L'activation à distance du micro et de la caméra d'un smartphone dans le cadre d'enquêtes, une mesure qui divise à La Réunion

Dans le cadre de certaines enquêtes, nos téléphones deviendraient de véritables "mouchards".
Mercredi 7 juillet, le Sénat a examiné le projet de loi programmation et orientation de la justice. Une de ses mesures fait débat, jugée "liberticide" par certains : dans le cadre de la procédure pénale, les enquêteurs pourraient activer à distance, et à l'insu d'un suspect, le micro et la caméra de son smartphone.

Hier mercredi 7 juin dans la soirée, le Sénat a voté la très controversée disposition du projet de loi sur la justice, qui autorise le déclenchement de la caméra et du micro des smartphones à distance, dans le cadre de la procédure pénale dans certaines enquêtes, et sans le consentement des personnes visées. En somme, il s'agit de transformer ces objets devenus indispensables au quotidien en "mouchards". 

Regardez le reportage de Réunion La 1ère : 

La caméra et le micro du smartphone d'un suspect mis à contribution des enquêteurs ? C'est ce que prévoit une des mesures d'un projet de loi examiné par le Sénat mercredi.

Cet article 3 de la loi sur la programmation et l'orientation de la justice 2023-2027, porté par le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, était examiné en première lecture par les sénateurs.

Une géolocalisation en temps réel 

Au-delà de l'activation du micro et de la caméra pour les affaires de terrorisme, de délinquance et de criminalité organisées, la mesure prévoit aussi la géolocalisation en temps réel des personnes pour certaines infractions. Un amendement a été adopté pour limiter ce recours à la géolocalisation aux infractions punies d'au moins dix ans d'emprisonnement. Le texte initial prévoyait de l'appliquer aux infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement. 

Un gain d'efficacité, pour la police

Les avis sont plus que divisés en ce qui concerne cet article 3 du projet de loi. La police par exemple, y est très favorable et souhaite que cette mesure passe, car cet outil manquait à leur panoplie. "A l'heure actuelle, les seuls dispositifs qu'on a dans le cadre de nos procédures ce sont les écoutes téléphoniques, les balises qu'on pose sur les véhicules, et la pose de micros", témoigne Aude Robert, secrétaire départementale du syndicat Unité SGP Police. Soit des outils qui permettent déjà d'écouter et de suivre des individus, mais qui nécessitent d'être posés par un agent, en ce qui concerne les balises et micros. 

"Il nous faut ce nouveau dispositif pour nous permettre d'être efficaces. (...) Il est presque vital en termes de procédure"

Aude Robert, secrétaire départementale Unité SGP-Police

Un cadre insuffisant pour limiter les dérives ? 

Pour Aude Robert, le dispositif sera déclenché dans un cadre bien précis : sur instruction d'un juge des libertés et de la détention, uniquement pour des infractions bien spécifiques. 

Mais pour les avocats par exemple, ce cadre est bien loin d'être suffisant pour faire office de garde-fou, et cette atteinte flagrante aux libertés publiques est un prix cher à payer pour l'efficacité des enquêteurs.

"Même si aujourd'hui on dit que ce sera utilisé pour des crimes importants, rien n'empêche dans l'avenir de détourner la loi pour justement enregistrer à l'insu de quelqu'un sa vie privée", observe l'avocat Me Frédéric Hoarau.

"Même avec le contrôle d'un juge, rien ne garantit qu'il n'y aura ni abus ni détournement"

Me Frédéric Hoarau, avocat

La possibilité de capter les échanges entre un avocat et son client 

Me Laurent Payen, bâtonnier du barreau de Saint-Denis est lui aussi fermement opposé à cette activation des smartphones à l'insu de leur propriétaire. Surtout que la mesure prévoit aussi de permettre de capter les échanges entre un avocat et son client, mais sans possibilité de les retranscrire, ce qui mettrait tout de même en danger le secret de la profession. 

"Ce projet de texte permettrait d'activer la captation de paroles et d'images y compris à l'intérieur d'un cabinet d'avocat. L'avocat ne pourrait même pas le savoir puisqu'il serait interdit de le retranscrire dans la procédure, et ça c'est heureux. On est dans un monde où la liberté et sa protection régressent de jour en jour. Si les gens qui votent nos lois et sont les garants de notre démocratie vont dans ce sens, c'est extrêmement inquiétant. Ca pourrait tout à fait fou d'envisager ce type de mesures"

Me Laurent Payen, bâtonnier du barreau de Saint-Denis

Pour l'instant, le projet de loi a été examiné en première lecture au Sénat, mais il doit encore l'être par l'Assemblée nationale avant d'être adopté.