Un document très controversé se trouve actuellement sur les bureaux des ministres de l’Agriculture et des Outre-Mers… Il s’agit d’un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Il évalue les politiques de soutien à l’agriculture des DROM et suggère des pistes pour atteindre une autonomie alimentaire d’ici quinze ans, selon l’objectif fixé en octobre 2019 par le président de la République (lors de son discours à la Réunion).
Malgré des soutiens financiers substantiels, de l’Union européenne et de l’Etat, le poids économique de l’agriculture dans les DOM ne cesse de décliner, constatent les auteurs en préambule, avec une dépendance accrue aux importations pour se nourrir. Alors comment transformer nos modèles agricoles, pour parvenir à l’autonomie alimentaire à l’horizon 2035 ? Le rapport recommande une approche territoire par territoire, et basée, non plus sur l’offre agricole, mais sur la demande alimentaire, elle-même liée à l’évolution démographique de chaque région : forte croissance attendue en Guyane et à Mayotte, plus modérée à la Réunion et négative ou nulle aux Antilles.
Vers une aide basée sur la demande alimentaire
Ainsi, l’aide à l’agriculture ne serait plus raisonnée par filière, mais de façon globale, avec une enveloppe annuelle allouée à chaque territoire en fonction de la population à nourrir. Et cette enveloppe serait répartie selon trois objectifs : 30 à 50% des fonds pour augmenter les productions destinées au marché local (sur la base des surfaces cultivées, avec une majoration selon le tonnage livré) ; 20 à 30% pour appuyer les structures et moyens de production (en fonction des hectares effectivement mis en valeur) ; et enfin 30 à 50% maximum pour accompagner les productions destinées aux marchés extérieurs (canne, banane, melon, ananas), mais en fonction des volumes effectivement expédiés.
Moins pour la Martinique et la Réunion
Alors, ces nouveaux critères modifieraient-ils les montants des aides agricoles pour chaque territoire ? Le rapport propose une simulation, sur la base des 578 M€ versés en 2019 : l’enveloppe resterait stable pour la Guadeloupe (130 M€ par an). Elle augmenterait très significativement pour la Guyane et Mayotte ; mais baisserait de 22% pour la Martinique et de 15% pour la Réunion…
Une approche jugée contre-productive
Les conclusions de ce rapport suscitent une vive réaction parmi les représentants des différentes filières agricoles des DOM. 19 organisations interprofessionnelles de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion, représentant les filières canne, sucre, banane, élevage et maraîchage, ont adressé, le 3 novembre 2021, un courrier à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, et Sébastien Lecornu, ministre des Outre-Mers, pour leur dire leur « grand étonnement » et leur « inquiétude ».
« Ce rapport propose un bouleversement complet de l’approche de l’agriculture dans les DOM, dans un sens qui nous semble aussi contestable que contre-productif », écrivent les signataires du courrier, qui voient là une remise en cause des politiques publiques et une volonté de désengagement de l’Etat.
Canne et banane : réduction contestée des aides
Tout en convenant qu’il faille augmenter les subventions pour les productions guyanaise et mahoraise, les représentants de l’agriculture ultra-marine estiment que l’approche purement budgétaire et basée sur le nombre d’habitants ne tient pas, et va créer une « concurrence malsaine » entre les territoires et entre les productions, notamment avec la proposition (jugée irréaliste) de diviser par deux (-47%) l’enveloppe actuellement consacrée aux cultures d’exportation, dont la banane et le sucre.
Des préconisations jugées mortifères
« Si une telle mesure devait être retenue, elle entraînerait sans nul doute, aux Antilles et à La Réunion, l’effondrement aussi bien des filières d’exportation que de la diversification », vu l’interdépendance entre ces différents secteurs agricoles, affirment les interprofessions des DOM, qui jugent le rapport « en totale contradiction » avec leurs propositions, faites il y a un an, pour compenser les freins à une plus grande autonomie alimentaire. Celle-ci nécessite le maintien des dispositifs de soutien nationaux et communautaires destinés à compenser les handicaps de compétitivité des filières, concluent les signataires du courrier, souhaitant que ne soient pas retenues, les « préconisations mortifères » de ce rapport, commandé par les deux ministères.
" Si on touche à la canne et à la banane, ciments de l’agriculture guadeloupéenne, c’est la globalité de cette agriculture qui sera en difficultés"
Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG) avait été auditionné en mars 2021 par les rapporteurs, en tant que président de la SICAPAG, une des coopératives de fruits et légumes de la Guadeloupe. Il conteste lui aussi les conclusions du rapport, et la réduction des aides envisagée pour les cultures d’exportation, rappelant qu’en Guadeloupe, la canne et la banane représentent à elles deux 17 000 hectares, soit près de la moitié des terres cultivées. Le syndicaliste préconise plutôt un nivellement par le haut des dispositifs de soutien financiers actuels, ce qui suppose une réévaluation des enveloppes allouées, notamment celle du POSEI :
Alex Bandou, président de la SICAPAG
La préconisation du rapport, visant à rééquilibrer les aides entre les territoires, en tenant compte avant tout des populations à nourrir, relève de l’hypocrisie, selon le secrétaire général de l’UPG :
Alex Bandou, secrétaire général de l'UPG
Ce débat alimentera le prochain déplacement d’Arnaud Martrenchar, le délégué interministériel à la transformation agricole des Outre-mers (nommé fin 2019). Il est attendu en Guadeloupe fin novembre-début décembre, pour une visite d’une semaine…