Nichée dans les montagnes amazoniennes, Saül, souffre d’une carence accrue en l’électricité alors que pourtant, en termes d'altitude, elle est proche du soleil, source d'énergie vitale.
Comme bon nombre de bourgades en Guyane, l'électricité arrive tardivement dans la région. En 1975, la population compte 70 âmes. Quatre ans plus tard, Saül aura perdu un quart de ses administrés.
Pour dynamiser de nouveau le bourg tout en valorisant le patrimoine forestier et l'économie, dans un objectif de freiner l'exode rural, la Région Guyane, l'AFME (Agence française pour la maîtrise de l'énergie) et le secrétaire d'État aux DOM et TOM ont financé, en 1985, la construction d'une unité de production électrique d'une puissance de 40 kilowatts. La structure utilise un gazogène alimenté par des arbres débités en bûchettes séchées et brûlées. Cette unité fournit pour la première fois de l'électricité en permanence dans les 30 maisons que compte la commune*.
Début des années 90, l’ambition de la municipalité est de devenir une référence en matière écologique.
Armand Hidair, passionné d'histoire, a posé ses pieds pour la première fois à Saül dans les années 60. Trente ans plus tard, il a eu l'occasion d'y retourner en tant qu'agent de la régie d'eau et d'électricité de Guyane:
C'était un employé municipal qui mettait en route le groupe électrogène, installé dans un hangar. Cela permettait d'alimenter le bourg de Saül de 18h à 22h
Armand Hidair nous explique alors la répartition de ses tâches à l'époque :
La gestion de l'électricité à Saül dans les années 60
Saül devient ainsi, tout comme le village de Kaw à Régina, une terre d'expérimentation pour produire de l'énergie renouvable. Timane Théodore, qui succède en 1992 à Raymond Cochet, veut lui aussi, que sa commune serve d'exemple au reste du territoire, en étant la première à transformer les rayons du soleil en électricité.
Une idée écologique stratégique voit le jour : la création de carbets solaires. Un projet en forme de pied-de-nez au barrage hydraulique de Petit-Saut. Installée entre Sinnamary et Saint-Élie, cette infrastructure a en effet été largement décriée à l'époque. La raison : son impact sur la biodiversité, lors de sa construction. 365 km2 de forêt équatoriale ont été noyés dans le bassin du Sinnamary.
Le projet d'installation de panneaux solaires à Saül
Les idées innovantes fusent à l'époque. Après l'installation du premier groupe électrogène dans les années 80, dix ans plus tard, ces fameux carbets équipés de panneaux photovoltaïques, et chargés d’alimenter chaque maison, voient le jour.
Une idée écologique inadaptée au climat tropical
Une idée brillante pour l'époque, novatrice, qui est très rapidement confrontée aux spécificités de notre territoire. Ces infrastructures sont inadaptées au climat tropical. Très vite, le bois venu d’Allemagne pourri, conséquence de l’humidité.
Un régal pour les termites, une mise à mort sous le regard inquisiteur de cette forêt vierge, à qui on n'a rien demandé comme contribution pour la réalisation de cet ouvrage.
Oui le projet de faire de Saül l’une des premières communes de Guyane en énergie renouvelable était beau en 1992, une époque où le terme développement durable, n’appartenait encore qu’aux spécialistes du genre.
Seulement voilà, EDF qui détient les droits d’exploitation, n’a pas entretenu ces installations. Sans surprise, la nature a repris ses droits au détriment des usagers.
Historique de ces installations
Les premiers carbets solaires installés dans les années 90 avaient une capacité 600 watts. Cela permet de faire fonctionner, un réfrigérateur, un congélateur, une lampe. Ce système ne permet pas, toutefois l'installation de rizeuse électrique ni de plaque chauffante, incompatibles avec les carbets solaires.
La deuxième génération de carbets, elle, a une capacité de 1200 watts. Installée fin des années 90 début des années 2000, fabriquée cette fois avec du bois local. La capacité de production est donc doublée sauf que les appareils électroménagers eux aussi, ont évolué. Ils consomment aussi beaucoup d’énergie et/ou sont plus onéreux. Une technologie qui au-delà des insectes xylophages, se heurte à une autre problématique : la météo.
En effet, dans cette région située en altitude, la pluviométrie est plus importante que dans les communes du littoral, à titre d'exemple. Ainsi, ces panneaux nourris par les rayons du soleil, ont le ventre creux, lorsque la saison des pluies pointe le bout de son nez.
