Il y a eu cinq incendies destructeurs à Pointe-à-Pitre, depuis le début de l’année. A chaque fois, le mécanisme est le même : le feu prend dans une bâtisse à l’abandon, en bois et/ou squattée, puis se propage aux maisons voisines.
Nous en parlions hier : depuis 2020, la ville a répertorié 147 biens abandonnés, dont 37 ont occasionné une mise en demeure.
Pourtant, votée il y a 6 ans et prolongée jusqu’à 2038 au début du mois d’avril dernier, la loi Letchimy sur l’indivision successorale en Outre-mer de 2018 vise à favoriser les politiques d’aménagement du territoire, en luttant contre l’habitat indigne, notamment en réduisant les délais et régler les successions dans nos territoires.
Un outil législatif pour lutter contre l’abandon d’habitat
La loi Letchimy avait été adoptée en partie pour lutter contre ce phénomène de biens abandonnés et qui se détériorent, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques, comme on le constate à Pointe-à-Pitre, ainsi que dans d’autres communes de l’archipel.
Le texte avait été rédigé suite à un constat : de nombreuses habitations familiales restaient à l’abandon, faute de décision de vente ou de reprise du bien par un ou plusieurs héritiers.
Avant cette loi Letchimy, toute disposition devait être prise à l’unanimité des ayants droit. Voté le 27 décembre 2018, le texte du député martiniquais introduit une nuance de taille : désormais, en Outre-mer (il s’agit d’une disposition dérogatoire), pour toutes les successions ouvertes depuis plus de 10 ans, ce n’est plus l’unanimité qui est nécessaire, mais la majorité. Cette législation propre à nos territoires tient donc compte des situations de blocage, en cas de projet de vente ou de partage, liées à l’éloignement géographique des nombreux membres d’une même famille ; cela rendait toute action impossible, dès lors que l’un d’entre eux s’y opposait.
En Martinique par exemple, avant la loi Letchimy, 40% du foncier privé était ainsi bloqué par l’indivision.
C’est aussi pour cela que, dans de nombreuses communes de nos régions, des habitations se sont livrées à la vétusté et à tous les risques qui l’accompagnent.
"Pas suffisant !", de l’avis de maires de Guadeloupe
Quelques années après l’adoption de ce texte, on constate, malgré tout, que les situations perdurent. C’est le rapport à la terre et au patrimoine immobilier, dans nos territoires, qui est questionné par la loi. Est-elle adaptée à nos modes de transmission de biens ? La pression immobilière et les délais pour les actes notariés, bien souvent, poussent les familles à vendre, pour sortir de ces successions. Les biens sont ainsi perdus, cédés à d’autres, éloignant certaines familles guadeloupéennes de la propriété.
Des voix d’élus de l’archipel s’élèvent d’ailleurs, pour réclamer un nouveau dispositif législatif.
Le contexte réglementaire ne permet pas aux maires d’intervenir. Nous sommes très sensibilisés par cela, parce que nous estimons qu’il faudra une évolution réglementaire, pour permettre plus aisément aux différentes municipalités de maîtriser des fonciers, qui le sont, mais par des familles dans l’indivision. Il faut une nouvelle loi. C’est la responsabilité pénale du maire qui est en première ligne. Il faut le dire : les instruments juridiques que nous avons aujourd’hui ne nous permettent pas d’être efficaces sur de tels sujets.
David Nébor, maire de Petit-Bourg
Dimanche, sous le coup de l’émotion, dans le contexte d’incendie de la rue Peynier, le maire de Pointe-à-Pitre a aussi crié son désespoir.
Il faut qu’on puisse transgresser le droit de propriété ! Il faut qu’on nous autorise à acheter toutes ces maisons, dès lors qu’on a un interlocuteur, un héritier suffit ! On ne peut pas laisser des ruines, sous prétexte qu’on ne connait pas tous les propriétaires ! Il faut que l’Etat nous donne les moyens de nous approprier les biens abandonnés (...)
Harry Durimel, maire de Pointe-à-Pitre
Désormais, la loi Letchimy, dont le texte remanié est en vigueur depuis avril 2024, introduit une modification controversée, réduisant de 30 à 10 ans le délai de prescription acquisitive sous certaines conditions. Ainsi, une personne peut acquérir la propriété d’un bien immobilier ou mobilier par le simple fait de l’avoir possédé de manière continue, paisible et publique pendant une période déterminée de 10 ans (au lieu de 30), en l’absence de revendication du véritable propriétaire. La personne concernée doit être de bonne foi et en possession d'un juste titre.