La faune marine de Saint-Pierre et Miquelon perturbée par les recherches de pétrole et de gaz au Canada

Le champ pétrolier Terra Nova se trouve à 350 kilomètres au sud-est de la côte de Terre-Neuve-et-Labrador. Découvert en 1984, ce gisement de pétrole a été le deuxième à être mis en valeur sur les Grands Bancs. La production a débuté en 2002.

Au large de Terre-Neuve et Labrador, des compagnies pétrolières mènent depuis des années des opérations de prospection en mer. Avec des conséquences notables pour les espèces marines de Saint-Pierre et Miquelon.

En surface, il n'y a presque aucun son, juste quelques bulles. Sous l’eau, la détonation est retentissante. Au large de Terre-Neuve-et-Labrador, à quelques centaines de kilomètres de Saint-Pierre et Miquelon, des compagnies pétrolières examinent régulièrement les fonds marins pour y trouver des réserves d’hydrocarbures. Parmi les méthodes employées : l’utilisation de canons à air comprimé, pour cartographier le fond de l’océan. Une technique bruyante, qui perturbe la faune sous-marine de la région. 
 

Schéma montrant l'impact des canons à air comprimé sur la faune marine.


“Les navires remorquent généralement plusieurs dizaines de canons acoustiques à la fois”, explique Frank Urtizberea, chargé de biodiversité à la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM). “Ils envoient des ondes vers les fonds marins. En rebondissant plus ou moins profondément selon les sédiments et les roches, celles-ci dessinent une carte en 3D d'éventuelles réserves pétrolières.” 

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Les animaux présents dans la zone n’en sortent pas indemnes, au vu du volume sonore de l’opération. “On a mesuré jusqu’à 250, voire 260 décibels”, commente l’expert en bio-acoustique Olivier Adam. “Ce sont des sons extrêmement forts, de vraies explosions qui ont un impact sur les cétacés et la vie marine en général.” Les sonars, également utilisés pour ce genre de recherches, ont aussi des effets négatifs.

Cétacés, poissons et invertébrés en danger


Selon les espèces, les animaux réagissent différemment. “Les cachalots et les baleines à bec, par exemple, remontent en surface et s’éloignent”, assure Olivier Adam. “Ce qui peut provoquer des échouages si on est près des côtes.” D’autres cétacés voient leur mode de communication altéré. “C’est le cas des grands rorquals, car ils échangent dans les mêmes fréquences que les sons émis par ces canons”, décrypte Flore Samaran, spécialiste des vocalises de baleines. 


De leur côté, des poissons comme la morue ou le haddock adoptent des comportements de fuite ou d’évitement. “Certains descendent à des profondeurs plus basses, où ils sont plus vulnérables”, relate Frank Urtizberea, citant plusieurs études sur le sujet. “D’autres ont été pêchés le ventre vide. Ils avaient apparemment cessé de s’alimenter.”
 

“À chaque fois qu’il y a eu des recherches sismiques, ça a eu des répercussions sur les baleines, sur les dauphins et probablement sur la morue.”

Un pêcheur à Saint-Pierre et Miquelon


Dans l’archipel, un pêcheur qui souhaite rester anonyme l'a constaté, “dès qu’il y a de la prospection dans les environs, ça se ressent sur la ressource et donc sur la pêche”. En plus de faire déguerpir les poissons - “les sons doivent les gêner et les pousser plus loin” - les bruits des canons à air déciment une partie des zooplanctons. Or, ces petits organismes constituent la base alimentaire de certains cétacés, poissons et de nombreux invertébrés, comme les crevettes et les huîtres, ajoute-t-il, document scientifique à l’appui. Le reste de la chaîne alimentaire s'en trouve affecté.
 

“Les sons ne s’arrêtent pas aux frontières”


Dans les années 2010, plusieurs autorisations de prospection préalable ont été délivrées autour de Saint-Pierre et Miquelon. “Les dossiers de demande étaient suivis et traités par la préfecture”, détaille Herlé Goraguer, le représentant de l’Ifremer à Saint-Pierre et Miquelon. “Elle nous demandait notre avis sur d'éventuels problèmes environnementaux, sur la technique utilisée et sur l'impact pour les activités de pêche.” La DTAM était également sollicitée.

Si un navire de recherches étranger devait traverser la zone française, un officier de liaison français était envoyé à bord. “On était surtout chargé de gérer les relations avec les pêcheurs”, se souvient le Saint-Pierrais Karl Beaupertuis, qui a exercé deux fois ce rôle. “Je faisais un rapport journalier où j’indiquais la position du bateau.”

