C'est une pratique bien connue des résidents temporaires au pays du sirop d'érable. Le "tour du poteau" (ou flag pole en anglais) consiste à se rendre à la frontière la plus proche pour sortir du pays, puis rentrer presque immédiatement.
Car lorsqu’un nouveau permis de travail ou d'études est accordé et que l’ancien se termine, il y a obligation de sortir du territoire afin d’activer le nouveau visa. Mais depuis ce mardi 24 décembre, faire le "tour du poteau" n'est plus autorisé.
Plus de 69 300 "tours du poteau" en un an
Certains se rendaient au Etats-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon avant de faire demi-tour pour accéder aux services frontaliers. Et il y a de quoi donner le tournis. Entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a traité plus de 69 300 demandeurs de "tour du poteau" dans l'ensemble du pays. La plupart de ces demandes ont eu lieu dans les régions du Pacifique, du sud de l'Ontario et du Québec.
Cette annonce du gouvernement canadien s'inscrit dans le cadre de son "Plan frontalier du Canada". Un plan de 1,3 milliard de dollars qui vise à renforcer la sécurité des frontières et du système d’immigration. Une réponse politique aux menaces de Donald Trump d'imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens exportés au sud de la frontière.
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Dans un communiqué de presse, l'agence des services frontaliers du Canada écrit que "cette pratique a mobilisé beaucoup de ressources à la frontière, détournant les agents canadiens et américains d'importantes activités de contrôle, et a contribué à allonger les délais d'attente pour les voyageurs transfrontaliers."
Désormais, les résidents temporaires doivent s'adresser au ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) sur son site officiel. Cette démarche en ligne est censée être simplifiée pour aider les demandeurs.
"Ça pouvait prendre une matinée entière"
Qu'ils soient travailleurs ou étudiants temporaires au Canada, faire le "tour du poteau" c'était tout une organisation. Il peut se faire seul ou à plusieurs pour partager les frais de déplacement jusqu'à la frontière la plus proche.
Une aventure dont se souvient Moana, une jeune expatriée française à Montréal. Il y a quelques années, elle et ses collègues de travail devaient régulariser leur situation. Tous ont donc dû se rendre au poste frontalier le plus proche de Montréal, à Saint-Bernard-de-Lacolle.
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"Les grandes entreprises comme la nôtre ont l'habitude de délivrer des visas. L'employeur nous avait donc organisé un trajet en voiture jusqu'à la frontière pour que mes collègues et moi validions nos visas de travail en faisant le "tour du poteau", se souvient Moana.
À la frontière il y a beaucoup monde, les autorités ont l'habitude. Il faut prendre son ticket et attendre parfois une heure dans les bureaux. En tout ça pouvait prendre une matinée entière !
Moana, expatriée française installée à Montréal
Difficile de dire si l'interdiction du "tour du poteau" est une bonne nouvelle. Dans une publication sur le réseau social Facebook, une célèbre avocate québécoise du droit de l’immigration s'inquiète : "ce changement [...] ne prend pas en compte les impacts que cela va engendrer sur la vie des résidents temporaires et sur leurs familles (les délais de traitement des demandes en ligne vont continuer à s'allonger mettant en péril les statuts de nombreux travailleurs et étudiant étrangers)."
Dans son communiqué, l'agence des services frontaliers du Canada précise que certaines personnes peuvent encore recourir au "tour du poteau". Mais les conditions sont très limitées : les citoyens et les résidents permanents légaux des États-Unis, les professions dans le cadre d'accords de libre-échange ou encore les chauffeurs routiers internationaux titulaires d'un permis de travail.