Polynésie la 1ère : Lors des dernières Européennes, Heiura les Verts n'avait pas de candidat, ni cette année pour les élections de samedi. On aurait pu penser que parce que vous aviez appelé à voter Tavini au second tour des Territoriales, vous les suivriez aux Européennes. Les scrutins se suivent et ne se ressemblent pas ?
Jacky Bryant : Vous aurez remarqué que nous l'avons suivi au second tour parce que nous souhaitions une alternance et qu'entre le Tavini et le Tapura, nous avons quand même un passé commun avec le premier dans le cadre de l'UPLD. Nous avons partagé un certain nombre d'engagements, pour ne citer que le nucléaire par exemple, une évolution de nos institutions...et donc c'était une stratégie de campagne du deuxième tour. Le deuxième tour, ce n'est pas une adhésion au Tavini.
Polynésie la 1ère : Aujourd'hui, vous vous éloignez d'eux ? Vous êtes déçu ? Quelle est votre position ?
Jacky Bryant : Comme beaucoup de nos concitoyens polynésiens, on est un peu étonné de la manière dont le différend entre le législatif, donc l'assemblée de Tony Géros et l'exécutif de Moetai Brotherson, se placent en public pour régler des comptes qui devraient être traités à l'intérieur. Et c'est ça qui choque et c'est ça qui nous interpelle. Comment on peut mener une campagne et aller jusqu'à la victoire et, en peu de temps, venir régler des comptes en public ?
C'est pathétique et je peux comprendre que la désillusion d'un certain nombre d'électeurs soit à la hauteur de la chute de ce que nous étions. Nous souhaitions, au bout d'un an, voir véritablement une transition vers quelque chose ?
Aujourd'hui, on est simplement à écouter les propos qui sont rapportés sur les relations. Ce n'est pas très sain, ce n'est pas très serein. Il faut espérer que, avec cette réunion qui a eu lieu hier, on puisse rebondir et regarder l'avenir avec un œil un peu plus optimiste.
Polynésie la 1ère : D'accord, vous êtes déçus, mais vous y croyez toujours ?
Jacky Bryant : Oui, lorsque l'on est en responsabilité, la durée du mandat te permet d'organiser la mise en place des promesses électorales. Mais on ne peut pas passer un an sur un terrain aussi mouvant à l'intérieur-même du même parti. Et ils ont tous les pouvoirs : ils ont le national avec trois députés, ils ont la majorité à l'Assemblée, ils ont au sein du gouvernement une représentation très forte de ministres....Aujourd'hui, ils ont tous les atouts entre les mains. Et ça, ça n'explique pas le retard à l'allumage. Donc on est toujours à envisager des mesures, mais on veut que ce soit un peu plus rapide avec la situation du terrain. Aujourd'hui, c'est un peu compliqué pour un certain nombre de nos concitoyens.
Polynésie la 1ère : Alors revenons aux européennes : votre partenaire national Europe Ecologie les Verts a beaucoup de propositions qu'il a fait connaître pour l'outre mer. Vous, qu'est-ce qui vous plaît à travers ces propositions ?
Jacky Bryant : Alors, on a un passé commun depuis la création de Heiura et depuis la création des Verts d'abord, puis Europe Ecologie...Donc ça remonte à plus de 30 ans. Donc on a construit autour de la réflexion, de l'écologie avec un mot d'ordre et une vision. C'est la transition. Mais il n'y a pas que la Polynésie. La France, c'est la même chose. Si nous ne nous mettons pas la transition comme étant la vision, la transition économique, une transition écologique, une transition dans la manière dont nous nous déplaçons, au travers de cette vision, un modèle économique qui ne soit plus industriel, où la consommation, où le gaspillage, où un certain nombre d'épuisement de nos ressources soient le seul vecteur pour expliquer que nous avons un PIB au-dessus de la moyenne...Et donc cette démarche-là, nous la partageons avec les Verts européens aujourd'hui, ceux de France. Mais de manière générale, on a la même vision, à savoir la transition. Juste un exemple : la Polynésie aujourd'hui importe 22 milliards de francs pacifique en terme d'énergie, que ça soit le fuel, l'essence, etc. Il y a trois ans, nous étions à 17 milliards de francs pacifique. On ne peut pas continuer, ce n'est pas possible ! Et donc la transition est une notion qui est fondamentale. Mais ça veut dire que derrière cela, vous créez de l'activité économique. Ça veut dire que dans la construction des bâtiments, il faut utiliser l'énergie solaire, il faut utiliser le vent naturel que nous avons chez nous...
On a une chance, on est entouré d'eau. Cette transition est fondamentale et le spectateur ou ceux qui nous écoutent, ont compris que c'est créateur d'emplois. Mais ce n'est pas d'un claquement de doigt. Il faut le programmer dans le temps. Et c'est une démarche qui est essentielle, si on veut gagner la bataille et laisser à nos enfants un cadre de vie que nous partageons aujourd'hui et que nous apprécions.
