Emploi et foncier à Wallis et Futuna : mode d'emploi!

L'emploi foncier était au coeur du conflit qui s'est traduit par le blocage du lycée et du vice-rectorat par les habitants du village de Mata Utu. Retour sur cette notion "emploi foncier" qui lie terre et emploi.
L'emploi dans nos territoires -plus encore qu'en métropole- constitue une préoccupation majeure de la population. Pourtant, pas de paupérisation, pas de "sans domicile fixe". La possession du foncier permet à chaque famille d'avoir un toit et de quoi manger.
La solidarité traditionnelle entre les habitants fondée sur la coutume et un réseau de proximité est restée plus vivace à Wallis et Futuna que dans la majorité des îles du Pacifique. 
En fin de mois, ceux possèdent de l'argent règlent les factures de ceux qui en ont peu ou pas. 
Le système repose sur 2500 personnes déclarées dont 60% dans le service public ou para-public. Il faut ajouter à cela toutes les activités non-déclarées payées souvent une misère... quand ce n'est pas en nature dans certaines boutiques d'alimentation.
Mais cela ne suffit pas.
Eau, électricité, carburant, téléphone et denrées de base comme le riz, le sel etc... pour acquérir tout cela il faut avoir en poche ou sur un compte des Francs Pacifique.

Terre et emploi

Il n'est donc pas étonnant que le lien se soit établi entre l'emploi et le seul "objet" d'échange -en dehors de la force de travail du salarié- la terre, le foncier coutumier.
Dans un contexte très différent en métropole, les exemples ne manquent pas d'ouvertures d'entreprises qui privilégient l'emploi local dans un contexte de fort chômage... Le cas de Nissan à Flins est un des plus connus.

A Wallis et Futuna, la question du foncier n'a jamais été tranchée. Le statut du 29 juillet 1961 a inscrit le Droit coutumier dans la loi de la République. Ce que souligne l'historien  Allison Lotti : "Depuis 1961, l'application du droit coutumier dans ces archipels est l'objet d'une bataille constante entre tradition et modernité". Une phrase qui s'applique tant au statut de "droit personnel local" qu'au statut du foncier.

Conflit tradition-modernité

Si on s'en tient à la Loi de 61, l'existence de la coutume est reconnue... mais confiée à l'Assemblée territoriale. En 1967, les élus et le chef du Territoire -qui n'a pas encore le rang de préfet- tentent même d'imposer un cadastre et un Plan d'urbanisme. En vain. Le lien serré entre terre et famille ne se desserre pas par décret.
La magistrate Antonia Tamole et le conseiller à la cour des comptes Olivier Amiot en font le constat dans une analyse toujours d'actualité : "Le Wallisien et le Futunien s'identifient à leur terre. Ils appartiennent à un domaine foncier qui a une histoire. Nul ne peut résider sur une parcelle de terre s'il n'a un lien de sang avec le clan à qui appartient la terre". Et de conclure : "Le lien avec la terre est donc le lien du sang".
Le "matu'a", l'ancien transmet le patrimoine dont il n'est que l'administrateur. Dès 1935, Eric Rau dans une thèse de droit remarquait : "Le patrimoine familial est intangible (...) mais les donations en "usufruit" de ces liens ne le sont pas".

Emploi contre terrain

A ce point se noue le lien étroit qui unit foncier et emploi quand la France s'engage à développer des îles qui possèdent désormais le statut de Territoire.
"Il me semble que les premiers emplois dits "fonciers" naissent quelques années après 61, au moment où l'aéroport de Hihifo s'agrandit." se rappelle un élu de l'époque.
Il faut des hectares de terrain supplémentaire. En 1942 les américains -guerre obliqe- ne s'étaient pas embarrassés de coutume en construisant à coups de bulldozers une piste de près de 2000 m pour leurs bombardiers.
Un peu plus de 20 ans plus tard, en 1967, le statut de 61 était passé par là. La paix aussi!
L'allongement de la piste pour accueillir les avions de l'armée en transit vers les sites nucléaires de Mururoa est un impératif stratégique. L'Etat n'a pas discuté quand des emplois ont été demandés en échange du terrain.

Les attributions foncières de la Reine Amelia

Petit à petit, dans une société wallisienne et futunienne qui s'engage résolument dans l'économie de marché "l'échange" devient de plus en plus fréquent.
La page du temps de la Reine Amélia est tournée. En échange du statut du protectorat elle a -comme cela se fait traditionnellement dans la culture polynésienne- fait montre de son amitié en attribuant des terres ("usufruit " ou don, le débat est aujourd'hui relancé...) aux nouveaux arrivants : la pointe de Matala'a et l'actuelle résidence du préfet.
A Tahiti, la reine Pomaré aura le même geste à l'égard des nouveaux arrivants européens. 

Conventions et baux emphytéotiques

Les conventions, protocoles et baux emphytéotiques se multiplieront avec la présence de plus en plus marquée des Européens. Les clauses d'emploi, écrites souvent, non écrites aussi, s'appliquent de toute façon. Et avec d'autant plus de rigueur que l'enjeu en termes d'emploi est important.
Pour les entreprises et les commerces, l'ouverture est conditionnée à l'emploi familial ou foncier. Pour les petits commerces comme pour les grandes surfaces.. En avril 2014 une nouvelle grande surface qui devait ouvrir ses portes incessamment a évité de peu le blocage après un début de tension sur le foncier. Les employés sont aujourd'hui quasiment tous issus du village ou du district.
Un autre commerçant qui a pignon sur route a résisté quelques semaines avant de céder à la demande du village.
A Futuna, chacun se souvient du conflit lié au foncier qui a perturbé le SPT.
Jardiniers, gardiens, employés de maison ont la plupart du temps des emplois liés au foncier.


L'Education nationale : une manne pour l'emploi local

L'arrivée de l'Education Nationale -collèges et lycée- crée un "appel d'air" pour l'emploi foncier. Pour l'emploi en général aussi avec ses centaines d'enseignants et ses personnels administratifs.
Le décision d'ouvrir un lycée est prise début 90. L'objectif est de retenir au fenua les élèves qui sortent des collèges. Ils étaient auparavant obligés de s'exiler en Nouvelle Calédonie pour suivre les enseignements du second cycle.
Le village de Mata Utu accepte de concéder 10 hectares pour 1 Franc symbolique à l'Education nationale.
Un bail emphytéotique courant jusqu'en 2099 est signé en 1991 par le préfet
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Dans ce bail apparaît clairement une contrepartie : l'Etat accepte une contrainte d'emploi foncier :"la main d'oeuvre, composée des agents d'entretien et des surveillants, des adjoints éducatifs de la vie scolaire est recrutée en priorité au sein du village de Mata Utu ou à défaut du district de Hahake".

Le non-respect de cette clause -même dans un contexte particulier- est à l'origine du conflit actuel. Cela a déjà été le cas dans d'autres établissements scolaires, cette année et les années précédentes.

Rien de nouveau sous le soleil du Pacifique

Le niveau de détermination du village -plus de 50 personnes mobilisées- renvoie à ce lien très fort entre "emploi" et "foncier" qui structure la pensée polynésienne.

Il n'est donc pas surprenant qu'à chaque fois le non-respect -réel ou pas- de cette clause se termine -à l'Education nationale comme dans les entreprises privées- par un passage après plus ou moins de jours de conflit "sous les fourches Caudines de la coutume".