La mission, dirigée par le Kenya, avec l’aval des Nations Unies, a un an pour parvenir à créer les conditions permettant d’organiser des élections libres et honnêtes. Le défi semble insurmontable pour de multiples raisons.
Une mission aux moyens humains limités
Un millier de policiers et militaires de plusieurs pays de la zone Caraïbes (Jamaïque, Bahamas, Surinam, Barbade, Antigua…) devraient rejoindre les forces envoyées par le Kenya. La mission internationale, qui a reçu le feu vert de l’ONU, serait donc composée d’environ 2000 hommes. C’est beaucoup moins que lors des précédentes tentatives de maintien de la paix en Haïti.
En 1994, la première intervention onusienne, conduite par les États-Unis, a rassemblé jusqu’à 21 000 soldats. Il s’agissait alors de réinstaller au pouvoir le Président élu Jean-Bertrand Aristide, renversé trois ans auparavant lors d’un coup d’État sanglant.
En 2004, la mission internationale dirigée par le Brésil, comptait 13 000 hommes. Elle s’est achevée en 2017 après plusieurs scandales impliquant des casques bleus (viols, agressions sexuelles, recours à des prostituées mineures) et alors qu’un campement du contingent Népalais était accusé d’avoir importé le choléra (épidémie à l’origine de près de 10 000 morts) sans avoir atteint ses objectifs. Il s’agissait déjà de neutraliser et de désarmer les gangs et de réformer la police, ainsi que le système judiciaire.
Les possibles dérapages de la force internationale
Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme craignent de sérieuses dérives, compte tenu du fait que la police Kenyane fait face à des accusations d’exactions dans son propre pays.
Sur place, des ONG évoquent des affaires de corruption, un systématique usage excessif de la force, des arrestations arbitraires et même des exécutions sommaires. L’association des méthodes réputées très musclées de la police Haïtienne avec celles des policiers Kenyans fait craindre le pire à Amnesty International, qui évoque une possible "violation systématique des droits humains".
Possibilité bien réelle puisque cette mission, qui a l’aval de l’ONU, n’est pas une mission onusienne et ses actions ne peuvent donc pas être contrôlées par l’institution internationale, le Kenya est seul maître à bord.
Sur ce sujet, les États-Unis se veulent rassurants. Le pays, qui finance en grande partie la mission, demande la mise en place d’un "mécanisme de surveillance" pour prévenir les éventuels abus ; sans plus de précision. Washington met également en avant l’expérience du Kenya, déjà engagé dans plusieurs missions de maintien de la paix, notamment en Somalie ou en République démocratique du Congo.
Des gangs à affronter sur leur terrain
Le leader du gang G9, l’ancien policier Jimmy "Barbecue" Chérizier, a prévenu que la force internationale serait la bienvenue uniquement si elle vient "pour arrêter le Premier ministre et nous aider à rétablir l’ordre". Dans le cas contraire, celui qui est considéré comme l’un des hommes les plus puissants d’Haïti se dit prêt à combattre "jusqu’au bout".
Pour parvenir à démanteler les groupes armés, qui contrôleraient 80% de la capitale, la mission va inévitablement devoir intervenir au cœur des quartiers populaires et des bidonvilles. Elle devra alors compter sur une police nationale dont les effectifs ont fondu comme neige au soleil ces dernières années.
On compterait aujourd’hui moins de 9000 policiers en poste, contre 16 000 en 2021. Dans ces zones, très densément peuplées, les interventions seront à hauts risques alors que les stratégies militaires et les équipements ultramodernes pourraient bien se révéler inadaptés, sur un terrain que les gangsters connaissent par cœur.
Dans ces conditions, et avec des troupes étrangères qui pourraient avoir du mal à faire la différence entre les bandits et les habitants, le rapport de force ne semble pas vraiment à l’avantage de la mission internationale.
Des liens étroits entre le pouvoir et les gangs
Les témoignages troublants impliquant l’utilisation de véhicules officiels par des membres de gangs sont nombreux. En novembre 2018, lors du premier massacre de grande ampleur, qui a fait 71 morts à La Saline, des voitures de la Police Nationale Haïtienne auraient été utilisées par les assaillants du Gang G9 de Jimmy "Barbecue" Chérizier.
À l’époque le gangster était encore membre de l’Unité pour le Maintien de l'Ordre de la police. Les forces de l’ordre ne sont jamais intervenues durant la quinzaine d’heure qu’a duré l’attaque, et aucune poursuite n’a été engagée par la justice.
Depuis janvier dernier, Vitel’Homme Innocent, un gangster recherché par le FBI pour son rôle supposé dans des enlèvements de missionnaires étasuniens, circulerait dans Port-au-Prince au beau milieu d’un cortège de véhicules gouvernementaux.
L’opposition ne manque pas de dénoncer cette situation. Clarens Renois de l’Union Nationale pour l’Intégrité et la Réconciliation n’hésite pas à affirmer que "les dirigeants du pays sont les complices des gangs".
Pierre Espérance, qui dirige le réseau de défense des droits de l’homme en Haïti, estime pour sa part que la Police Nationale Haïtienne ne pourra jamais démanteler les gangs car elle est, selon lui, dirigée par des politiciens aux connexions criminelles.
Un sentiment partagé par de nombreux Haïtiens sur les réseaux sociaux où il est régulièrement question des connexions entre les bandes armées et l’élite au pouvoir.
Jean-Daniel Sénat, journaliste au Nouveliste, va plus loin en estimant que toutes les personnes influentes dans le pays, ont des liens avec les gangs, et pas uniquement dans les sphères politique ou économique.
L’éditorialiste rappelle que l’arsenal saisi l’an dernier par les douanes, comprenant des armes de guerre, des munitions et des pistolets, était destiné à l'Église épiscopale d'Haïti. Pour lui c’est sûr : Une année ne sera pas suffisante pour voir la mission internationale couronnée de succès.