En Haïti, les gangs s’adaptent et la situation s’aggrave encore sur le plan sécuritaire.

Des habitants emballent leurs affaires pour fuir leurs maisons, afin d'échapper à la violence des gangs dans le quartier Solino, à Port-au-Prince (Haïti) - 26/10/2024.
En Haïti, malgré le déploiement d’une force multinationale de sécurité, pour prêter main-forte à la police locale, les gangs imposent leur loi, dans le pays. Pire, ils s’adaptent à cette nouvelle opposition, étendent leur territoire et soumettent la population à leur violence sans borne. L’ONU, qui multiplie les rapports et les alertes, est horrifiée, tandis que les exactions s’intensifient et font de plus en plus de victimes, notamment des femmes et des enfants.

Tranchées, drones, stocks d'armes, "boucliers humains", "zones de repli"... En Haïti, les puissants gangs ont adapté leurs tactiques, face au déploiement progressif d’une force de soutien à la police locale, s'inquiète un rapport de l'ONU publié hier (lundi 28 octobre 2024).

Ainsi, la situation continue de s'aggraver, malgré quelques progrès politiques et le début du déploiement de ce contingent dédié à la sécurité, déplore ce mardi l'Organisation des Nations Unies (ONU), horrifiée par une récente attaque "brutale" des gangs, dont les violences ravagent le pays.

Les gangs s'adaptent face à la force multinationale

Soutenue par l'ONU et les Etats-Unis, la Mission multinationale d'appui à la sécurité (MMAS), menée par le Kenya, a commencé à se déployer en juin dernier, avec pour l'instant environ 430 policiers et militaires arrivés dans le pays des Caraïbes miné par les violences des gangs, l'instabilité politique et une grave crise humanitaire. 600 Kényans supplémentaires sont attendus prochainement.

Haïti connaît "des niveaux records de violence des gangs" avec, entre janvier en juin 2024, plus de 3.600 homicides et plus de 1.100 enlèvements recensés, constate dans son rapport annuel les experts mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU. "Selon les estimations, 85% de la zone métropolitaine de Port-au-Prince est actuellement sous l'influence ou le contrôle de gangs", assurent-ils.

Pour protéger leur territoire, les gangs "creusent des tranchées et érigent des barricades", "utilisent des éclaireurs et des drones pour suivre les mouvements de la police", "placent des bonbonnes de gaz et préparent des cocktails Molotov" et stockent armes et munitions qu'ils filment pour "intimider" les autorités.

Décidés à faire "dérailler la transition politique" engagée après la démission, sous leur pression, du Premier ministre Ariel Henry, au printemps, certains membres de gangs ont également quitté Port-au-Prince, pour créer des "zones de repli" et étendre leur territoire, soulignent les experts.

Depuis le début de l'année, de nombreux gangs utilisent également "la population comme bouclier humain", pour augmenter le risque de pertes civiles en prévision d'opérations antigangs, estiment les experts.

Cette nouvelle tactique consiste notamment à empêcher les civils de partir et à exécuter sommairement ceux qui tentent de s'échapper.

Rapport de l’ONU – 28/10/2024

Les gangs ont également lancé "une campagne active de recrutement" pour atteindre 5.500 personnes, selon les estimations, ciblant en particulier les enfants qui, selon l'Unicef, représentent désormais jusqu'à 50% des membres de ces bandes criminelles.
Malgré le durcissement de l'embargo sur les armes par le Conseil de sécurité, "le trafic d'armes ne faiblit pas" notamment celles de "gros calibre", met en garde le rapport.
Selon les experts, l'alliance de gangs "Viv Ansanm" (vivre ensemble) "tient toujours", six mois après sa formation par les deux coalitions rivales G9 et G-Pèp, en février, pour chasser Ariel Henry du pouvoir. Toutefois, le plus connu de ses porte-parole, Jimmy Cherizier, alias "Barbecue", "a considérablement perdu de son influence", assurent-ils.

L'ONU horrifiée par la brutalité des gangs

Depuis juillet, "la situation s'est malheureusement aggravée", a déclaré devant le Conseil de sécurité Maria Isabel Salvador. La cheffe de la mission de l'ONU en Haïti a notamment évoqué l'augmentation du nombre de déplacés internes, qui a atteint plus de 700.000 en septembre, ainsi que le processus de transition politique enclenché au printemps qui, "malgré des avancées initiales", fait désormais face à "des défis importants, transformant l'espoir en profonde inquiétude".

La situation sécuritaire reste très fragile, avec de nouveaux pics de violence aiguë.

Maria Isabel Salvador, cheffe de la mission de l'ONU en Haïti

Elle a en particulier dénoncé l'attaque "terrifiante et brutale" de gangs contre la localité de Pont-Sondé ayant fait "115 morts civils et des dizaines de blessés" le 3 octobre, selon le dernier bilan qu'elle a cité. La responsable onusienne a également évoqué une série d'attaques, ces derniers jours, dans la métropole de Port-au-Prince et au-delà, ainsi que les violences sexuelles d'une "brutalité inouïe" contre les femmes et les filles.

Les Haïtiens continuent de souffrir à travers le pays alors que les activités des gangs criminels s'intensifient et s'étendent au-delà de Port-au-Prince, répandant la terreur et la peur, submergeant l'appareil de sécurité (...). La situation humanitaire est encore pire

Maria Isabel Salvador, cheffe de la mission de l'ONU en Haïti

Dans son dernier rapport, il y a quelques jours, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, note que la police, soutenue notamment par la MMAS menée par le Kenya, a "lancé des opérations antigangs de grande envergure" dans certains quartiers de la capitale, mais "peine toujours à garder le contrôle de ces zones en raison du manque de personnel et de ressources".

L'ONU s'inquiète particulièrement pour les enfants qui représentent la moitié des déplacés et sont la proie des gangs.

Nous estimons que les enfants représentent 30 à 50% des membres des groupes armés. Ils sont utilisés comme informateurs, cuisiniers, esclaves sexuels et forcés à commettre eux-mêmes des violences armées.

Catherine Russell, patronne de l'Unicef

Et être un enfant ne protège pas nécessairement de la "vindicte populaire" : le rapport du secrétaire général raconte ainsi comment un garçon de 10 ans, accusé d'être l'informateur d'un gang, a été abattu et brûlé par un groupe d'autodéfense en juillet.