Santé visuelle en Guyane : l’Ophtabus à la rencontre des oubliés du système de soins

Un habitant de Saint-Laurent-du-Maroni subit un examen rétinien lors de la journée de dépistage de l'Ophtabus.
L’Ophtabus a offert un dépistage gratuit des maladies de la vision à plus de 150 habitants de Saint-Laurent-du-Maroni. Ce service itinérant révèle les carences d'accès aux soins visuels en Guyane, où la géographie et le manque de professionnels de santé pénalisent les populations isolées.
Un professionnel de santé effectue un examen visuel minutieux sur un patient de Saint-Laurent-du-Maroni.

Plus de 150 habitants de Saint-Laurent-du-Maroni ont bénéficié d'un dépistage gratuit des maladies de la vision grâce à l’Ophtabus, qui s'est installé ce samedi 28 septembre devant la Salle Polyvalente du Village Terre-Rouge. Cette opération a mis en lumière les graves carences en matière d'accès aux soins visuels en Guyane, un problème récurrent dans cette région où la géographie et le manque de praticiens rendent les soins difficiles d’accès.

Des témoignages qui soulignent le besoin criant de solutions durables

Kayamare Lambert, l'un des participants, a partagé son parcours semé d'embûches pour accéder aux soins visuels. 

Kayamare Lambert, bénéficiaire du dépistage, témoigne de ses difficultés à accéder aux soins visuels.

Depuis petit, j'ai toujours eu des problèmes de vue. Mes parents avaient essayé de prendre rendez-vous pour moi à Cayenne, mais j'ai manqué deux rendez-vous faute de transport. Quand j'ai entendu que l’Ophtabus venait à Terre-Rouge, j'ai sauté sur l'occasion

confie-t-il. Cette initiative a permis à Kayamare de recevoir, pour la première fois, un suivi de qualité près de chez lui, mettant en lumière l’enjeu majeur de l’éloignement des centres de soins.

D'autres parents ont également témoigné de l'impact positif de cette action. "Mon fils de 6 ans avait des difficultés à l'école, et les enseignants soupçonnaient un problème de vue," raconte De Novene Kana, habitant de Saint-Laurent-du-Maroni. 

Novène Kana, heureux d'avoir pu faire dépister son fils grâce à l'initiative de l'Ophtabus

En temps normal, nous aurions dû aller à Cayenne ou Kourou, à des centaines de kilomètres, pour un simple examen. L’Ophtabus nous a permis de le faire sans ce long déplacement.

Un territoire confronté à des défis géographiques et un manque de spécialistes

Selon Floriane Amayota, orthoptiste et secrétaire de l’Association Ophtabus Guyane, les défis de la santé visuelle en Guyane sont exacerbés par la géographie. 

Floriane Amayota, orthoptiste et secrétaire de l'association Ophtabus Guyane

Le territoire est immense, et les praticiens sont concentrés sur le littoral. L'ouest et le fleuve sont particulièrement délaissés. Le manque de praticiens qualifiés et l’enclavement de certaines zones rendent les soins oculaires inaccessibles pour de nombreuses personnes

explique-t-elle. Elle souligne également que Saint-Laurent-du-Maroni, la deuxième ville la plus peuplée de Guyane, ne dispose toujours pas de spécialistes en ophtalmologie, obligeant les habitants à parcourir des centaines de kilomètres pour un rendez-vous.

La secrétaire de l’Association Ophtabus Guyane appelle à une véritable politique de recrutement pour combler ces lacunes : 

Il faut plus d’ophtalmologues, d’orthoptistes et d’opticiens, non seulement à Saint-Laurent mais sur tout le territoire, pour que chaque habitant ait accès à des soins de qualité. On ne peut pas se contenter d'opérations ponctuelles.

Floriane Amayota

Le bus Ophtabus stationné à Terre-Rouge, offrant un accès gratuit aux dépistages de la vision.

Des solutions itinérantes, mais des limites à l’action

Malgré les efforts de l’Ophtabus pour se rendre dans des zones reculées, la logistique reste un défi. "L’année dernière, nous sommes allés jusqu’à Maripasoula et Grand-Santi, mais transporter notre matériel coûteux et fragile dans ces régions est une véritable épreuve," reconnaît Floriane Amayota. "Nous aimerions aller encore plus loin, mais cela nécessite des moyens financiers et humains que nous n’avons pas toujours."

Néanmoins, l’Ophtabus ne baisse pas les bras et travaille en collaboration avec l'ARS pour mettre en place un parcours de soins complet pour les populations du fleuve et des villages éloignés. "Le but est d'assurer un dépistage, mais aussi d'orienter les gens vers les structures de soins adaptées," précise Amayota.

Un appel à l’action pour les autorités sanitaires

L’initiative de l’Ophtabus a permis de dépister 60 adultes et 50 enfants à la mi-journée, mais l’équipe de bénévoles sait qu’elle ne peut répondre à la demande exponentielle des habitants de l'ouest guyanais. 

Nous informons les structures sanitaires de notre passage pour que les personnes dépistées puissent obtenir un rendez-vous par la suite. Mais il est urgent que les autorités de santé, comme l’ARS ou le ministère de la Santé, prennent des mesures concrètes pour que l'ouest de la Guyane ne soit plus le parent pauvre de la santé visuelle

Floriane Amayota.

La responsable de l’Ophtabus conclut sur un message essentiel : "La vision, c'est l'autonomie. Sans un suivi adéquat, les enfants risquent des échecs scolaires, et les adultes voient leur vie quotidienne limitée. Notre rôle est de dépister, mais il revient aux autorités de mettre en place un accès durable aux soins."

L’Ophtabus, en sillonnant la Guyane, a fait plus que dépister des troubles de la vision : il a mis en lumière les failles d’un système de santé qui laisse trop souvent les plus vulnérables sans réponse. Si la solution passe par des actions comme celles de l’Ophtabus, il est clair que des mesures structurelles sont nécessaires pour permettre à chaque Guyanais, et en particulier ceux de l'ouest, de bénéficier d’un suivi oculaire de qualité.