoi agacer le maire de la commune, Patrick Lebreton qui dénonce une venue "en misouk".
"J’ai été mis devant le fait accompli à la toute dernière minute alors que je me trouvais à la région Réunion, à l’autre bout de l’île", écrit-il par communiqué. Cette attitude "va totalement à l’encontre de l’idée républicaine que je me fais d’une visite ministérielle, a fortiori d’une Première ministre".
"Ce n’était pas en catimini", lui répond Elisabeth Borne. "Le maire a été appelé par le préfet. Il se trouve que le préfet n’a pas eu de chance, il est tombé sur le répondeur", explique-t-elle plus tard dans la journée.
L’indignation de la presse locale
Ce stop surprise à Saint-Joseph indigne aussi la presse locale. Depuis 24 heures, des journalistes locaux sont tenus à l’écart de cette visite, contrairement aux journalistes nationaux autorisés à suivre de près la ministre. "Brimades, gestes de dédain, mises à l’écart" : dans un communiqué le SNJ Réunion, Syndicat National des Journalistes, dénonce ces "mauvais traitements des médias locaux".
Des aides à la rénovation de logements
Durant sa seconde journée à La Réunion, la Première ministre va distiller quelques annonces. Après avoir promis la veille, l’extension de l’aide fiscale Outre-mer pour accélérer la réhabilitation des logements sociaux, elle annonce l’augmentation de 35 à 50 % du taux de subvention pour la prise en charge par l’Agence Nationale de l’Habitat pour la rénovation des logements locatifs privés.
Elle promet l’ouverture prochaine Outre-mer de la prime Rénov’ pour aider à rénover les copropriétés, et la mise en place de la prime Adapt’ pour la rénovation et l’adaptation des logements anciens pour les personnes âgées.
Dix millions pour les fruits et légumes Outre-mer
A Sainte-Rose, Elisabeth Borne visite une exploitation de vanille en agroforesterie. Comme la veille, les annonces se font au coucher du soleil dans un cadre idyllique : dix millions d’euros à la filière fruits et légumes Outre-mer, pour aider les acteurs à faire face aux "surcoûts liés à la crise énergétique". Sur les problèmes phytosanitaires, elle vante le plan Ecophyto 2030 préparé par l’Etat.
Quatre nouvelles brigades de gendarmerie
En soirée, à Saint-Denis, lors d’une séquence fermée à de nombreux médias locaux, elle annoncera quatre nouvelles brigades de gendarmerie à La Réunion, dont trois dédiées à la lutte contre les violences conjugales.
Avec ses ministres au sommet du Maïdo
A 11 000 kilomètres de Paris, Elisabeth Borne veut donner l’image d’un gouvernement en action et d’une Première ministre qui maintient le cap. Pour cela, quoi de mieux pour son dernier jour, qu’une photo, entourée de ses quatre ministres, au sommet du Maïdo. L’Etat continuera à soutenir la lutte contre les incendies au Maïdo, dit-elle, avec l’envoi annuel du Dash, avion bombardier d’eau.
Depuis le cœur du parc national de La Réunion, elle soutient aussi le chef de l’Etat. La veille, Emmanuel Macron a surpris en appelant à cesser de produire de nouvelles normes environnementales en Europe. La Première ministre rassure : "il n’y a pas du tout de pause dans l’ambition climatique".
Emploi et formation
Son dernier jour de visite dans l’île est consacré à l’emploi, mais il n’y aura pas d’annonce. A l’agence Pôle Emploi de Trois Bassins, Elisabeth Borne écoute des bénéficiaires du RSA et lance l’expérimentation France Travail à La Réunion où le taux de chômage atteint 17%.
Avant son départ, elle inaugure les journées portes ouvertes du RSMA, le Régiment du Service Militaire Adapté. Une Marseillaise, une levée de drapeau, et un discours adressé aux jeunes : votre "choix à un sens, celui de l’engagement, du service, de la République et le symbole fort d’une jeunesse qui veut agir et être maître de son destin".
"Avancer"
A son retour à Paris, ce dimanche 14 mai, Elisabeth Borne est en Une du Journal du Dimanche. "Je veux continuer à relever les défis du pays", dit-elle dans cette interview à l’image des messages qu’elle a voulu faire passer durant ses trois jours à La Réunion.
"Avancer, c’est la seule chose qui m’importe", ajoute-t-elle, avec la volonté certaine d'être, elle aussi, "maître de son destin".