Cimgua contre Cypag : passage en revue des projets de cyclotron(s) aux Antilles- Guyane

150 000 personnes meurent chaque année d'un cancer : c'est la première cause de mortalité en France.
Le projet Guadeloupéen propose une solution technique égale, dans chacun des départements français des Amériques. Ce  projet annihilerait les ambitions de celui défendu par la Martinique tablant sur le comptage des populations dans un seul ensemble.
Guadeloupe et Martinique se déchirent à propos de l’implantation d’un seul ou de plusieurs cyclotrons respectivement en Martinique ou dans chacun des DFA. Depuis l’an dernier cette question de santé publique progresse sous les feux de la rampe et depuis quelques semaines elle occupe une place récurrente dans l’actualité, les foyers, les réseaux sociaux, les coulisses de diverses collectivités…


La polémique est désormais manifeste

Les propos sont de moins en moins anodins, avec par exemple le courrier adressé à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, par le président de région de Martinique, Serge Letchimy.
Quand ce dernier évoque les possibilités d’un seul ou de trois petits cyclotrons, il fait un amalgame imputant au second cas un caractère dangereux pour la vie des populations. Plus récemment, Camille Chauvet, conseiller régional de Martinique, tirait à son tour sur les cordes « sécurité publique » et « risque nucléaire ». Aussi, nos confrères de Martinique1ère publiaient un article dans lequel ils précisaient à tort que « le prix très élevé de tels équipements n’autorise l’implantation que dans une seule région ».

Afin de mieux comprendre les dessous de ce débat et les enjeux de chacun des projets, faisons un état des lieux de la situation et penchons nous sur les propositions guadeloupéenne et martiniquaise.
 

Constat

En Guadeloupe le cancer tue plus de 1300 personnes chaque année. La maladie fait autant de ravages en Martinique.
Depuis le début des années 2000 la technique de TepScan a été reconnue par l’Etat comme « indispensable à une prise en charge complète ». Pourtant, douze ans après le premier plan cancer (2003), aucun des départements français des Amérique n’est pourvu d’un cyclotron. Deux projets s’opposent : le Cypag, soutenu par la Martinique et initialement proposé en 2007 par les trois centres hospitaliers de l’inter- région, et le Cimgua, plus récent et proposé par la Guadeloupe notamment après une forte mobilisation citoyenne à l’annonce des mesures du troisième plan cancer.
 

En quoi consistent ces deux projets ?

Le Cypag (Martinique)
Un Cyclotron pour les Antilles- Guyane (Cypag) est le projet qui comprend l’implantation d’un seul cyclotron en Martinique.
Il s’agit d’un cyclotron de niveau 3, d’une puissance de 18MeV (Mega electron Volt) équivalente à la puissance du cyclotron implanté à la Réunion depuis 2007.
Il permettrait de produire plusieurs isotopes (ou traceurs) dont celui issu du fluor, le fluodesoxyglucose (F18), destiné à un usage clinique sur place ainsi qu’en Guadeloupe et en Guyane, quand un service de médecine nucléaire y sera opérationnel. L’ambition du projet ne se limite toutefois pas aux DFA. Il précise que le cyclotron « pourrait également être utilisé pour des patients de la Caraïbe ».
Ce cyclotron permettrait également de produire d’autres isotopes de la Pharmacopée Européenne, comme ceux issus de l’oxygène (O15), de l’azote (N13) ou du carbone (C11), lesquels pourraient techniquement, s’ils sont produits, servir en Martinique mais pas ailleurs. En effet, Guadeloupe et Guyane ne pourraient alors pas en bénéficier car leur transport serait impossible du fait de leur durée de demi- vie trop courte : deux minutes pour O15, dix minutes pour N13 et vingt minutes pour C11.
Seul F18 serait exportable, sa demi- vie étant d’une heure et cinquante minutes.

Le Cimgua (Guadeloupe)
Ce projet comprend l’implantation d’un cyclotron dans chaque DFA. Il s’agirait de cyclotrons de niveau 2, développant une puissance inférieure à 12Mev.
Ils permettent de produire les mêmes traceurs de la Pharmacopée Européenne que d'autres cyclotrons.
Ces outils sont déjà utilisés sur le territoire national. Le centre Petnet en région parisienne utilise des cyclotrons du même niveau de puissance. C’est aussi le cas à Toulouse.
Leur utilisation se ferait dans le cadre de la Pharmacie à Usage Intérieur (PUI) et la question de l’exportation des traceurs ne se poserait pas.
Outre l’aspect « production », il faut aussi se pencher sur le démantèlement de ce type de structures. Dans les deux cas il s’agit de matériel sensible. En fin de vie, un outil à la puissance modéré pourrait être démantelé là où un autre, plus puissant serait enseveli sous du béton.


La gestion du cyclotron

En France, la loi stipule que si un ou plusieurs industriels disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) des traceurs en question sont en mesure de les produire et les livrer aux établissements de santé, alors ces derniers sont obligés de s’approvisionner auprès de ce (ou ces) distributeur(s) en respectant les procédures de marchés publics.
La loi précise également que s’il n’y a pas d’industriel pouvant fournir les établissements de santé alors, ils peuvent être autorisés à les produire eux- même dans le cadre de leur PUI.
Aux Antilles- Guyane il n’existe aucun industriel.
Le projet Cypag prévoit donc un partenariat avec un industriel comme ce qui est observable à la Réunion.

Le transport

Une fois les isotopes produits en Martinique, il faudra les acheminer à l'extérieur. Le Cypag prévoit que « le cyclotron doit avoir un accès rapide à l’aéroport ». Pour éviter tout contretemps dû au trafic routier, le projet prévoit que « la production sera réalisée de nuit pour une livraison entre 5 et 7h du matin ». Puis le transport des traceurs produits aurait lieu de l’aéroport de Martinique, à leur destination finale, c'est- à- dire le patient, en Guadeloupe, Guyane ou ailleurs dans la caraïbe.

Pourquoi le Cimgua annihilerait l’ambition du Cypag ?

La condition sine qua non du projet martiniquais est que le bassin de population soit suffisamment important pour permettre la rentabilité d’un cyclotron de type 3.
Avec plus de 400000 habitants, la Guadeloupe « ne peut pas » être hors de ce projet car il ne serait pas pérenne sans l’apport numérique de sa population. Chaque département pourrait pourtant bénéficier d’un cyclotron, mais cela impliquerait une révision à la baisse des ambitions du Cypag. D’un point de vue budgétaire, le projet Cimgua semble réalisable.
En Guadeloupe par exemple, à ce jour le conseil régional s’est prononcé à l’unanimité pour l’attribution d’une enveloppe budgétaire prenant en charge le cyclotron dans son intégralité. La ville des Abymes a également offert un terrain en vue de son implantation, et la population s’est approprié le sujet avec une pétition qui compte plus de 25000 signataires.

Chaque année, plusieurs milliers de guadeloupéens et de martiniquais meurent du cancer.
Outre les aspects budgétaire, populaire, technique, etc. une question devrait animer les débats plus que les autres : quels outils permettront un accès aux soins équitable aux populations de Guadeloupe, Martinique et Guyane ?