Situation coutumière à Wallis : ça se complique pour l'intronisation!

Milieu de matinée ce mercredi. Le journaliste de Wallis et Futuna 1ère suit la réunion de dizaines de personnes qui contestent l'intronisation annoncée
Plusieurs dizaines de personnes occupent depuis tard dans la soirée de mardi 12 avril le Palais royal, place Sagato Soane. Elles veulent empêcher l'intronisation d'un nouveau Lavelua (Roi) samedi prochain. Une tension coutumière pour l'instant dans le calme.
Le feu couvait depuis près de deux semaines. Ce matin les flammes sont apparues au grand jour.
En cause, la désignation par la Grande Chefferie d'un successeur au Roi Kapeliele Faupala, destitué début septembre 2014. Tominiko Halagahu -actuel chef de district du nord- a été choisi par la grande Chefferie et par certaines des familles royales. Parmi elles celle du précédent roi et celle du Lavelua Tomasi qui avait régné 48 ans sur Wallis.

Le nouveau Lavelua, "casus belli"

L'annonce -après de multiples réunions des chefferies des villages et des chefs de district- avait été faite lors d'une ultime réunion -le premier jour d'avril- de la grande Chefferie au fale royal. Ils avaient écouté les opposants à la désignation. Ils représentaient une majorité des familles royales... Ecoutés mais non pas entendus...Leur demande de surseoir à toute annonce n'avait pas été acceptée.
Le soir même, sur nos antennes de Wallis et Futuna 1ère, le Ministre coutumier monua Pasilite Hensen annonçait la décision de la grande Chefferie : "nous avons décidé l'intronisation du futur Lavelua le samedi 16 avril. Nous avons choisi Tominiko Halagahu". Le monua souhaite mettre un terme à la recherche vaine de Lavelua depuis près de deux ans. Il explique que la grande Chefferie souhaite aussi rééquilibrer les pouvoirs définis par le Statut de 61. L'absence de Lavelua affaiblit le pouvoir coutumier.


Coup de force... ou pas?

Le lundi soir, après une réunion des opposants dans le district nord, réplique des "anti-désignation". "Le futur roi d'Uvea annoncé par la chefferie, nous ne le reconnaîtrons pas" affirme leur porte-parole. Ils condamnent ce qu'ils perçoivent comme un "coup de force illégitime" de la grande Chefferie et d'une petite poignée de familles royales.
Atoloto Talagaha, au nom des familles royales, rappelle la règle coutumière : ce sont les familles royales qui choisissent le Roi parmi les lignées royales. Elles vont ensuite voir la grande Chefferie qui organise alors l'intronisation. Et pas l'inverse...

A Wallis, le titre n'est en effet pas héréditaire même s'il circule toujours au sein des mêmes grandes familles de "sang royal". Nombreux sont les exemples dans le passé du Protectorat français (à partir de la fin du XIXème siècle) où des Rois ont été destitués. 
Le système actuel d'organisation de la Chefferie -avec ses Ministres, ses chefs de district et ses 21 chefs de village- date du Père Bataillon au XIXème siècle. "Il s'est inspiré d'un système mis en place par les Protestants à Tahiti où il était passé avant de venir à Wallis" commentait récemment sur notre antenne l'historien Mika Tui, adjoint au chef des Affaires culturelles. Un système qui a mis fin à de sanglants affrontements qui ponctuaient régulièrement les successions coutumières.

Etat et affaires coutumières

Pour bien se faire comprendre, les familles royales décident la destitution de la grande Chefferie actuelle. "Je vous le dis" martèle Atoloto Talagaha "le sage des familles royales a destitué la grande Chefferie sauf les chefs de district. Il n'y a plus de grande Chefferie pour nous" conclut-il devant l'équipe de Wallis et Futuna 1ère.
Un texte signé par une quarantaine de membres est ensuite porté chez les préfet.
Interrogé sur ce document remis entre ses mains, le représentant de l'Etat déclare "l'Etat ne s'immisce pas dans les affaires coutumières".  Dont acte. 

