Interventions des forces de l’ordre et troubles mentaux : des situations à haut risque

Cordon de gendarmes, après le drame survenu à la résidence Nérée, à Goyave - 09/01/2024.
Les interventions des forces de l’ordre sont particulièrement complexes, quand les agents sont confrontés à des personnes souffrant de troubles mentaux. Les gendarmes et policiers doivent protéger tous les protagonistes : les riverains, les proches, le mis en cause et eux-mêmes. Pourtant, des drames surviennent parfois, comme mardi à Goyave où, en ouvrant le feu, un militaire a provoqué la mort d’un trentenaire. Idéalement, il faudrait œuvrer en amont, pour éviter que la crise ne survienne, selon un psychiatre.

Un nouveau drame impliquant une personne souffrant de troubles mentaux est à déplorer en Guadeloupe : hier (mardi 9 janvier 2024), non loin du bourg de Goyave, un homme de 39 ans a succombé à ses blessures, après les tirs d’un gendarme.
Mercredi, les procureurs de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre ont affirmé que la victime, qui avait agressé deux voisins avec un coutelas un peu plus tôt, avait une tendance schizophrénique et était en rupture de traitement médical (un dernier point que conteste la famille de ce monsieur). L’homme aurait aussi menacé les deux militaires dépêchés sur place, avant que l’un d’eux ne fasse usage de son arme de service.

Ce n’est pas la première fois, en Guadeloupe comme ailleurs sur le territoire national, que l’on déplore une issue fatale, dans des interventions des forces de l’ordre, où sont impliquées des personnes à la santé mentale déficiente.
On se souvient notamment du cas de Didier Assor, 45 ans, sur lequel un gendarme a tiré, le 15 décembre 2017, alors qu’il était retranché dans la maison familiale, à Trois-Rivières, muni d’un couteau ; lui aussi souffrait de schizophrénie.

Cette récurrence pose question.

Des interventions à haut risque ?

Comment intervenir face à une personne agitée ou menaçante, surtout si elle souffre d’une déficience mentale ? C’est une problématique déjà soulevée par le monde judiciaire. En décembre dernier, les acteurs de la justice, en Guadeloupe, organisaient un colloque sur "le discernement et l’usage de substances psychotropes".
Dans ce contexte, le procureur général à la Cour d’Appel de Basse-Terre avait évoqué la formation des policiers et gendarmes. Une interview qui fait écho aux évènements d’hier.

Les policiers et les gendarmes sont informés et formés ; là-dessus, il n’y a pas de difficulté. La vraie difficulté, c’est que, parfois, ils interviennent sur des situations où ils ne savent pas qui est en face d’eux, ni si la personne est sous l’effet de toxiques, ni si elle souffre de pathologie psychiatrique. Ils ne le savent pas toujours. Je dirais même qu’ils le savent rarement. Mais ils vont devoir analyser le comportement, par exemple, d’un individu qui brandit une machette ou une arme à feu, qui est exubérant, qui veut s’en prendre à tout le monde, etc.

Eric Maurel, procureur général à la Cour d’Appel de Basse-Terre (interview de Julien Babel du 11/12/2023)

Dans de telles situations, l’agent doit, en un laps de temps limité, analyser le niveau de dangerosité de la personne qui lui fait face, puis agir pour le neutraliser. 

Est-ce qu’on est dans une attitude de cinéma, de comédie en voulant impressionner les gendarmes ou les policiers ? Et, là, bien entendu, les techniques d’intervention sont différentes. Ou est-ce qu’on est face à quelqu’un qui est vraiment en train de souffrir de sa pathologie psychiatrique ou de l’effet de stupéfiants et dont la dangerosité est aggravée ? Ça, pour les forces de l’ordre, c’est très complexe.

Eric Maurel, procureur général à la Cour d’Appel de Basse-Terre (interview de Julien Babel du 11/12/2023)

Le but ultime est de protéger tout le monde.

