Meurtre de Shana : les facteurs de la violence chez les jeunes sont multiples, selon une pédopsychiatre

L'usine de Pierrefonds, théâtre du meurtre de Shana, 16 ans, par deux autres adolescents.
La mort de Shana, la jeune fille de 15 ans qui semble être tombée dans le piège macabre de deux autres adolescents, provoque une vive émotion. Sur toutes les lèvres la même question : comment deux individus aussi jeunes ont-ils pu être à l'origine de faits aussi atroces ?

Comment deux adolescents ont-il pu faire subir un tel calvaire, jusqu'à la mort, à une jeune fille du même âge qu'eux ? Hier jeudi, la fille de 14 ans et le garçon de 16 ans qui avaient été placés en garde à vue à Saint-Pierre ont admis avoir tué Shana. Reste à savoir les implications de chacun d'eux dans le meurtre. 

Quoi qu'il en soit, leur volonté de nuire interroge. Que s'est-il passé dans la tête des adolescents, pour arriver à un tel niveau de violence ? 

Pour le Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre à l'EPSMR (établissement public de santé mentale de La Réunion) et au sein de l'unité périnatale Bras-Panon, la violence de ces adolescents, comme celle d'autres impliqués dans des comportements violents, est due à un ensemble de choses. 

Le Dr Bouthier était l'invitée du journal de 12h30 sur Réunion La 1ère : 

Meurtre de Shana : invitée Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

Des adolescents "en grande souffrance"

A commencer par la situation socio-économique difficile, et donc la précarité, qui impacte de nombreuses familles qui ne peuvent alors fournir à leurs enfants les besoins de base que sont la nourriture, l'hygiène, l'affection... "Or ils ont besoin de ça pour se construire", souligne le Dr Aurélie Bouthier. 

"Ce sont des adolescents en grande souffrance eux aussi, qui ont sûrement vécu dans la violence au cours de leur enfance, ou l'ont côtoyée au quotidien, et ont sûrement manqué de la base : nourriture, hygiène et affection de la part de leur entourage. "

Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

Perte de repères éducatifs

La pédopsychiatre pointe aussi du doigt l'isolement de certaines familles, "de plus en plus seules et peu entourées pour élever des enfants, sans soutien, ou préoccupées par beaucoup d'autres choses", et la perte de repères au niveau éducatif.  

Exposés à la violence très tôt 

En outre, à une époque où les écrans et réseaux sociaux sont omniprésents dans notre quotidien, y compris celui des plus jeunes, ces derniers sont confrontés à la violence très tôt, constate la professionnelle de santé. 

"L'exposition à la violence trop tôt dans l'enfance et de manière importante, sans en discuter avec un adulte, ça banalise cette violence dans la tête d'un jeune enfant, qui va avoir du mal à faire la part des choses".

Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

Des ados conscients de la mort 

Si à l'adolescence les individus ont "comme les adultes, une idée très précise de la mort et conscience qu'en se battant on fait mal à l'autre", c'est plutôt la représentation de la violence qui peut différer d'une personne à l'autre.

"Ca dépend de ce qu'ils ont vécu, entendu, de ce que représentent la violence et la mort pour eux. Un adolescent sécurisé et qui se développe bien n'envisagerait même pas de faire du mal"

Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

Une frustration parfois mal gérée 

Un autre facteur qui peut potentiellement pousser à la violence, selon le Dr Bouthier, c'est l'incapacité à gérer la frustration, en plus de ce qui se passe dans le circuit familial. Faire de son enfant un "enfant-roi", c'est lui donner un handicap dans la vie, assure la pédopsychiatre. 

C'est pourquoi, dit-elle, il est important d'expliquer à l'enfant dès son plus jeune âge, qu'il ne peut pas tout avoir. "Il faut savoir lui dire non lorsqu'il est enfant, parce qu'une fois grand, il va taper pour avoir ce qu'il veut. Il utilisera les moyens qu'il a pour l'obtenir, dont la violence", estime la pédopsychiatre exerçant à Bras-Panon. 

Mettre des limites, mais avec bienveillance

Pour éviter les comportements violents, l'éducation et la mise en place de limites sont primordiales, insiste le Dr Aurélie Bouthier, qui précise bien que ceci doit toujours se faire dans la bienveillance. En cas d'acte violent observé chez l'enfant, il est important de réagir "en lui expliquant que c'est interdit et pourquoi".

Punir, mais sans violence 

Si la violence est répétée, il convient alors de mettre en place des punitions, comme des mises à l'écart ou des suppressions de choses, mais jamais en ayant recours à la violence. Dans le même temps, il est essentiel de "valoriser les comportements de l'enfant quand il est gentil ou a fait une bonne action", afin de l'encourager à répéter cette attitude, ajoute la pédopsychiatre. 

"Frapper son enfant parce que lui-même a frappé quelqu'un ça n'a pas de sens" 

Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

"Sur les réseaux, on peut se créer un personnage"

Les premiers éléments de l'enquête ont aussi montré que les deux meurtriers présumés avaient fait connaissance avec eur victime sur les réseaux sociaux. Si leur relation avait dépassé le cadre virtuel, puisqu'ils se sont rencontrés ce jour-là, le rôle de ces outils de communication par écrans interposés se pose malgré tout. 

Le Dr Aurélie Bouthier rappelle ainsi que toute une éducation doit se faire autour de ces réseaux sociaux : ne pas envoyer ses photos, ne pas discuter avec des inconnus... Car dans ces mondes virtuels on se permet davantage de choses que de visu, souligne-t-elle. De même, "sur les réseaux, on n'est pas authentique, on peut se créer un personnage". 

Un risque de phénomène de groupe

 Au-delà, ces modes de communication sont propices aux phénomènes de groupe.

"Le risque, c'est que des jeunes qui, spontanément n'auraient pas été violents, mais sont plus fragiles, se laissent embarquer et le soient, pour ne pas être mis à l'écart d'un groupe". 

Dr Aurélie Bouthier, pédopsychiatre

Reste à savoir les motivations de ces deux jeunes, qui, ce week-end, ont franchi les limites en ôtant la vie à une de leurs pairs. Les deux adolescents doivent être déférés ce vendredi après-midi au tribunal de Saint-Pierre, et risquent une mise en examen pour assassinat, si préméditation de leur acte il y a eu.