Se lancer dans la musique n'aura pas été un choix porté par sa famille qui ne l'entend pas de cette oreille. Pourtant, Emmanuel persiste.
J'ai toujours aimé la musique. Ma famille n'aimait pas cela. Ils me disaient toujours que ce sont les vagabonds qui donnent dans la musique. Pour en faire, comme il y avait des opportunités avec l'Eglise avec des rencontres le vendredi soir qu'on appelait "sociale", alors, je cachais mes vêtements dans un arbre pour pouvoir y aller. Je me cachais de mes parents et j'y allais. Je me changeais pour entrer et je faisais de la musique.
Emmanuel Paines
Sauf qu'un jour, la voisine de sa mère est allée lui vanter ses mérites s'exclamant sur les qualités de ce fils musicien et surtout de chanteur.
Sa mère a alors souhaité l'entendre chanter. Mais lui ne voudra pas. Elle ne l'aura entendu que par les disques qu'il sortira ensuite. Quand son histoire de chanteur et de musicien prendra une autre ampleur.
Quand il se lance, sa première difficulté aura été de trouver un producteur. Dès le début, Henri Debs voit en lui un énorme potentiel et accepte d'être son producteur. Le producteur a d'ailleurs des exigences auxquelles le chanteur n'entend pas se soumettre.Et il obtient gain de cause. C'est ainsi qu'Henri Debs produit son premier 33 tours.
J'ai toujours voulu être mon propre modèle et tout ce que je faisais, je tenais à ce que l'on dise que cela me ressemble et non que c'est l'imitation de quelqu'un d'autre. Quand mon premier disque est sorti, j'étais fier. J'ai passé une journée à l'écouter. J'aimais l'entendre. C'était un 78 tours. Les gens croient que "Emanuyel rozé jaden la" était mon premier disque parce que c'est celui dont on parle le plus. Mais ce n'était pas le premier. J'avais déjà fait ce 78 tours avec Mavounzy. "Rozé jaden la" est venu après. Et avec lui, j'ai connu le succès. Le disque se vendait si bien qu'il était introuvable. Les gens l'aimaient. Surtout, c'était un nouveau rythme qui arrivait en Guadeloupe.
Emmanuel Paines
Une biguine qui sort alors même que son île Saint Martin, versait plutôt dans les rythmes des Antilles anglophones comme le calypso. Pourtant, l'île fera honneur à ce rythme nouveau et surtout à ce Saint-Martinois qui le chantait. Ils l'ont accepté.
Un réflexe dans l'air du temps puisque, en Guadeloupe comme à Saint Martin, on ne craignait pas la nouveauté. On souhaitait même faire partie des tout premiers à se faire une idée de ces novelles modes pour pouvoir en parler.
Avec toutes les musiques pour passion
C'est vrai aussi qu'Emmanuel Paines n'a jamais cherché à cultiver un rythme particulier. Ses disques sont l'occasion de passer d'un rythme à l'autre puisqu'ils étaient enrichis de tous les rythmes du moment.
C'est l'époque des Lacides, des Forestal, Casimir Létang et autres. Il faut donc être à la hauteur mais pour Emmanuel Paines, c'est cet éclectisme musical qui primait.
Son regard d'ailleurs sur la musique d'aujourd'hui n'était pas tendre. "Beaucoup de bruits pour rien" alors que pour lui, un musicien passionné ne peut se contenter des rythmes de boîtes à musique, il faut aller en profondeur pour que la musique jouée ressemble à celui qui la joue.
En Guadeloupe, Emmanuel Paines trouve sa place. Les autres musiciens guadeloupéens de son époque lui reconnaissent cette place. Ils l'apprécient et accueillent volontiers ces rythmes qui le caractérisent.
Ce qui va totalement dans la philosophie de cet homme qui estime que la musique est sans borne. Quelle que soit la langue qui la chante, la musique est toujours ce qu'elle est et ressemble à ceux qui la font.
Pourtant, il n'a pas oublié pour autant toute la polémique qui avait suivi la sortie de "Emanuyel rozé jaden la" :
Labé té di kon sa pa jwé'i, yo pa menm té ka rècevwè moun an légliz pas' sé moun la té ka dansé tout lannuyit asi "Emanyel rozé jaden la", yo té sansuré môso la a la radyo, mé apwé, kay fêt apwé , Mwen an kouté dé môso ki té pli mové ki sa !