Les administrés, les voisins, la famille, il faut protéger les policiers et les gendarmes, il faut aussi protéger la personne en cause, parce que c’est aussi un malade ! Donc, l’idée, c’est d’arriver à maîtriser l’individu, pour pouvoir ensuite, même si c’est de manière contrainte, par une hospitalisation sous contrainte, de le conduire vers un hôpital psychiatrique, pour qu’il puisse être médicalement traité. Il faut que l’irréparable ne survienne pas !

Eric Maurel, procureur général à la Cour d’Appel de Basse-Terre (interview de Julien Babel du 11/12/2023)

Mais, parfois, l’irréparable survient malgré tout.

L’avis d’un psychiatre

Le Docteur Michel Eynaud était l’invité du journal radio de 13h00 de Guadeloupe La 1ère, ce mercredi 10 janvier 2024. Ce psychiatre, chef de projet du Centre Ressources Handicap Psychique en Guadeloupe, confirme qu’il est compliqué d’interagir avec quelqu’un en état de crise.

L’important, dans ce domaine, c’est d’éviter la crise, de repérer le risque. La crise s’annonce souvent, donc il faut savoir en repérer l’apparition et la désamorcer, avant que ça ne devienne complètement explosif.

Dr Michel Eynaud, psychiatre (Interview de Julien Babel)

Puisque le besoin se fait sentir, le Centre Ressources Handicap Psychique prévoit justement d’organiser des formations intitulées "Premiers secours en santé mentale". Il s’agit d’abord, pour les opérateurs, de savoir approcher ce type de personnes.
Le Dr Eynaud explique que, dès lors que les forces de l’ordre doivent entrer en jeu, la mobilisation générée accroît les risques.

Outre la formation des équipes de terrain (pompiers, policiers, gendarmes, etc.), la coordination des services peut aider à améliorer les opérations.

Effectivement, il y a les forces de sécurité, les éléments du dispositif sanitaire, ceux de la justice... Il n’y a pas de malade dangereux en soit ; la dangerosité n’est pas inhérente à la maladie. Il y a des situations de risque de violences (...). Ce sont des personnes qui sont isolées, qui sont parfois en rupture de traitement, en rupture sociale, qui prennent des toxiques... et, donc, quand on cumule les différents facteurs, le risque augmente. C’est une responsabilité pour les soignants (quand les patients sont déjà connus), c’est une responsabilité pour tous les acteurs du social, pour maintenir les liens sociaux.

Dr Michel Eynaud, psychiatre (Interview de Julien Babel)

Les liens sont une des clés, selon le psychiatre. Avant d’arriver à la crise et à l’acte, il faut permettre au patient d’avoir des liens avec autrui et une place dans la société.

Le manque de moyens de prise en charge de la santé mentale

On comprend donc que la question du discernement préoccupe et mobilise, en Guadeloupe, tant les acteurs judiciaires que les intervenants en santé mentale et même certains politiques.

Pour autant, l’archipel manque de moyens, pour faire face à ses besoins en matière de prise en charge. Une meilleure couverture s’avère nécessaire. Les acteurs comptent sur un soutien national pour l’obtenir.

Il y a un manque de moyens humains, notamment au niveau des postes médicaux (...). Il y a un manque de places, les sièges de psychiatrie sont actuellement remplis, il y a une question qui se pose sur le nombre de places d’accueil, notamment en Grande-Terre, on manque de places spécialisées (par exemple pour les détenus), on manque de places pour les personnes qui ont des troubles plus importants (des unités pour malades difficiles), nous demandons des équipes mobiles, notamment sur la Basse-Terre, pour les adolescents...

Dr Michel Eynaud, psychiatre (Interview de Julien Babel)

Pour combler les manques du dispositif actuel, dans l’archipel, le Dr Michel Eynaud prône aussi le développement de Conseils locaux de santé mentale, des instances qui rassemblent tous les acteurs de la sécurité, du social et de la santé. La Guadeloupe n’en compte qu’un, à ce jour, au sein de la communauté d’agglomération Cap Excellence. Le même modèle est envisagé à Grand Sud Caraïbes.