Des centaines de perruches s'en donnent à coeur joie dans le verger de Cédric Akinaga, à Méaré. "Les oiseaux sont contents. Ils mangent... et ils vivent bien, eux." Inutile de les effrayer : les arbres sont pleins d'oranges plus ou moins mûres qui risquent de ne pas trouver preneur. Ici, dans cette exploitation familiale transmise par le père à ses trois fils il y a quelques années, on ne cueille plus les fruits que sur commande. Pourquoi payer des gens à ramasser si on n'est pas assuré de vendre sa récolte ?
"La semaine dernière on nous a pris huit à dix tonnes de mandarines. Et celle d'après on nous demande de ne pas en mettre parce que ils n'arrivent pas à les écouler, du fait que plein de magasins ont disparu, et notamment des grandes surfaces. Ça devient catastrophique : on a arrosé, on a mis l'engrais, on a traité, et tout ça pour ne pas pouvoir vendre au final."
La production est là, sauf que la consommation est réduite de moitié
Cédric Akinaga, producteur d'agrumes à La Foa
De dix-huit à vingt tonnes de fruits transportées chaque semaine dans le Grand Nouméa en temps normal, Cédric Akinaga n'en envoie plus que quatre ou cinq en ce moment. Il donne, notamment, aux maisons de retraite, vend au marché municipal de La Foa, au marché de gros à Nouméa, sur le bord de route et en a stocké en chambre froide.
Les mandariniers ressemblent à des saules pleureurs. Les branches chargées ploient sous le poids des agrumes, certaines sont cassées. "On ne sait plus comment faire. J'ai quatorze employés, et si je n'arrive pas à vendre, impossible de les payer. On a déjà réduit le nombre de saisonniers."
Trop d'aléas
"En ce moment c'est trop dur." Même constat chez André Estieux dans le centre du village à Nily. Les papillons piqueurs ont déjà mis à terre 40% de sa production cette année, et le manque de mazout l'a empêché d'arroser. Au pied de ses citronniers, des fruits pourrissent. "C'est des citrons qui auraient dû être vendus le mois dernier ça. On n'a pas pu rammaser parce qu'on n'a pas pu rouler... On a vendu un dixième des cueillettes normales. La mévente, plus le fait de ne pas arroser, voilà les dégâts. Et sur 1 800 pieds."
Côté mandariniers et orangers, les arbres sont couverts de lianes. C'est qu'il n'a pas trouvé de glyphosate pour éliminer les mauvaises herbes. "Il faut tout reprendre à zéro. Les vergers sont dans un état critique. Ça va coûter des centaines de milliers de francs pour les remettre en état." Tous les jours, André Estieux arrache les lianes à la main sur une quarantaine de pieds.
À 79 ans, André Estieux commence à fatiguer. "Ma fille a voulu garder le verger, sinon, je me libèrerais de tout ça. Après quarante ans, ça va. On a trop de problèmes. Des fois on a de belles années qui s'annoncent, de belles cueillettes, et puis les papillons, les inondations, les cyclones, plus ça et ça... Tous les ans il y a quelque chose ! À la fin tu te dis : j'ai travaillé pour faire les charges et puis j'ai une petite marge, mais qui ne correspond pas à ce que je mérite."
Pour la première fois depuis le 13 mai, André Estieux a reçu une commande importante : une tonne en une semaine. Il vend à 220 francs le kilo. Elle partira par colporteurs. C'est moitié moins que d'habitude.