Non loin du wharf de Mata-Utu, un grand deux-mâts fin comme un oiseau est au mouillage. Des voiliers qui mouillent, il y en a régulièrement dans le lagon, mais celui-ci intrigue. Sur sa coque est écrit "Voice of the ocean", un nom qui résume toute sa mission. Construit avec l’aide de 40 donateurs, ce voilier de 24 mètres de long et de 6,37 mètres de large s’est élancé dans un voyage mondial vers 65 destinations de la planète en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement.
"En 2015, on s’est arrêté sur un atoll, et sur 100 mètres, on a recueilli plus de 10 sacs-poubelles de déchets plastiques. On a fait une vidéo qui a buzzé avec plus de trois millions de vues. On s’est réuni avec des scientifiques et des journalistes et des gens pour réfléchir à comment donner aux océans ce qu’ils nous donnent, et ce qu’il faut léguer à nos enfants, c’est ainsi qu’on a créé la "Voix des océans" ", raconte Héloïsa Schurmann, elle qui se désigne comme la "maman" de l’équipage sur le bateau qu’elle considère comme "sa maison". Une maison qui se nomme "Kat" et qui ne doit pas son nom au hasard, puisque c’est le surnom de la fille adoptive d’Héloïsa, malheureusement disparue.
Un voilier unique
Ce qui marque en montant sur le deux-mâts, c’est que tout est pensé pour consommer le moins et recycler le plus. Il a été construit sur mesure. Évidemment, en tant que voilier, le navire se déplace à la force du vent, n’utilisant son moteur que pour des manœuvres dans les ports notamment. Mais là où il se détache des autres, c’est par l’utilisation de panneaux solaires à la poupe ainsi que de deux petites éoliennes. Le tout sert à alimenter des batteries au lithium, très efficientes.
Qui dit voilier, ne dit pas à l’ancienne. "Kat" se gère comme une maison à la pointe de la modernité. Dans le poste de commandement, un écran tactile permet de presque tout gérer, la consommation du bâtiment, les temps de rechargement des batteries,… c’est littéralement de la domotique. L’eau utilisée dans le navire pour la vie de tous les jours est même filtrée aux UV pour éviter de relâcher des bactéries dans les océans. L’eau du navire qui provient d’ailleurs directement de l’extérieur grâce à un système de dessalinisation.
Quid des déchets. Le recyclage est bien sûr de mise, mais il y a plus. Un compacteur est installé sur le navire pour réduire le plus possible la taille des déchets, permettant de gagner de la place. Il y a aussi un composteur pour ne pas jeter inutilement les déchets organiques. Enfin il y a une machine spéciale, que Wilhelm "garanti" comme étant le premier navire à en être équipé : un broyeur de verre. C’est intrigant, les bouteilles en verre vide ressortent de la machine comme du sable, qui peut être ainsi utilisé de plein de manières différentes, comme matériau de construction par exemple. Petit bonus, il y a même deux petites serres à l’arrière du navire pour faire pousser des salades ou des herbes aromatiques.
Sensibiliser à la pollution plastique
Sur un tel navire, Héloïsa et Wilhelm Schurmann, accompagnés de quatre membres d’équipages, se sont élancés pour une première étape de leur tour du monde. Le "Kat" est ainsi parti du Brésil le 29 août 2021, il a navigué sur le fleuve Amazone, est remonté dans les Caraïbes, a longé la côte américaine jusqu’au Canada, est redescendu en passant par le Mexique, a traversé le canal du Panama, s’est arrêté aux Îles Galapagos, est allé à Pitcairn, puis en Polynésie française avant d’arriver à Wallis. Un sacré voyage ! Ne restent plus que les Fidji et la Nouvelle-Zélande pour clôturer cette première longue étape en novembre.
"Quand la saison des cyclones est finie, on va faire la deuxième étape, on va aller au Japon, au Vietnam, en Indonésie, puis direction l’Océan Indien, l’île Maurice, Madagascar, l’Afrique du Sud et on rentre au Brésil".
Wilhelm Schurmann
"Tous les endroits où je mets mon pied, je trouve des plastiques" se désole Héloïsa. Il faut dire que la pollution des océans affecte près de 1 000 espèces marines et le nombre de zones mortes enregistrées, où la vie marine ne peut pas survivre, dépasse les 500. Les déchets plastiques tuent à eux seuls environ 100 millions d’animaux marins chaque année. Un constat terrifiant que le tour du monde de la "Voix des océans" semble confirmer.
Mais il y a quand même de l’espoir. "Il y a beaucoup de gens, même dans les petits villages de pêcheurs, qui travaillent pour changer le plastique laissé dans la mer", se réjouit la "maman" de l’équipage. Par exemple, ils ont rencontré un pêcheur qui avait une "montagne" de filets de sardines, et des gens les récupèrent pour en faire des sacs, une manière d’éviter de voir ses filets se perdre en mer. Ce qui ressort déjà du voyage, c’est un message important, qui peut sembler trivial mais qui ne l’est pas, on ne doit pas jeter dans la nature le plastique, on peut le réutiliser ou le recycler, "le plus important c’est l’éducation", affirme Héloïsa.
Visiter Uvea : "un rêve" enfin réalisé
"Wallis c’était un rêve, on est là où la culture est bien gardée", sourit Héloïsa. "Les atolls sont très beaux, il y a de très beaux endroits sous l’eau, on a vu beaucoup de coraux qui sont bien préservés, on n'en a pas trouvé dans d’autres endroits comme cela", affirme-t-elle.
Une étape qui ne se limite pas seulement à la découverte de la nature mais qui s’étend aussi à la découverte culturelle : "tu sais qu’on a été reçu par le roi", dit toute fière Héloïsa. Une véritable fierté pour l’ensemble des membres du "Voice of the ocean". Ces derniers sont même les premiers à utiliser des mots wallisiens en parlant aux autres, lançant des "malo te maoli" pour dire bonjour. Une escale qui touche malheureusement à sa fin pour "Kat" et son équipage, direction les Fidji et enfin la Nouvelle-Zélande pour continuer à porter la voix des océans.