Polynésie la 1ère : Cette prise de conscience, elle est réelle chez les politiques, chez ceux qui nous gouvernent ?
Jacky Bryant : J'ai quelques difficultés quand je vois un certain nombre de mesures qui sont encore maintenues : l'inscription sur la liste des produits PPN, c'est fondé sur quoi ? Quand c'est fondé sur les causes écologiques, ça signifie que la qualité de ce que nous allons proposer à un coût accessible à tout le monde va permettre, dans le cadre d'une prévention, de limiter les dégâts un peu plus tard par rapport à la santé.
Est-ce que c'est le Nutriscore ? Est-ce qu'on va regarder l'intérieur, la composition ? Parce que c'est ça l'enjeu : la qualité de ce que nous proposons à nos générations. Donc, cette liste-là n'intègre absolument pas ces notions qui sont fondamentales, qui sont développées en France, qui sont développées au sein de l'Europe.
Ce n'est pas parce que ce n'est pas nous qui l'avons inventé que c'est nul. Il faut accepter que ce qui est fait ailleurs, peut nous aider à avoir une réponse beaucoup plus rapide et non pas passer par l'expérimentation.
Donc cette démarche-là est fondamentale. Quand tu achètes aujourd'hui une machine à laver, tu as un certain nombre d'éléments qui te permettent de dire : "là, j'ai une consommation électrique de tant." Donc cette démarche-là n'intègre absolument pas la liste des PPN.
Au bout du compte, lorsqu'on voit le nombre d'enfants jeunes ou de personnes d'un certain âge qui sont dans une situation d'obésité, qui vont créer un certain nombre de maladies, il faut se poser les vraies questions sur la liste des PPN. Qu'est ce que nous donnons à manger à nos enfants ?
Polynésie la 1ère : Qui a travaillé sur cette liste des PPN ?
Jacky Bryant : Le pays. Mais le pays doit définir des critères sécuritaires. Si le cahier de charges ne définit pas dans quelles conditions (je vais prendre un exemple bien précis) le riz a été produit. Est-ce qu'il a été traité ? Est-ce que ce produit traité a une conservation qui nous permet d'envisager le risque de développer un certain nombre de maladies ? Donc ces éléments-là doivent concourir à la définition. Il faut aller vers quelque chose qui soit beaucoup plus vertueux.
Ce n'est pas suffisant, mais il faut former, il faut éduquer, il faut apprendre à préparer. Il faut sortir de cette logique de plats préparés, industrialisés, qui sont surgelés, congelés en boîte. Il suffit de mettre dans le micro-onde...Il faut sortir de cette logique-là. Mais il faut prendre le problème à bras le corps, parce que c'est fondamental.
Et la vision de la transition alimentaire est un exemple très précis.
Polynésie la 1ère : Alors, parmi les propositions que vous avez avancées, celle de la promotion des langues régionales ainsi que le nucléaire. Vous estimez que le sujet ne peut plus être strictement débattu ici ?
Jacky Bryant : Quand j'étais aux responsabilités ministérielles, je suis intervenu au sein du Parlement européen dans le cadre d'une commission, pour expliquer que le rapport de l'Europe avec la Polynésie, bien sûr, parce que nous sommes encore dans l'Etat français. Le fait que la France soit toujours un pays européen, c'est aussi de la responsabilité du Parlement européen. Et donc il ne faut pas nous demander d'aller voter uniquement pour des députés européens, discuter de tout mais ne pas discuter de la question de la position de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie dans le Pacifique aujourd'hui. Notre rôle, c'est aussi un rôle d'être une représentation qui nous permet de défendre une position qui soit forte. Or, cette démarche-là, il faut continuer à faire avancer les Européens qui sont concernés par des problèmes qui sont à l'intérieur de l'Europe.
Il y a les PTOM, il y a les RUP et là-dessus, c'est pareil : dans le cadre des projets, nous souhaitons une délégation polynésienne à Bruxelles ou à Strasbourg. La difficulté aujourd'hui, c'est le peu d'intérêt des Polynésiens. On a l'impression que 20 000, 24 000 kilomètres, c'est très loin. Or, aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, on passe plus notre temps à regarder les informations. Donc il y a bien une relation qui existe entre un pays qui est géographique et une actualité. Et au travers de cette démarche-là, c'est dans le cadre des délégations de tavana qui vont à Paris, qui vont en France obligatoirement. Ils doivent mettre un pied à Bruxelles ou à Strasbourg parce que le fonds de développement finance. Il y a le suivi des problèmes sur les eaux usées ou l'eau potable.
Polynésie la 1ère : Plus concrètement, cette délégation polynésienne qui serait à Bruxelles, elle serait là-bas en permanence ? Et serait composée de qui ? Comment ?
Jacky Bryant : Pour l'instant, la question n'est pas débattue, mais il nous faut des techniciens qui soient avisés sur la compréhension du fonctionnement de ces différents fonds, Erasmus par exemple. On travaille déjà avec PROTÈGE qui est un programme pour la protection de l'environnement. Tous ces éléments-là doivent avoir, en tout cas dans la délégation, des techniciens suffisamment avisés pour pouvoir répondre aux préoccupations.
