Ce patron de scierie garde la foi pour diffuser de nouvelles techniques de construction de maisons à ossature bois local

La scierie exploite principalement le pinus
D’une voix posée, Taifisi Folitu’u. décrit la croissance de sa scierie. Son objectif, il le réalise progressivement à Wallis : livrer des maisons préfabriquées en bois. Pour un habitat local écologique, bon marché et confortable.

Quelles sont les perspectives de votre entreprise ?
Taifisi Folitu’u : Je veux construire des maisons en bois local. Normalement, l’an prochain, j’ai une machine de 5 mètres qui me permettra de fabriquer des parquets, lambris et clins de bardage. Mais pour construire de la maison préfabriquée, il faut un appareil de levage. Donc un camion. Avec cette machine, je pourrai installer un bungalow. Mes gars en menuiserie réalisent les portes et fenêtres. Je pourrai proposer du clé en mains, de la maison au mobilier. Le but final, c’est ça.

Le bois est plus confortable que le béton pour construire une maison ?
Bien sûr : Le matériau bois absorbe 60% de la chaleur et n’en rend que 40%, alors que le béton restitue toute la chaleur. On peut faire un mix pour les accros, un mur en béton avec un bardage en bois.
Pour la maison à ossature bois, je peux fabriquer des plaques d’OSB grâce aux chutes passées au broyeur, je fais une table avec de la colle et fabrique l’OSB avec des gros morceaux. C’est beaucoup plus solide que l’aggloméré.

Le bois pourrait être utilisé en couverture de bâtiment ?
Pour le toit, je poursuis mes tests depuis 6 ans, avec différents bois :  manguier, pinus, togovao. Le pinus se comporte bien, le manguier pourrit. Peut-être en le traitant, je pourrai faire des bardeaux bois en couverture. Actuellement, je mélange ossature bois et intérieur en placo dans une construction-témoin.

Quelle est votre clientèle ?
A 99% publique. Mais si les commandes publiques ne nous assurent pas un plan de charge, comment on fait ? Les fonctionnaire peuvent emprunter pour faire leur maison, et nous derrière, on pourrait travailler. En 2015, j’ai pris une patente de construction pour faire de la charpente et démontrer qu’on peut produire en bois local. Des maçons râlent : c’est pas bon, c’est trop dur. Ils ne connaissent pas le bois. J’ai construit le fale de la République, l’abri du scanner à l’hôpital, le marché, la délégation de Futuna. Le collège de Sisi’a, et des chantiers privés. J’essaie de fournir Samoa, de démarcher les clients en menuiserie pour des sommiers, meubles…

Que demandent les clients ?
Les gens veulent du bois traité, même en intérieur. Le bois respire en fonction de l’humidité. Si tu mets un produit de traitement, le bois va expirer ces produits dans l’air. Si tu veux tuer des petites bêtes de 5mm avec un produit toxique, à la fin, c’est toi qui te tues tout seul.
Mettre du H3 ou H2 (v. encadré) dans un maison, pour faire un lit, c’est mauvais quand tu dors dessus.
Quand je parle de ça, des gars disent : il prêche pour sa paroisse. Mais je suis anti-traitement.
Tant que le bois est abrité, il dure longtemps : Nos grands-parents vivaient dans des cases en bois d’arbre à pain. Certaines cases sont encore là depuis 100 ans.

Les mentalités évoluent à l’égard du bois ?
Oui, les mentalités ont changé depuis 20 ans. Le bois, c’était nos parents. Les fale, c’est mieux en bois. On parle d’écologie depuis la tempête des années 2000 en métropole, pour utiliser la ressource bois. Construire en béton, c’est typiquement français et italien. Fidji construit en bois, la Nouvelle-Zélande aussi, l’Australie et Samoa.

La pinède plantée suffirait-elle ?
Le Territoire a planté pour 25 ans d’exploitation au rythme actuel, à 2000m3 par an. Des privés replantent aussi.
Quand je coupe, le Territoire replante. Il y a 8ha replantés actuellement en pinus, acajou, teck, des bois exotiques de Futuna, avec un bon plan de gestion de la ressource. Le pinus ici fait peu de rejets. Alors qu’en Calédonie, c’est une espèce envahissante. Mais il a même changé le climat wallisien. Au nord, on ne pouvait pas planter de féculents. Depuis que le pinus a poussé, ça a changé. C’est un cas d’école ici, les feuillus locaux poussent dessous, en corrigeant le Ph du sol. Avec le pinus, le sol basique devient équilibré grâce à l’acidité de l’arbre. Ça crée un abri pour les animaux/ Le soir, on entend les pigeons, les roussettes…

Quel changement aimeriez-vous voir à Wallis ?
L’idéal est de satisfaire les usages locaux pour limiter les importations. On a un problème de communication dans les instances publiques. Les marchés publics ne privilégient pas le bois local dans les travaux publics. Ils achètent aux magasins. Ils croient que le bois importé est traité et plus résistant.  Les importateurs vendent du bois simplement désinsectisé mais pas traité. Alors que notre bois local non traité est plus résistant. Il ne se fait pas manger par les insectes et champignons.
On devrait mettre des quotas d’importation, comme en Nouvelle-Calédonie. Faut travailler. Dans le cadre des accords particuliers, on aurait pu lever les taxes pendant un an et développer ce marché. J’ai envoyé toutes les fiches techniques aux services du coin. Mais sans quota, ça ne sert à rien. Ici, les élus ont bloqué l’export vers la Calédonie.

