Maruki Dury : L'hôpital doit être réorganisé. Quelle est la priorité ?
Moetai Brotherson : "Il y a plusieurs éléments importants. Il y a une mise à niveau à la fois bâtimentaire et des équipements qui n'a pas été faite pendant dix ans et à laquelle il faut s'atteler. Il y a aussi cette réorganisation globale de l'hôpital en lui-même. Aujourd'hui, je crois qu'il y a 27 services à l'hôpital, autant de centres d'achats, finalement chacun achète pour son service. Parfois on se retrouve avec des situations ubuesques où vous avez un stock du même produit dans un service alors que le service juste à côté en manque. Il y a des optimisations à trouver. C'est ce à quoi s'est attelé le ministre de la Santé."
Maruki Dury : Est-ce qu'il y a plus d'argent à injecter, plus de moyens à donner, en tout cas c'est la perspective ?
Moetai Brotherson : "Ce n'est pas forcément que mettre plus d'argent, c'est simplement de réorganiser. Il y a des investissements à faire, je le disais dans le bâtimentaire et dans les équipements, il y a des rénovations notamment des hôpitaux périphériques qui sont également à faire. À quoi ça sert d'avoir un hôpital à Uturoa si on fait évasaner tous les patients des îles Sous-le-vent ? Ça ne sert à rien. Donc, il faut mettre à niveau cet hôpital et faire en sorte qu'il soit réellement un acteur de la santé dans l'archipel où il est."
Maruki Dury : Pour améliorer la santé publique, vous avez augmenté la TVA sur les produits sucrés, est-ce que d'autres taxes sont prévues comme pour les cigarettes ou l'alcool par exemple ?
Moetai Brotherson : "Nous l'avons déjà annoncé... Il y aura effectivement une révision de la fiscalité sur tous les produits nocifs, que ce soit les produits trop salés, trop sucrés, trop gras. On le voit les maladies rénales sont principalement dues à l'obésité, au diabète et à l'hypertension. Donc, buvez de l'eau et ça ira mieux ! "
Maruki Dury : La préoccupation des Polynésiens, c'est aussi la vie chère. On l'a vu en Martinique, il y a une grosse crise sociale et un protocole a été signé pour faire baisser les prix sur près de 6 000 produits... Est-ce qu'en Polynésie, on pourrait faire la même chose ?
Moetai Brotherson : "On peut envisager des mécanismes de paniers bloqués... Nous, on essaye de favoriser la discussion entre les acteurs de la distribution pour avoir des accords de modération. C'est dans ce sens-là qu'on veut aller. Aujourd'hui, on a un dispositif qui s'appelle les PPN [nldr les produits de premières nécessités] mais qui est in fine inéquitable puisque tout le monde, y compris les plus aisés, en bénéficie. Il est aussi de nature inflationniste puisque lorsque vous êtes dans un petit magasin de quartier et que les PPN représentent 40% des produits que vous vous vendez, que faites-vous ? Vous vous rattrapez sur les autres produits. À terme, il nous faudra donc retirer les PPN, c'est ce que nous avons mis dans notre programme et nous voulons le remplacer par la carte Faatupu qui aujourd'hui sert à distribuer des aides sociales et qui permettra demain de cibler les personnes qui ont réellement besoin d'aide, et qui elles seules bénéficieront cette aide".
Maruki Dury : Mais est-ce que les distributeurs seraient prêts à baisser ou limiter leur marge, ce serait une solution ?
Moetai Brotherson : "Aujourd'hui, on est sur un système d'économie libre trop basé sur l'importation. On n'est pas en URSS contrairement à ce que j'ai entendu parfois ici et là. On ne peut pas tout imposer non plus aux acteurs économiques."
Maruki Dury : En ce moment, nous avons un problème avec le remorqueur, il en manque un deuxième. Du coup, les distributeurs, les agents maritimes sont obligés de se réorganiser. Est-ce que ça va augmenter le prix des produits dans les mois à venir ?
