Dans les coulisses du tirage au sort des jurés aux assises

Aux assises, le 30 novembre 2023.
Une nouvelle session d’assises s'est ouverte lundi 26 février. La première affaire sera jugée jeudi, mais la cour se réunit en amont pour valider la liste des jurés d’assises. Un rôle qui n'a rien d'anodin, et nécessite d'être préparé.

Cinq affaires de viol et deux dossiers de coups mortels en réunion seront jugés, lors de cette première session de l’année. Les débats débuteront mardi 27 février, et les jurés ont été désignés la veille, titulaires et suppléants. Des citoyens tirés au sort sur les listes électorales, qui doivent du jour au lendemain se prononcer sur des crimes (meurtre, assassinat, viol….). 

"C'est une grosse responsabilité, parce que les gens ne sont pas préparés à ça, reconnaît Philippe Faisandier, l'avocat général près la cour d’appel de Nouméa. Ils n'ont jamais participé à une juridiction, jamais été juges. C'est un métier. La procédure d'audience est très codifiée. Souvent, ils ont des idées préconçues, notamment à travers ce que l'on peut voir à la télévision... Mais ça ne se passe pas du tout comme dans les feuilletons américains."

Ne montrer aucune émotion

Les jurés titulaires sont appelés à siéger aux côtés de trois magistrats professionnels. Ils sont six lorsqu’une affaire est jugée en première instance, neuf lorsqu'il s'agit d'un appel. Mais avant chaque affaire, d’autres noms sont également tirés au sort : "les jurés supplémentaires ne peuvent pas prendre part au vote pendant le délibéré, explique Philippe Faisandier. Ils assistent à l'audience, assis derrière les titulaires, et ne posent pas de question, tant qu'ils ne sont pas appelés pour remplacer un juré titulaire."

Une cour d'assises, c'est un endroit où l'on juge du drame humain : que ce soit des meurtres, ou des viols. Ils vont être confrontés directement à des situations de détresse des victimes, des familles. Et prendre la responsabilité de devoir envoyer - ou pas -, une personne en prison parfois pendant de très longues années.

Philippe Faisandier, avocat général près la cour d’appel de Nouméa

Du jour au lendemain, ces Calédoniens doivent juger des crimes, puisqu’ils participent aux débats et se prononcent au moment du délibéré. Ils sont assis face au public, et doivent écouter, parfois pendant plusieurs jours, des témoignages, des plaidoiries, et ne montrer aucune émotion.

Un jury "équilibré et représentatif"

Ils sont artisan, professeur des écoles, assistante administrative, femme de ménage, agent de sécurité, sans emploi, gérant de société ou retraité…. Ces hommes et ces femmes sont issus de tous les milieux sociaux et viennent de tout le Caillou. "C’est la gendarmerie qui m’a appelée, j’étais paniquée, parce que j’avais rien fait... Mais ils m’ont bien expliqué que j’étais tirée au sort pour être jurée", raconte une femme, sourire en coin, dans la salle d’audience. Elle n’aurait jamais pensé qu’on viendrait la chercher sur sa petite île de Yenghebane, à Poum.

Des Calédoniens convoqués pour être jurés disent leurs premières impressions à Malia Noukouan :

Conditions pour être jurés : être citoyen français, avoir 23 ans, savoir lire et écrire et ne pas avoir de condamnation grave. Les plus de 70 ans peuvent demander une dispense. Et les personnes qui ont déjà été jurés ne peuvent pas siéger pendant les 5 ans qui suivent la session. Les tirés au sort ne peuvent pas refuser de siéger. De leur côté, les employeurs ont l’obligation de libérer leurs salariés et de les rémunérer.

La révision de la liste

À chaque ouverture de session et comme à l’accoutumée, la première matinée est consacrée à la révision de la liste des jurés. Trente personnes sont convoquées pour cette première session d'assises de l'année. Il s’agit de vérifier les incompatibilités, d’examiner les demandes de dispenses ou de dérogations, de radier ceux qui ont quitté le territoire, et de vérifier si les personnes tirées au sort ne sont ni policiers, ni magistrats, et qu'elles n’ont aucun lien avec l’une des parties.

Les personnes convoquées mais absentes encourent une amende de 447 000 francs. Lors de cette première journée, un juré absent a été condamné à 100 000 francs d’amende car il n’a fourni aucun motif d’absence.

Une journée pour comprendre le monde judiciaire

Après la révision de la liste, les jurés doivent assimiler une quantité d’informations. Une matinée pour appréhender leur rôle, comprendre le déroulement d’une audience, se familiariser avec les termes juridiques et découvrir le rôle de chaque partie. "Vous êtes des juges à part entière, au même titre que les magistrats professionnels", précise Julien Mazzoli, vice-batônnier. "Vous devez vous prononcer selon votre conscience et votre intime conviction", ajoute Philippe Faisandier, avocat général près la cour d’appel. Autant d’informations diffusées à travers un film et grâce aux explications des magistrats. L’après-midi est consacrée à la visite du centre pénitentiaire de Nouméa.

Votre rôle est décisif. Être juré requiert une capacité d’écoute, d’analyse, de sérieux et de bon sens.

François Billon, président de la cour d'assises

Une exception calédonienne

En Nouvelle-Calédonie, les magistrats se sont battus pour conserver le jury populaire. Une exemption partagée avec Mayotte, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Car suite à la réforme de la justice, les cours criminelles départementales ont été généralisées et les jurés populaires ont disparu des tribunaux depuis le 1er janvier 2023. L’objectif est de réduire les délais de jugements des affaires criminelles, ce qui peut être très long dans l'Hexagone. Mais la Calédonie n’est pas confrontée à cette problématique.

Les magistrats ont donc demandé la conservation de cette pratique. Pour Philippe Faisandier, "il est bon qu’en Nouvelle-Calédonie, les citoyens participent à l’œuvre de justice à travers le jury populaire".