"On va mettre en place une cellule départementale anti-bandes." Mardi 28 janvier, accompagné de la maire de Saint-Denis et de la procureure de la République, le préfet Patrice Latron a supervisé le déploiement de nombreux policiers dans le quartier de la Rocade et des Olympiades au Moufia avant de dévoiler une série d'annonces "coup de poing" avec l'objectif de "mettre fin à ce phénomène de bandes."
Moufia zøø, les plus "structurés"
Mais de quelles bandes parle-t-on ? Le choix du lieu de l'opération était tout sauf anodin. C'est dans ce secteur du Moufia que résideraient la plupart des membres d'un groupe autobaptisé "Moufia zøø", qui a commencé à se structurer autour de quelques meneurs, un "noyau dur" et des suiveurs et pouvant compter jusqu'à une cinquantaine d'individus.
De jeunes gens âgés de 12 à 20 ans environ, qui n'hésitent plus à afficher leur appartenance au groupe via les réseaux sociaux ou des t-shirts frappés d'une sorte d'aigle stylisé.
Tiré d'un titre de rap lancé il y a plusieurs années sur la toile, Moufia zøø apparaît aujourd'hui comme "le groupe le plus structuré" à Saint-Denis, note un observateur du phénomène. Mais il n'est plus le seul.
Batailles rangées
Dans le bas de la rue Maréchal-Leclerc, les "243" commencent aussi à se faire un nom, tout comme les "B13" dans le quartier du Chaudron, dans le haut de la rue des Goyaves. Des équipes à géométrie variable, mais qui peuvent mobiliser plusieurs dizaines d'individus pour en découdre avec la bande rivale.
Posant sur les réseaux sociaux avec des armes de type sabres à canne, chombo (sorte de machette), couteaux de chasse, "sacoches plombées" et chiens d'attaque avec muselière, un peu dans l'esprit du clip qui avait valu une condamnation au rappeur Bofré le Soldat en avril 2024, ces groupes peuvent en venir à de véritables batailles rangées, "parfois pour des motifs futiles" explique cette même source.
"Logique de territoire"
Une vieille rancune, un regard de travers, un "moringué" qui dégénère, peuvent occasionner de sérieux affrontements suivis de "matches retour" sans fin. "Un phénomène qu'on connaissait surtout à Mayotte, avec des affrontements de "villages" et qui commence à se voir ici aussi", complète une source judiciaire. La notion de "logique de territoire" revient dans les échanges.
L'un des premiers événements à avoir attiré l'attention des pouvoirs publics sur la question remonte à mars 2018 et des violences urbaines survenues en marge du festival "Jeunesse en Lèr" qui se tenait au parc de la Trinité. La fin de soirée avait complètement dégénéré avec des affrontements impliquant près de 200 jeunes, qui s'en étaient ensuite pris aux forces de l'ordre.
Jets de galets, neuf policiers blessés, le boulevard Sud bloqué, et des organisateurs convoqués au commissariat pour s'expliquer sur leur service de sécurité. Mais à l'époque, le phénomène est encore nouveau.
"De plus en plus visible"
Depuis, il est devenu plus fréquent, avec des affrontements sur des terrains de sport ou en pleine rue qui ont pu choquer la population, comme en mars 2024 au Chaudron et au Moufia. Dans les quartiers concernés, les policiers découvrent des squats, ou des espaces communs utilisés pour dissimuler des armes.
"Là, c'est de plus en de plus visible", note un enquêteur, "et cela s'accompagne d'actes de prédation." Vols en réunion avec violences voire avec arme — de téléphones et de bijoux le plus souvent —, vol à l'étalage, dégradations, port d'arme et participation à un attroupement armé sont les faits le plus souvent reprochés aux auteurs.
Dont de nombreux mineurs. "Les 16-18 ans, c'est ce qu'on voit le plus" note un policier rompu à ces dossiers qui se multiplient ces dernières semaines.
Une délinquance "encore maîtrisable"
Un phénomène de bandes pour l'instant très "dionysien", et difficilement comparable avec les violences urbaines que connaissent des villes comme Saint-André à Fayard ou Saint-Benoît avec Bras-Fusil. "Dans ces villes, on est plus sur un phénomène de quartiers et de ghettoïsation, avec des violences dirigées contre les forces de l'ordre et les pompiers", reprend une source judiciaire.
Sur Saint-Denis, ce phénomène de bandes "est encore maîtrisable", tempère cependant un enquêteur. "On n'est pas encore sur de la criminalité organisée comme à Marseille, avec des bandes très hiérarchisées et adossées au trafic de stupéfiants." Et de conclure : "Mais il faut justement rester vigilants à ce que ça n'évolue pas dans cette direction."