Moetai Brotherson : " Non, je ne pense pas. Les gens s'adaptent et il faut les féliciter là-dessus. Il y a des transbordements qui sont faits et prévus dans les semaines qui viennent vers des navires plus petits. Il y a ces solutions-là, et le port autonome étudie actuellement des solutions de repli depuis la Calédonie mais également depuis l'Australie, on attend de voir le résultat de ces recherches. On fait ce qu'on peut..."
Maruki Dury : Quand on parle de vie chère, on parle aussi des îles parce qu'il y a peu de contrôles de la DGAE voire pas du tout. Il y a quand même une certaine anarchie au niveau des prix qui sont fixés. Qu'est-ce que le Pays pourrait faire pour lutter contre ça ?
Moetai Brotherson : "C'est une bonne question... Il y a des contrôles de la DGAE sauf que lorsque vous arrivez dans l'île, tout le monde est déjà au courant, les étiquettes sont changées avant que vous arriviez, elles sont changées après que vous partiez... Il faut donc en appeler déjà au civisme des acteurs économiques qui sont dans ces îles. Et puis, il faudra un moment donné faire des contrôles inopinés et sévir".
Maruki Dury : Le Pays va débloquer 1 milliard de Fcfp pour Air Moana. C'est une intégration au capital, une subvention, un prêt ? Qu'est-ce que c'est exactement ?
Moetai Brotherson : "Nous procédons avec méthode et dans le respect de la loi. Air Moana a sollicité une prise de participation au capital du Pays à hauteur de 1 milliard de Fcfp. Dans les discussions, les conditions étaient que les investisseurs privés amènent 3 milliards de Fcfp. Ce dossier est entre les mains de la Sofidep qui est l'organisme traitant ce sujet. Si les vérifications attestent que ces conditions sont réunies, effectivement nous avons signé une LOI, une lettre d'intention, pour cette prise de participation au capital."
Maruki Dury : La communication entre le gouvernement et la société était biaisée ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
Moetai Brotherson : "Je ne suis pas responsable de la communication à Air Moana. Nous avons été clairs depuis le début, je crois qu'il y a eu un petit mouvement de panique à un moment donné : nous nous faisons les choses dans les règles.
Maruki Dury : Après votre déplacement à l'ONU, vous avez échangé avec des ministres du nouveau gouvernement Barnier. La position de la France n'a pas beaucoup évolué. Vous n'étiez pas très satisfait après votre déplacement à New York. Quelle est l'option désormais ? Rester dans ce dialogue avec la France à l'ONU ?
Moetai Brotherson : "Je pense qu'il est important de rester dans ce cadre démocratique et de droit international que nous avons choisi depuis la création du Tavini Huiraatira, et qui a été confirmé en 2013 par la réinscription. Maintenant, et c'est ce que j'ai dit aux différents ministres que j'ai rencontré, aussi bien le cabinet du Premier ministre, le ministre des Outre-mers et le ministre des Affaires étrangères, on ne peut pas refuser toute perspective de dialogue. Il faut que l'État bouge ses lignes sur ces notions de dialogue aux Nations Unies. Quand je suis revenu sur Paris après New York, et que j'ai fait ces rencontres notamment avec le ministre des Affaires étrangères, l'explication est relativement simple : c'est le timing. Le nouveau gouvernement a été nommé très très tard, ce qui fait qu'ils n'ont pas eu le temps d'examiner les demandes qui leur ont été faites. La rencontre avec le ministre des Affaires étrangères a été mon sens positive puisqu'il a été très à l'écoute. Il nous a suggéré finalement une méthode de travail qui consisterait à travailler ensemble, à essayer de faire en sorte que ce dialogue puisse se faire juin lors du comité des 24 à New York. Ce n'est pas encore acquis, c'est quelque chose qu'il va falloir travailler avec eux mais en tout cas c'est pour moi une perspective positive et j'espère que l'État comprendre qu'il ne peut pas laisser ceux qui aspirent à la mise en place de ce processus dans une impasse".