Une vue dégagée sur la Baie des citrons, de beaux couchers de soleil et une température d'une vingtaine de degrés. Les conditions paraîtraient idéales à Thomas* s'il ne subissait pas depuis bientôt trois semaines la mise sous cloche de l'archipel, amorcée avec la fermeture de l'aéroport de La Tontouta consécutive aux émeutes.
Voilà neuf jours que ce Français habitant au Japon aurait dû prendre l'avion du retour. Venu pour dispenser une formation en Nouvelle-Calédonie, il attend désormais désespérément de pouvoir regagner Tokyo. Et pour cause : son épouse doit accoucher dans les tous prochains jours.
"Le terme est prévu le 5 juin. Au début je me disais qu’en trois semaines, j’avais largement le temps de la rejoindre, mais le temps passe et la situation ne s’arrange guère", explique-t-il.
Dans le hall de son hôtel, Thomas raconte avoir frappé à toutes les portes, envoyé des dizaines de messages, d’e-mails, de whatsapp, s’être créé un profil Twitter. Il a contacté le haut-commissariat, le ministère de l’Intérieur, l’ambassade du Japon en France, celle de France au Japon et sa députée. Cette dernière lui a répondu qu’elle ne pouvait pas faire grand chose pour lui.
"Quand il y a un flou, il y a un loup"
Le Haut-commissariat, qu’il contacte tous les jours, l’a inscrit sur la liste des personnes à rapatrier d’urgence depuis plusieurs jours, sans résultat. En désespoir de cause, on lui a même suggéré de contacter le consulat d’Australie.
"Je comprends la situation, je comprends qu’on soit bloqué une semaine, mais là, ça fait plus de deux semaines". La conversation est interrompue par son épouse japonaise qui elle aussi remue ciel et terre pour obtenir le retour de son mari.
Arnaud Flamant, de son côté, ne séjourne pas à l'hôtel mais chez des membres de sa famille à Portes-de-Fer. Sa femme et lui auraient dû quitter le territoire depuis déjà plus d'une semaine.
"Quand on appelle le 200 200 (le numéro mis en place pour les voyageurs bloqués), nos interlocuteurs sont très sympathiques mais à part nous dire qu'il vont nous communiquer des informations et qu'il faut regarder la télé, les choses n'avancent pas", déplore le Savoyard de 47 ans, qui n'a reçu aucune nouvelle ou presque depuis l'envoi d'un formulaire dédié le 21 mai dernier.
Son patron se montre certes compréhensif pour le moment, la situation n'en demeure pas moins délicate. "Au début, le Haut-commissariat nous disait qu'en une semaine ce serait débloqué, mais on ne voit toujours pas d'améloration", poursuit le touriste. Et de conclure : "Quand il y a un flou, il y a un loup. Ils ne savent peut-être pas où ils vont mais je préfèrerais l'entendre".
Des critiques relayées sur les réseaux
Des inquiétudes et une frustration semble-t-il partagées par beaucoup si l'on en croit les nombreuses publications critiques de la gestion de crise sur les réseaux sociaux.
"Qu'envisagent-ils pour les touristes qui attendent chaque jour un message et qui ne pourront plus payer les frais hôteliers induits si cela perdure. Je n'appelle pas cela de l'accompagnement mais de l'abandon", fustige un internaute.
"Nous avons l'impression que le souci, c'est d'être Français. Les gouvernements néozélandais et australien sont nettement plus efficaces", abonde une autre touriste, désabusée.
Un mécontentement tel que certains envisagent désormais de manifester devant les grilles du Haut-commissariat. L'idée est en tous cas évoquée sur la page "Touristes coincés en NC", dont les 185 membres partagent quotidiennement leurs tracas et des informations pratiques. Une manifestation qui serait alors illégale puisque le décret de mise en place du couvre-feu interdit également les rassemblements.
Des "contraintes opérationnelles"
Dans un communiqué diffusé ce mercredi 29 mai, le Haut-commissariat répond en partie aux critiques exprimées, évoquant des "contraintes opérationnelles pour l'accompagnement au départ des touristes et le retour des Néo-calédoniens".
Parmi les freins au déroulé des opérations, il est notamment fait mention des "horaires de restriction de l'accueil du public civil (entre 6h et 18h)", des "impératifs liés à l'acheminement des renforts", des contraintes liées "au ravitaillement en carburant" ou encore de l'importance du "traitement du fret" comme les médicaments et les bagages, "imposant le recours aux avions militaires".
Le communiqué indique également qu'en moyenne, 200 passagers civils sont rapatriés quotidiennement à partir de La Tontouta. Le Haut-commissariat "s’est mobilisé pour optimiser
ces capacités et permettre au plus grand nombre de personnes de rejoindre leur domicile (...) Une priorisation a été opérée, notamment pour des critères de santé".
En attendant que cette possibilité se concrétise, du côté des touristes bloqués, diverses solutions sont envisagées pour quitter le Caillou. Certains ont même contacté des skippers pour rejoindre Brisbane par la mer. "Ça me paraissait bizarre au début, reconnait Thomas, mais si je l’avais fait, je serai déjà arrivé en Australie où j’aurais pu prendre un vol pour Tokyo."
*Prénom d'emprunt