Quels sont vos besoins pour développer l’activité ?
J’aurais bien aimé que le préfet vienne pour que je lui explique ça. J’ai des besoins en machines. Une ligne de sciage complète, c’est cinq postes :
1. la scie de tête qui transforme la grume en planches (5cm),
2. la scie de reprise,
3. la déligneuse qui scie les épaisseurs pour que tout soit d’équerre.
4. Après, il y a une ébouteuse, qui coupe les bouts à longueur standard.
5. Ensuite, éventuellement, le traitement.
On n’a que la scie de tête actuellement. On est obligé de faire un par un, donc on n’arrive pas à sécher nos bois, car la ligne de sciage est incomplète. Le Territoire m’a financé à 46% la scie de tête. C’est bien. Mais pour eux, ça suffit. ils pensent qu’il n’y a plus besoin de m’équiper.

C’est difficile, la technique de scierie ?
Oui, c’est très technique. Entre le choix des troncs, le sciage des grumes pour savoir comment tu vas l’optimiser, regarder les fibres pour que le bois ne tourne pas, le poste de séchage…

Quelle est la clé pour l’aide au développement ?
Convaincre. On parle d’écologie, de développement durable, et on n’en fait pas alors que notre seul matériau local, c’est le bois. Au lieu d’aller creuser la carrière pour faire du béton !  Le bois est un matériau écolo, on fait des rotations de parcelles forestières de 20 ans. Il faut une vraie volonté. Ça fait 7 ans que ma scierie a fait ses preuves

Quelles relations entretenez-vous avez l’administration ?
Lorsque je me suis présenté en 2010 à l’administration des forêts de Wallis, ils m’ont dit spontanément : « On n’a pas d’argent pour vous, on arrête de financer l’activité bois.
- Je ne suis pas venu vous demander de l’aide financière. Vous êtes bien un service technique de la forêt? Je suis simplement venu vous avertir que ma scie arrive dans un mois. Ça me paraît logique qu’on travaille en collaboration avec les services techniques qui vont valider mes équipements. »
Et puis on s’est débrouillé seul. Pendant un mois, on a scié au soleil, sans abri. Pour le levage et le transport, on utilisait un vieux camion de l’armée avec les casques dedans, tout le monde se fichait de nous. Ca a duré un an. Puis le service technique est venu me demander : « Vous ne voulez pas de l’aide?
- Non, vous m’avez mal accueilli. »

Plus tard, ils sont revenus doucement, on a travaillé ensemble pour mettre en place une formation bûcheronnage, on a formé 5 jeunes. Avec l’AFPA, le lycée agricole, les service de l’agriculture. Le service technique s’est servi de ma création d’activité pour demander des fonds supplémentaires au ministère. Il y a eu trop d’abus avec les subventions, pour les porteurs de projets. Beaucoup demandent des subventions pour s’équiper et laissent tomber leur entreprise. Quand t’as l’argent facile, tu ne prends pas conscience de l’importance de ce que tu fais. Le Territoire a financé un camion grumier en 2009. Le camion est flambant neuf, il n’a jamais porté une grume. Depuis 2009, il dort près de l’aéroport, parce que le gars qui a porté ce projet financé par fonds publics ne veut pas le lâcher. Il ne lui appartient pas. Le gars n’a pas respecté sa convention avec le Territoire.

L’administration vous écoute ?
Ça fait 3 fois que je demande une réunion de travail au service des forêts, alors je suis allé voir le préfet, du coup. Il devait venir cette semaine mais a du reporter sa visite.
J’ai dit à la ministre de l’Outremer, en présence du préfet : il faut protéger l’économie locale, avoir un retour sur investissement puisqu’on a acheté ce matériel ensemble. Comment on peut embaucher ? De décembre à juin, avec les élections, on n’avait pas de boulot. J’ai été obligé de licencier 5 personnes. J’ai essayé de garder le minimum, de payer les arriérés. Au mois de septembre, avec le retour de crédits, je me débrouille avec une dizaine de personnes.

Quelles demandes avez-vous formulées aux institutions ?
J’ai demandé qu’on goudronne au moins une portion du chemin en pente, parce que lorsqu’il pleut une semaine, on ne passe plus. Nous sommes bloqués à la scierie. Nous sommes obligés de surveiller la météo pour décider des jours de coupe et de transport des grumes.
Dans mon activité, il faut être très motivé, patient et surtout autonome.

Avez-vous demandé autre chose au Territoire ?
Oui, une détaxe. Selon le rapport Bastille, « il faut aider la filière bois dans les investissements matériels. » Qui a validé le rapport Bastille? C’est bien l’administration. Je demandais la détaxe. Quand ils m’ont dit n’avoir jamais détaxé des marchandises de l’OGAF, je leur ai rappelé la liste des bateaux détaxés. Et mon expérience à l’Assemblée du Territoire a servi. Je suis allé leur parler. Selon ce rapport, il faut développer le secteur primaire. Pourquoi ne pas faire une délibération de détaxe pour ce secteur ? Comme je connais les procédures de l’assemblée, ils ont adopté ça en avril après ma réunion en décembre. Désormais, tout le secteur en bénéficie grâce à mon intervention. Par exemple, celui qui achète un tracteur est détaxé maintenant.

Le classement naturel des bois
Classe 1 (H1) : léger
Classe 2  (H2) : abrité pour mobilier et charpente (pinus)
Classe 3 (H3) : portage, parfois mouillé, mais pas en contact avec le sol
Classe 4 (H4) : contact permanent avec le sol (poteaux téléphoniques, traitement en autoclave à l’arsenic, etc. C’est du pinus traité dans des fours qui cuisent et injectent le produit dans le bois. Ca dégage ensuite du produit). Le chêne est naturellement classe 4 car résistant par son élément chimique que dégage le bois qui le rend résistant aux champignons et insectes ravageurs. Car l’arbre en vieillissant met ses déchets dans son cœur. D’où la différence entre l’aubier et le cœur.