Le voguing – qui imite les poses des mannequins du célèbre magazine de mode américain Vogue – est bien plus qu'un style de danse : c’est aussi une manière de résister à l’exclusion pour les communautés LGBTQI+. Créée dans les années 1970 à New York par la communauté gay, trans afro et latino-américaine, la scène ballroom fait désormais son apparition à La Réunion, une île où les questions d’homosexualité et de genre sont encore un sujet tabou dans la plupart des familles.
C'est dans les années 1920, en réponse aux préjugés envers les communautés LGBTQ+, que les jeunes queer noirs et latinos créent des réseaux de soutien et leurs propres structures familiales (les houses), des espaces sûrs où ils peuvent assumer et expérimenter leur identité lors de performances. Dans les années 1960, le mouvement s'étend et prend progressivement les contours de concours de beauté, où chaque candidat défile devant un parterre d'invités et de juges qui notent les artistes selon la présentation de la tenue, la performance sur un défi à thème ou le défilé sur podium. De nombreuses performances incluent du « voguing », célèbre pour ses poses et mouvements de mains théâtraux, inspirés des mannequins.
Luna, Sarraffinnaa et Sunny porte-drapeaux du Voguing péï
Chorégraphe et danseur, à 25 ans, Johan Piemont, alias Luna Ninja, est le pionnier de ce mouvement à La Réunion. Pour le jeune homme, le voguing est une révélation. Luna a importé ce souffle de liberté sur son île en 2020, après avoir découvert cette scène à Paris, auprès de la légendaire Lasseindra et la House of Ninja. Cette figure de proue de la culture ballroom en France a changé sa vie en l'aidant à se révéler. Luna est « elle » sur scène, l'extravertie, une créature de la nuit et « il » dans la vie, personne timide et casanière. Cette partie féminine lui a permis de s'ouvrir au monde. L’artiste a pour ambition que son île devienne la destination queer de l’océan Indien. Pour ce faire, il a fondé la première house réunionnaise, autrement dit la première famille de vogueurs réunionnais. Sous cette impulsion, une nouvelle génération s'emploie à donner une visibilité aux minorités sexuelles et de genre.
Nicolas alias Sarraffinnaa : "le voguing c'est ma liberté d'expression"
Nicolas a trouvé son personnage de scène, Sarraffinnaa, à qui tout est permis. Pour lui, le voguing est le symbole de la liberté, qui lui permet d'exprimer ses émotions. Sarraffinnaa est une personne forte qui sait où elle va, qui n'a pas peur de donner son opinion et qui sait qu'elle mérite d'être entendue. Nicolas ne se considère pas comme non-binaire car à l'aise avec son identité d'« homme féminisé ».
Willy alias Sunny : "le voguing te permet de créer un personnage en fonction de qui tu es"
À 24 ans, Willy est, de son côté, en quête de Sunny, son alter ego sur scène, et n’a plus peur d’être dans la lumière. Danseur, il a participé aux premiers cours de voguing de Luna, qui lui ont permis de mener une introspection et un travail en profondeur sur ses peurs.
Un ball historique à Saint-Denis
Le 28 mai 2023, à Saint-Denis, Luna a organisé un ball historique, le premier sur l'île. Une compétition pleine de surprises entre les meilleurs danseurs Réunionnais. Ce ball est le symbole d’une voix qui émerge peu à peu dans le département. Celle de la communauté LGBT+, invisibilisée depuis des décennies. En 2021 seulement, l’île accueillait sa première gay pride, gommant ainsi le retard sur l'Hexagone qui en organise depuis 1977. Désormais, la révolution est en marche. Dans ce concours LGBT+, alliant beauté, danse et mode, les participants s’affrontent en arborant un look pailleté, une attitude de diva et un maquillage extravagant. Cet événement a été pour elles et eux un moyen de se découvrir, se libérer, danser et être enfin eux-mêmes au grand jour, sans se cacher, sur une scène. Le film les suit pendant toute l'organisation jusqu'au jour J. Face caméra, nos protagonistes nous livreront leurs joies, leurs craintes et leurs histoires exceptionnelles.
Un film de Anouk Burel et Nejma Bentrad
Images: Christophe Astruc
Production: Babel Doc-Sébastien Daguerressar