Il y a quelques associations qui bénéficient d'un programme dans le cadre de leurs activités. Donc il faut aider et, à partir de ce moment-là, vous faites la connexion. Aujourd'hui, il n'y a pas de connexion, à part quelques personnes. Et c'est certainement ces personnes-là qui vont aller voter parce qu'elles ont une sensibilité civique.
Polynésie la 1ère : Alors, vous êtes élu municipal à Arue. Sa voisine Paea, a bénéficié de 2 milliards de francs pacifique de la part de l'Union européenne dans le cadre de son projet d'assainissement des eaux usées. Justement, il y a d'autres projets qui mériteraient l'aide de l'Europe, comme ça ?
Jacky Bryant : En fait, c'est le Pays qui décide, c'est orienté. Le Pays a décidé d'orienter vers l'eau, alors nous, ce qui nous préoccupe, c'était l'eau puisque notre commune a une qualité d'eau potable correcte. Mais il appartient au Pays de définir le secteur. Par le passé, nous avions le secteur de l'agriculture. J'ai entendu un certain nombre de parler du port, donc il appartient au Pays d'amender. Mais je crois qu'il y a un autre secteur pour lequel on n'est pas très attentif, c'est le problème de la formation, de l'éducation dans le cadre de la transition, et notamment le développement de l'énergie thermique des mers ou en tout cas de ce qui touche aux renouvelables.
Nous avons besoin de mettre en place une formation forte pour que rapidement, nous ayons les cadres du Pays en capacité de porter ce projet-là avec des financements et nous intégrons le privé dans les projets. C'est quelque chose qui nous tient à cœur. Dans le cadre de cette campagne, il faut réorienter vers le développement, vers la transition énergétique.
Vous prenez l'exemple du SWAC. Tout le monde a rigolé au nez lorsque ce promoteur a commencé à développer. On dit "mais c'est pas possible", etc. Qu'est ce qui s'est passé au bout de 20 ans ? L'hôpital économise aujourd'hui 600 millions de francs pacifique d'économie. Donc, l'investissement qui a été réalisé par ce groupe privé, c'est une réponse à cette notion qui est la transition énergétique.
Aujourd'hui, pourquoi est-ce que les véhicules électriques sont dénoncés ? Tout simplement parce que, quand vous êtes à plat, vous chargez sur quoi ? Sur une production qui vient de la même source : à savoir celle de fioul. Donc on ne gagne rien du tout. La pollution de votre voiture à explosion vous la transférez tout simplement à la pollution qui est liée à la production pour pouvoir acheminer l'électricité et charger votre batterie.
Donc si on est illogique, on n'est pas dans la réflexion qui est de dire on va améliorer les conditions pour tendre vers une transition. Et pour nous, l'énergie thermique des mers, c'est de produire une énergie qui à son tour, peut produire une énergie pour les véhicules et je pense notamment à l'hydrogène. Et à ce moment-là, l'hydrogène, ça a du sens.
Polynésie la 1ère : Jacky Briant, il nous reste très peu de temps. S'il y avait un projet, un sujet que vous aimeriez mettre en avant grâce aux fonds européens, ce serait lequel ?
Jacky Bryant : Là dans l'urgence, c'est de créer cette délégation pour amener à Bruxelles, tous les tavana, sensibiliser les intervenants de manière à ce que nos populations comprennent que nous avons la possibilité de pouvoir mettre en place des projets qui vont transformer leur quotidien très bien.
Polynésie la 1ère : Jacky Bryant, comment arriver à mobiliser pour une élection comme les Européennes qui ne passionnent vraiment pas les foules ?
Jacky Bryant : Alors, si vous faites un tour où tout est gratuit, vous allez voir que tout le monde va venir à cette élection. Si vous mettez un concert avec tous les artistes tout autour, les gens vont venir. Pourquoi pas ? Mais au-delà de cet aspect festif, je crois qu'il y a une sensibilité dans l'éducation, dans la formation à mettre en place. Il faut que les gens arrêtent de dire "il y en a marre". On dit qu'il y en a marre parce que nous-mêmes, on n'a pas été capables d'effectuer les choix qu'il faudrait.
Polynésie la 1ère : Jacky Bryant, pourquoi voter en faveur de Ecologie les Verts samedi ?
Jacky Bryant : Parce qu'on est les plus beaux. Regardez mon tricot, ça suffit pas ? Mais le vert, il est magnifique. Même dans le cadre des campagnes, maintenant, on trouve le vert. C'est une boutade, mais vous ne pourrez pas, en vous levant le matin, dire quand j'ouvre ma fenêtre : "c'est quand même pas mal d'avoir un cadre de vie où je respire, où j'entends un certain nombre de choses". C'est quand même une signature qui est unique. On va quand même pas tourner le dos pour regarder son mur, même si il y a parfois des tableaux qui sont magnifiques.