Emmanuel Paines
(Les prêtres avaient interdit que l'on passe cette chanson. Ils ne voulaient même pas recevoir les fidèles à la messe le dimanche matin parce qu'ils avaient dansé toute la nuit sur ce morceau. La chanson a été censurée à la radio mais, quand je regarde ce qui s'est fait après, j'ai entendu des morceaux bien plus crus que cela).
En toute chose, Emmanuel Paines a toujours un regard radical. Sur l'évolution de son île, c'est avec la même radicalité qu'il l'analyse. Pour lui, si Saint Martin a effectivement évolué, ce n'est pas forcément pour les Saint-Martinois. "Saint Martin n'est pas comme avant et ce n'est plus Saint Martin". Un propos qu'il prononce non sans une certaine amertume. Et il ajoute :
Politiquement, ce n'est pas le même pays. Le pays où je suis né et où j'ai grandi et celui d'aujourd'hui n'est pas le même pays. Si je devais écrire des chansons sur Saint Martin, on me qualifierait de révolutionnaire parce que je ne ferais pas de "politrique", je dirais la vérité. Parce qu'il y a vraiment des choses qui se passent ici et avec lesquelles je ne suis pas d'accord. Et je ne suis pas le seul à le voir, même si très peu le disent.
Emmanuel Paines
L'histoire ne dit pas si l'évolution institutionnelle vécue par Saint Martin dix ans plus tard aura été dans le sens de ce "révolutionnaire".
Un philosophe au milieu d'une famille aussi éclectique que lui
De sa famille, il parle avec beaucoup de respect. Il a lui même six enfants, trois filles et trois garçons, auxquels il a su inculquer sa rigueur et son humanisme. Et même s'il ne leur a jamais vraiment parlé de ses sentiments pour eux, ses gestes envers chacun savaient le leur traduire.
Difficile pour lui de déterminer le nombre de frères et sœurs qu'il a. Il en a de ses deux parents. Lui-même porte le nom de sa mère et il est apparenté aux Richardson, aux Péterson, aux Brown... Très peu se sont intéressés à la musique, plusieurs se sont investis dans la politique.
Il se souvient d'ailleurs de cette époque où, avant la musique, il s'adonnait à la boxe. Il faisait d'ailleurs la lutte et la boxe dans le club de Maurice Saint-Val. Trois de ses frères étaient eux aussi dans la boxe. Dans les années 60, l'un de ses frères était un homme de spectacle. Sur scène il faisait tous les tours attractifs. Il en fait autant lui aussi dans des numéros de foire. Son frère lui demande alors de rester dans la chanson et de lui laisser les numéros de scène. C'est ce qu'il fera.
Quand il parle de lui et de ses qualités personnelles, c'est avec philosophie qu'il le fait.
J'ai toujours été gentil avec tout le monde. Une parole dit : "les biens de la terre reste à la terre" Mais sait-on toujours ce que sont les biens de la terre. Certains diront que c'est leur maison, leur voiture. Mais je crois que, les biens de la terre c'est d'abord ta propre chair, cette enveloppe dont tu te sers. Si tu veux me toucher, et que tu mets la main sur moi, je te dirai que tu ne m'as pas touché, que tu as touché l'enveloppe. C'est pour cela que j'estime que je ne meurs pas. Je suis arrivé un jour sur cette planète et un jour je n'y serai plus. On ne me verra certes plus, mais j'y serai. Beaucoup se disent Catholiques sans savoir ce que ce mot "Catholique" veut dire. Beaucoup disent qu'ils font la charité sans savoir pour qui ils doivent la faire Tu n'es vraiment chrétien que lorsque tu fais la charité envers les vrais démunis, les handicapés, les aveugles, ce sont eux qui ont vraiment besoin de cette charité. C'est bien plus qu'être chrétien, c'est être universel
Emmanuel Paines
Dans ses vieux jours, toujours aussi philosophe, Emmanuel Paines se sera voulu un passionné de la vie, un amoureux invétéré de la musique et surtout, un cœur ouvert sur la misère du monde. Et puis, il aura surtout pris le temps de vivre, fidèle à l'adage : "chaque chose en son temps".
Il est d'ailleurs persuadé qu'on ne peut pas l'oublier, qu'on ne l'oubliera pas. Avec humour, il rappelle simplement :"Emmanuel signifie : Dieu avec vous", preuve qu'il continuera d'arroser les jardins de tous ceux qui le referont vivre en chantant les refrains qu'il s’est plu à écrire et à chanter en son temps.