Si certains panneaux photovoltaïques ont encore un souffle de vie, malgré leur vétusté, c'est grâce à l’acharnement et l'investissement de leurs propriétaires.
Une consommation d'énergie sur mesure
D'avril à septembre, en pleine saison des pluies, ceux qui bénéficient de panneaux qui fonctionnent, doivent investir dans des ampoules et des appareils électroménagers de basse consommation, souvent plus chers. Ils ne peuvent par ailleurs pas tous les brancher en même temps, sous peine de voir le compteur sauter. Pour les moins chanceux, à l’arrivée de la pluie, la bougie est de sortie.
De temps en temps, et même de façon récurrente, faute de représentant de la compagnie d’électricité de France, lorsque le groupe électrogène est hors service, quelques techniciens improvisés rafistolent les câbles endommagés pour entrevoir de nouveau la lumière.
Les nerfs des Saüliens sont mis à rude épreuve quotidiennement.
Qui paye la facture ?
Avant 2003, la collectivité gèrait la production globale d'électricité dans la commune. Elle disposait donc d'un groupe électrogène pour fournir l'éclairage public et autres besoins en energie des administrés. Pour ce qui est des carbets solaires, elle vend la production d'électricité à EDF, qui de son côté revend l'energie aux habitants. Le service public a de ce fait, la charge de l'entretien de ces panneaux solaires, de changer les batteries si nécessaire.
En 2003, la Communauté des communes de l'Ouest guyanais, la CCOG, entre dans la boucle. Elle remplace les infrastructures vieillissantes comme le groupe électrogène en 2014. Elle prend en main le gros du dossier la production d'électricité. Une production revendue là aussi à Edf pour qu'elle soit ensuite redistribuée aux clients. La mairie, quant à elle, garde la main sur l'activité du groupe électrogène.
La CCOG selon ses prérogatives, va conduire une étude pour changer tout le système électrique entre 2014-2015. L'idée est ainsi lancée, d'implanter dans cette région d'Amazonie, une centrale hybride, utilisant à la fois le photovoltaïque et un groupe électrogène pour la production d'un champ solaire. Un lieu de production dédié à l'insfrastucture, toujours dans les cartons. Une production d'énergie verte destinée aux différentes habitations.
Dans les faits, la répartition des tâches n'a pas forcément démontré son efficience.
En 2018, la CCOG se retire de cet accord tripartite en raison de la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie, la fameuse PPE. Désormais, l'avenir énergique de la commune est suspendue à ce programme de l'État. La collectivité a de nouveau la charge de la production de l'électrité et est censée la revendre à la compagnie d'électricité.
Sauf que dans la réalité depuis 2018, c'est le flou artistique en la matière. Parmi la cinquantaine d'habitants réguliers que compte la commune, ils sont peu nombreux à payer une facture. La raison est très simple : l'argent pour maintenir la mise en service de leur carbet solaire individuel sort...de leurs poches. Pas question pour ces derniers de payer une facture, qu'ils ne reçoivent pas de toute façon, tant qu'ils ne se sont pas fait rembourser.
Qui est responsable ?
Pour la mairie, le responsable de ce brouillard c'est EDF qui n'assure pas l'entretien nécessaire des machines. La collectivité assure avoir toutefois des projets pour améliorer la vie de ses habitants en matière d'énergie. La création d'une centrale hybride est en effet à l'étude :
Les carbets photovoltaïques sont installés depuis plus de vingt ans. Ils sont en souffrance
Les précisions de Jean-François Bernard, le premier adjoint au maire de la commune de Saül :
Les carbets photovoltaïques sont en souffrance
Une question reste non résolue : il y a-t-il une trace de l'électricité produite et revendue à EDF, de 2018 à nos jours ? Question à laquelle la mairie est dans l'incapacité de répondre. Du moins, la première magistrate, Marie-Hélène Charles, qui ne réside d'ailleurs pas à Saül. Nous avons tenté de la joindre à de multiples reprises, elle n'a pas souhaité répondre à nos questions.
À cette situation bancale, EDF brille par son mutisme. Le service public n'a pas non plus, répondu à nos demandes d'explications.
En attendant, ce renvoi de balle entre la mairie et le fournisseur d'électricité se fait au détriment des habitants, résignés.
Source : * Histoire des communes Antilles-Guyane