Calme avant la tempête?

Les jours passent sans événement marquant. Réunions d'un côté, réunions de l'autre. Une délégation de chefs coutumiers s'envole vers Nouméa pour inviter les coutumiers du caillou.
Le temps est aux rumeurs... De véritables "hakas verbaux" destinés à troubler l'adversaire sont prononcés sous les fale.
Le "bloc" favorable à l'intronisation (grande Chefferie, les trois chefs de district et tous les chefs de village en fonction) ne se fissure pas. Même si tel ou tel comportement, telle ou telle absence ou brusque maladie laisse percevoir des grincements de décision... Mais rien de concret... jusqu'à ce mardi 12 avril au soir. 

Le Palais royal occupé

Un groupe de villageois du district du centre -accompagné de chefs coutumiers- occupe en fin de soirée le Palais royal. Un lieu hautement symbolique devant lequel doit se dérouler la cérémonie d'intronisation samedi 16 avril.
Une réunion commence au "fale de hahake", le bâtiment qui jouxte le Palais royal où est offert le "kaï" (repas) après les cérémonies place Sagato Soane. 
Beaucoup de monde. La chefferie de hahake et de nombreux villageoisdu centre, des représentants d'autres villages sud et du nord. Plus de soixante personnes. 
Les représentants des familles royales ré-affirment leur détermination d'empêcher toute intronisation. Il est décidé que l'occupation durera au moins jusqu'à dimanche.
Les participants décident de poursuivre leur cheminement dans la voie de la contestation. Il ne s'agit plus seulement de refuser un Lavelua, il s'agit d'aller vers une nouvelle désignation de représentants coutumiers et à terme de souverain. Ils se répartissent les titres et vont en milieu d'après-midi en délégation chez le préfet.

Un point-clé : le Conseil de circonscription

Ils donnent oralement au représentant de l'Etat une liste de noms destinés à constituer les "conseil de circonscription". Dans les textes (arrêté 19, article 9) "le Conseil de circonscription constate par délibération la nomination des chefs traditionnels".
Ce Conseil est constitué -toujours dans cet arrêté- du Lavelua (pas de Lavelua aujourd'hui), du Premier ministre (pas de Premier ministre) et des cinq ministre coutumiers issus des trois districts.
Le préfet est alors chargé de publier cette décision.
Demain, les cinq ministres dont les noms ont été donnés au préfet, se réuniront dans ce qu'ils considèrent un nouveau Conseil de circonscription. Légitime pour eux car issu de désignations faites par des familles royales au sein de familles royales. 
Le "hic", c'est que l'actuel "Conseil de circonscription" -validé par l'Etat- est constitué de la grande Chefferie qui a choisi le futur Lavelua. On la voit mal se faire "hara-kiri" et démissionner.

Droit ou coutume? Droit et coutume?

Quel sera le choix du représentant de l'Etat? Il n'existe pas -par définition- de "droit coutumier écrit. La tradition orale dans les sociétés polynésiennes remplace notre sacro-saint Droit  issu du Droit romain écrit. Les jours à venir devraient nous apporter la réponse.
De son côté la grande Chefferie garde le silence. Son porte-parole, le monua Pasilite Hensen, nous a précisé au téléphone "pas de déclaration aujourd'hui! Nous nous réunissons demain comme prévu". Il a par ailleurs rappelé que l'arrêté 19  "a été confirmé par le Conseil d'Etat".

Ce soir, les discussions vont bon train sous les "fale" et dans les maisons. Les rares voitures éclairent de leurs phares une île apparemment tranquille à quatre jours de la fin des vacances.
Il ne faut pas s'y tromper. Le climat coutumier dans les villages est quand même à l'orage, comme le ciel qui n'en finit pas de déverser des trombes d'averses tropicales.
L'Etat a pris ses précautions. Deux escadrons de gendarmes mobiles venant de Nouméa sont arrivés sur le Territoire.