"Efface un nom, efface une histoire", ou encore "Ici c'est Bouvet" : telles sont les banderoles apposées sur les grilles du lycée bénédictin ce mardi.
En début d'après-midi, un collectif de personnels, parents et élèves a manifesté son mécontentement, en cette veille de vacances estivales. Depuis le mois de juillet, ils protestent contre le changement de nom de leur établissement. Car sur décision du conseil régional lors de la commission permanente du 26 juin 2023, le lycée Amiral-Bouvet a été renommé Jean-Claude-Fruteau, tout comme cinq autres lycées publics de l'île.
Regarder le reportage de Réunion La 1ère :
Jean-Claude Fruteau, ancien député et maire de Saint-Benoît
Justification de la collectivité ? Le lycée porte le même nom que celui du collège. Le nom de Jean-Claude Fruteau, ancien maire de Saint-Benoît et ancien député qui fut lui-même professeur au lycée Amiral-Bouvet, avait donc été proposé par la Région Réunion.
"L'ADN de l'Est"
Mais le changement fait tâche pour le collectif, qui n'en démord pas depuis des mois. Gilles Mailly, enseignant au sein du lycée concerné, en fait partie. Il estime que le nom d'Amiral-Bouvet "fait partie de l'ADN de Saint-Benoît et de la région Est". Son argument : l'établissement, baptisé ainsi dès son inauguration en 1968, est partie intégrante de l'histoire de la micro-région puisqu'à l'époque, il a accueilli les jeunes de Sainte-Marie jusqu'à Sainte-Rose. "Ils ont construit leur identité à travers ce lycée-là, défend Gilles Mailly. Le renommer c'est effacer cette histoire et ne pas prendre en compte cette jeunesse qui était au lycée Amiral-Bouvet".
Soit effacer de la mémoire collective cet établissement qui fut "le 3ème lycée de l'île après celui de Roland Garros inauguré en 1965, et celui de Leconte de Lisle en 1967".
L'histoire de l'Amiral Pierre Bouvet questionnée
Mais tous ne sont pas de cet avis et sont plutôt favorables au changement. C'est le cas de Daniel Amouny, représentant de parents d'élèves FCPE au lycée Amiral-Bouvet, au regard du "passé trouble de cet homme qui aurait fait de la traite". "Qu'on me démontre le contraire et je réviserai mon point de vue", assène-t-il.
"Un négrier qui a vendu des esclaves n'a de mon point de vue pas sa place sur un monument public. (...) Je ne dis pas qu'il n'a pas sa place dans l'histoire, mais de quel côté de l'histoire ? Le bon ou le mauvais ?"
Daniel Amouny, représentant des parents d'élèves FCPE du lycée Amiral-Bouvet
Expliquer aux élèves la controverse
Pour des raisons similaires, la ville de Saint-Denis n'a pas hésité à déplacer la statue de Mahé de Labourdonnais, fait remarquer le représentant de parents d'élèves. Tout en invitant les élèves à se renseigner sur le parcours et l'histoire de cet homme.
"Il faut demander aux élèves s'ils savent qui est cet Amiral Bouvet, parce que quand je demande à ma fille, elle ne sait pas. Alors peut-être qu'il faut commencer par leur expliquer l'histoire de ce personnage et pourquoi il y a une controverse. Peut-être que lorsqu'ils auront en main tous les éléments, leur avis ne sera pas aussi tranché, ou peut-être qu'il le sera".
Daniel Amouny, représentant FCPE des parents d'élèves
Pour Gilles Mailly, qui rappelle que le collectif n'a rien contre Jean-Claude Fruteau, Amiral Pierre Bouvet était un militaire, et surtout "un Bénédictin, qui a défendu les côtes de Sainte-Rose et de Saint-Denis contre l'invasion anglaise".
Une requête déposée au tribunal administratif
C'est dans cet esprit que le collectif a publié une pétition qui circule depuis plusieurs mois. Il a aussi déposé un recours grâcieux auprès de la Région en juillet dernier, mais il serait resté sans réponse, d'où une requêté déposée au tribunal administratif en novembre dernier. Le procédé aussi semble poser problème, puisque selon le collectif, le conseil d'administration du lycée a lui-même voté en majorité contre le changement de nom.
En outre, les détracteurs de la nouvelle dénomination reprochent au maire de Saint-Benoît le manque de consultation de ses administrés. Celui-ci aurait donné un avis favorable à la Région, avant d'émettre une contre-proposition consistant plutôt à aposer le nom de Jean-Claude Fruteau sur la médiathèque de Bras-Fusil.
"Même nos parents y sont venus"
De l'avis d'élèves croisés lors de la manifestation de ce mardi, "le nom Bouvet représente l'identité du lycée, le changer ne permettrait pas aux autres générations de découvrir ce que nous on a découvert". C'est en tout cas l'avis de Cécile, mais aussi de son camarade Ryan, tous deux en classe de terminale. "Même nos parents y sont venus", avance Ryan.
"On l'a toujours connu comme ça"
Des anciens élèves du lycée Bouvet étaient aussi au rendez-vous. Quentin, désormais étudiant à l'université de La Réunion, évoquent une habitude, voire une certaine affection. "On a passé de bons moments ici, quand on s'est inscrits et qu'on a passé nos trois ans ici, c'était le lycée Amiral-Bouvet, on l'a toujours connu comme ça", fait-il valoir.
Plusieurs lycées renommés
Pour rappel, d'autres établissements, qui portaient le nom de la commune où ils étaient implantés, ont été renommés sur proposition de la Région : le lycée de Trois-Bassins est devenu le lycée Paul-Pignolet-de-Fresne-Rivière, le lycée agricole de Saint-Joseph a pris le nom d'Angélo Lauret, le lycée hôtelier de la Renaissance celui de Christian Antou, ou encore le lycée Saint-Paul IV est devenu le lycée Paul-Vergès. Le lycée de Bellepierre a pris le nom de Marguerite Jauzelon, et le lycée professionnel de l'Horizon celui d'Albert Ramassamy. Autant de changements validés par le conseil régional en juin dernier.