"Le boeuf Moka c'est un exemple d'association entre patrimoine vivant et méthode écologique pour nettoyer des parcelles", sourit Marie-Olivia Fontaine, présidente de l'Association pour la promotion du patrimoine et de l'écologie de La Réunion (APPER). Depuis des années, elle lutte pour que cette race bovine emblématique sur l'île soit a minima sauvegardée. Dans l'idéal, c'est même une filière qu'elle aimerait voir se structurer.
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"Moins de 400" boeufs Moka
A l'heure actuelle, c'est loin d'être le cas, au contraire même. Sur l'île, elle estime à "moins de 400 têtes" la population de boeufs Moka, "la majorité dans la zone de savane de l'Ouest où ils ont perduré, sur ces espaces qui étaient à l'abandon jusqu'à l'urbanisation galopante récente". Leur nombre, selon elle, ne fait que décroître au fil des années.
Sauver cette race péi
C'est pourquoi aujourd'hui, Marie-Olivia Fontaine souhaite qu'un plan de sauvegarde soit clairement défini pour "garantir l'existence de cette race locale grandement menacée".
Une volonté que partage la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de La Réunion. "C'est notre patrimoine, il faut le sauvegarder et dire son utilité", souligne son président, Stéphane Sarnon.
Pour l'entretien et la fertilisation des parcelles
Car ces boeufs Moka ont une réelle utilité, qui n'est pas forcément de fournir de la viande ou du lait. "On peut les mettre sur des parcelles pour les entretenir et les fertiliser", assure Stéphane Sarnon.
C'est d'ailleurs ce qui a poussé Maximin Delblond, un agriculteur de Saint-Paul, à se lancer dans l'élevage de boeufs Moka.
Des boeufs Moka pour désherber sa parcelle
"Ma la commencé à 2017, un copain la donne a moin un boeuf pou fé un carry. Mais ma la soigné, et un beau matin mi lève navé un veau !", explique Maximin Delblond. A ce moment-là, il était à la recherche d'une solution alternative aux pesticides pour désherber sa parcelle. Une méthode plus avantageuse que de passer y mettre des pesticides tous les mois pendant les périodes sans production. "La valeur éthique lété pas là, même si mi lé en conventionnel", considère l'agriculteur.
"Su les exploitations maraîchères, les vergers, si la personne na deux boeufs dans un coin, sans avoir besoin d'un troupeau, au lieu paye un ouvrier pou passe débroussailleuse toute la journée, li fé une rotation de parcelles. Le boeuf Moka va apporte a li l'humus sur le terrain, et na une valeur ajoutée au niveau des charges"
Maximin Delblond, éleveur de boeufs Moka à Piton l'Hermitage
"Autant protéger ces bêtes-là"
Maximin Delblond décide alors d'installer son boeuf Moka sur sa parcelle. "Au départ mi cherchais un boeuf assez rustique dans le coin", se souvient-il. Hésitant entre plusieurs races, il se dit alors "autant protéger ces bêtes-là, race de La Réunion et en voie de disparition".
Un élevage d'une trentaine de boeufs
Aujourd'hui, après un épisode de leucose qui lui a pris deux animaux, son élevage est sain, et compte une trentaine de bêtes sur ses 20 hectares du chemin Carrosse au Piton L'Hermitage. "Des génisses, des veaux, des petits taureaux".
Une race métissée et résistante
Celui qui fait partie des quelques éleveurs de boeufs Moka restant à Saint-Paul vante désormais les mérites de cette race péi, héritée du métissage des importations successives de bovins de Madagascar, d'Inde, d'Afrique ou même des Philippines. Le boeuf Moka, au fil du temps, est devenu résistant, familier du climat sec de la savane. Il est reconnaissable grâce à une bosse proéminente sur le dos chez les mâles. Longtemps, il a été d'une grande aide pour les hommes dans leurs travaux du quotidien.
Un boeuf qui a perdu son utilité au fil des années
"Li té serve pou rale charrette ou pour des travaux de sol. Après nou la perde l'utilité", rappelle Maximin Delblond. L'arrivée d'outils motorisés modernes comme le tracteur rend en effet son usage moins fréquent.
Et lorsque l'élevage à plus grande échelle fait son apparition à La Réunion dans les années 80, le boeuf Moka séduit encore moins. "Pour la filière té pas intéressant, parce que i faut minimum 4 ans avant de l'envoyer à l'abattoir, té pas rentable. Li la failli disparaître", souffle l'éleveur du Piton de L'Hermitage.
Relancer le boeuf Moka, créer une filière
Maximin Delblond, comme Stéphane Sarnon ou Marie-Olivia Fontaine, font partie de ceux qui aujourd'hui veulent valoriser cette race à sa juste valeur. "On voudrait relancer le boeuf moka, et pourquoi pas entamer la création d'une filière", dit le président de la FDSEA.
Aujourd'hui, si des familles musulmanes achètent de temps à autres un boeuf Moka pour la fête de l'Eïd ou des mariages, sa viande n'est mise en vente nulle part. Marie-Olivia Fontaine de l'APPER elle, voit même, pourquoi pas, "une filière de viande bio".
Des aides nécessaires
Mais pour cela, il faut du soutien. "Les éleveurs ont besoin de soutien pour pérenniser des structures d'exploitation", dit-elle. Concrètement, il s'agit de "besoins en foncier, d'un vrai statut d'agriculteur pour pouvoir se professionnaliser, et des aides spécifiques".