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Ce type d’opération n’est plus autorisé dans les eaux de l’archipel depuis 2017, en vertu de la loi hydrocarbures. Mais la législation française ne s’applique pas aux territoires maritimes canadiens, où de nombreux projets de prospection sont en cours. Malgré la crise pétrolière, le secteur demeure important dans la région. En octobre dernier, le gouvernement fédéral canadien a alloué 320 millions de dollars, soit à peu près 215 millions d’euros, au soutien de l’industrie pétrolière de Terre-Neuve-et-Labrador. Au grand dam de plusieurs groupes environnementaux, comme WWF Canada. L’ONG dénonce notamment “d’importantes failles dans une évaluation environnementale majeure de l’exploitation pétrolière et gazière dans la région”.
 

“Même si les bruits des canons à air des compagnies pétrolières sont ponctuels et sporadiques, ils émeuvent toute la communauté des ONG.”

Frank Urtizberea, chargé de biodiversité à la DTAM


Des recherches sont en cours au sud-est de Terre-Neuve, au niveau des grands Bancs, ou encore à l’ouest de l’île canadienne. Plus près de la zone française, une parcelle frontalière de plusieurs centaines de kilomètres pourrait être investie dans les années à venir, selon les données du C-NLOPB, un organisme chargé par les gouvernements provincial et fédéral de réguler les activités offshore au large de la province. 


Problème : les sons se propagent “extrêmement facilement” sous l’eau, d’après Olivier Adam. "Ça peut aller jusqu’à 200, 300 kilomètres, selon le lieu et la topographie”, assure le chercheur. Les animaux marins de Saint-Pierre et Miquelon sont donc concernés, même si ces opérations ont lieu à plusieurs centaines de kilomètres de l’archipel. “Les Canadiens font ce qu’ils veulent chez eux, mais nos territoires sont collés l’un à l’autre”, reprend le pêcheur interrogé par SPM la 1ère. “Leurs opérations ont parfois des répercussions.” Olivier Adam acquiesce : “Malheureusement, les sons ne s’arrêtent pas aux frontières.”
 

Minimiser les dégâts


“La plupart des États mettent de plus en plus de réglementations en place, même si on est très en retard par rapport aux lois sur les bruits aériens”, nuance tout de même l’universitaire. Au Canada, les recherches d’hydrocarbures en mer ne peuvent être lancées sans une évaluation environnementale en amont. 

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Une fois autorisées, elles doivent suivre un protocole bien précis. “Il y a d’abord une période de 30 minutes d'observation à 360 degrés par des Observateurs Mammifères Marins (MMO) qualifiés” explique la biologiste marine Laura Ceyrac, elle-même MMO confirmée. “Cela se fait avant la mise en route des canons à air, afin de vérifier qu'il n'y a pas d'animaux marins présents dans la zone de sécurité.” 

En cas de faible visibilité, les bruits sous-marins sont analysés via un système d’hydrophones. “Ca nous permet d'écouter, de visualiser le bruit sous-marin sur des spectrogrammes et enfin de localiser les animaux qui vocalisent”, reprend la spécialiste en bioacoustique, également formée et certifiée pour effectuer cette tâche. 
 

“Pour atténuer l’onde sonore, on met parfois en place des rideaux de bulles. Cela se fait généralement pendant les opérations de dragage.”

Olivier Adam, chercheur en bioacoustique à la Sorbonne 


Si aucune espèce n’est détectée, les canons sont mis en route, mais de manière progressive. L’objectif est d’effrayer les animaux en émettant des sons de plus en plus forts et de les pousser à s’enfuir. “Si une tortue marine ou un mammifère marin menacé est détecté dans la zone de sécurité pendant cette opération”, poursuit Laura Ceyrac, “les canons à air sont arrêtés immédiatement et ne seront remis en route que quand ils auront quitté cette zone.” 

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Pour la jeune femme, ces techniques permettent de “minimiser d'éventuelles atteintes sur les espèces marines en péril”, même si le risque zéro n’existe pas. Il arrive que des animaux ne soient pas détectés visuellement ou via les hydrophones, car ils ne vocalisent pas. “Et ce protocole n’empêche pas la propagation de signaux sonores, dans une zone de plus grande ampleur”, glisse la chercheuse Flore Samaran. 

Malgré tout, “les choses évoluent dans le bon sens”, d’après Laura Ceyrac. “Autant du côté des états, que des industriels.” Olivier Adam partage cet avis. “La transition est lente, mais elle se fait progressivement. La pollution sonore des fonds sous-marins est un thème de plus en plus évoqué au niveau international.” Il espère qu'en 2021, la décennie pour les sciences océaniques de l’ONU - “Ocean decade”, en anglais - permettra de sensibiliser sur la question.