Enfants de la Creuse : une proposition de loi pour indemniser les victimes

Les enfants de la Creuse (photo d'archives)
Entre 1962 et 1984, plus de 2 000 petits Réunionnais ont quitté La Réunion pour l’Hexagone. Ils ont été arrachés à leur famille pour aller peupler des régions françaises. Ce sont à présent des hommes et des femmes traumatisés par ce déracinement forcé. En 2014, l’État reconnaît sa responsabilité morale, mais n’agit pas en faveur d’une indemnisation. Pour tenter d’y remédier, en février dernier, la députée Karine Lebon a déposé une proposition de loi.

Lutter contre l'oubli et rappeler les droits indéniables de l'enfant, notamment l'histoire des enfants de la Creuse : tels sont les principaux objectifs de la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-mer.

Leur appel a été entendu par Karine Lebon. La députée réunionnaise a pris le dossier à bras-le-corps. Elle porte leur voix devant le gouvernement en déposant une proposition de loi.

Une histoire douloureuse

Aujourd’hui encore, Marlène Ouledi traîne derrière elle ce passé lourd de tristesse et de douleurs. Cela fait neuf ans seulement qu’elle a appris qu’elle faisait partie des enfants dits de la Creuse. 

Pour rappel, entre 1962 et 1984, dans un rapport rendu par la Commission de recherche historique, le député Michel Debré trouvait l’île surpeuplée. C’est cet argument qui a justifié la déportation des enfants Réunionnais vers l'Hexagone. Un avenir "meilleur" leur était promis.

“Pour la plupart, on n’a pas de travail, on est au RSA, on est au chômage. On nous avait promis qu’on serait avocat, médecin ou professeur. Sauf que c’est complètement faux. C'est un mensonge. On a menti à nos parents. On a menti à tout le monde”, martèle Marlène Ouledi, le cœur gros. 

On a été des enfants volés, on ne nous a pas demandé notre avis. On était très jeune, ça nous laisse quand même un traumatisme très important en sachant tout ce qui s’est passé lorsque les enfants arrivaient dans l’Hexagone. La plupart étaient “embauchés” pour s’occuper des animaux et des champs. Ils ont été maltraités. Certains mangeaient dans la gamelle des cochons. Il y a eu des viols, il y a eu beaucoup de maltraitance. Ils n’étaient pas aidés, il n’y avait pas d’amour. Il n’y avait rien. Certains sont passés de foyers en foyers. Certains ont été lâchés comme ça dans la nature, il fallait qu’ils se débrouillent tout seuls.

Marlène Ouledi, enfant de la Creuse

Une proposition de loi déposée en février 2024

Désormais, Marlène Ouledi, comme tous les autres enfants de la Creuse, veulent des réparations. Cette victime a fait remonter le dossier à Karine Lebon. En février dernier, la députée a déposé une proposition de loi avec quatre volets. Pour elle, c’est nécessaire.

Les blessures d’enfance sont des blessures terribles et difficilement chiffrables. Il faut pourtant en parler. Il faut pouvoir arriver à s’entendre sur un montant, parce que sinon on ne fait rien. Et rien, c’est pire.

Karine Lebon, députée de La Réunion

Un texte transpartisan

Karine Lebon souhaite faire de cette proposition de loi, un texte transpartisan. Autrement dit, un texte qui soit défendu par les députés de tous bords politiques. 

Le premier volet, c’est de créer une commission vérité et réconciliation, qui est chargée de mettre en œuvre un cadre national de réconciliation sur les circonstances et les trajectoires de vie des enfants dits de la Creuse. La deuxième disposition est de fixer une date de commémoration nationale en hommage à ces enfants de la Creuse. C’est une date pour se souvenir qui serait fixée au 20 novembre, qui est aussi la journée internationale des droits de l’enfant. L’article 3, va instituer la création du bureau d’accueil de l’immigration dans le Département de la Creuse. Ce serait un lieu de recueillement et un pôle d’activité autour des questions migratoires. Aujourd’hui encore, la Creuse continue de recevoir des mineurs de Mayotte. L’article 4, ce serait l’attribution d’une aide sociale pour les êtres mineurs transportés en situation d’exclusion et qui en font la demande. C’est un fonds de solidarité qui sera sous la gestion du Conseil Départemental.

Karine Lebon, députée de La Réunion

Une indemnisation financière pour les victimes 

Après la reconnaissance des faits, la Fédération et la députée Karine Lebon réclament également une indemnisation financière. 

Emmanuel Macron l'a bien reconnu en novembre 2017. Il a écrit à la présidente de la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d’Outre-Mer. Et, il a affirmé que cette politique était loufoque. Il ne s’est rien passé d’autre, à part une plaque commémorative inaugurée en février 2022.

Karine Lebon, députée de La Réunion

Des excuses publiques 

Les victimes réclament notamment des excuses publiques, c'est le cas de Marlène Ouledi. 

Moi, j’attends que la République fasse des excuses publiques. Il faut qu’il y ait un endroit où on peut répertorier dans un livre ceux et celles qui le souhaitent, son histoire personnelle, de quelle manière ils ont été enlevés. Quand je parle de cette histoire, personne ne la connaît. Personne ne pense à la souffrance que nous, on a pu avoir et qu’on a toujours. Cette résilience qu’on voudrait faire et qu’on a beaucoup de mal à faire.

Marlène Ouledi, enfant de la Creuse

Quant à Karine Lebon, elle démarre un travail de lobbying pour présenter le texte en semaine de l’Assemblée nationale.