"Lâche, minable et pathétique", tels sont les mots choisis par les organisations membres du Collectifs pour qualifier l’attitude des élus face à eux mardi, jour prévu pour l’ouverture des négociations entre eux et les élus, avec, selon ce que tous espéraient, le ou les représentants de l’Etat. Ils ont d’ailleurs pris soin de se contenter de qualifier les attitudes et non les personnes.
Elie Domota ira d’ailleurs un peu plus loin le lendemain en estimant "impardonnable et lâche" cette même attitude en ajoutant : "personèlman, le si peu de rèspè é de krédi kè té ka rèsté mwen pou yo, yo pèd li a jamè" (le peu de respect et de crédit que j’avais encore pour eux ils l’ont définitivement perdu).
Cette prudence de langage n’aura pas empêché les élus de se faire insulter par certains membres des organisations syndicales. Eux qui ont, à la faveur de ce conflit, découvert le désir de la domiciliation des pouvoirs, se sentent désormais entre le marteau des syndicats et l’enclume de l’Etat.
Mais au-delà de ces aspects conjoncturels, les crises de 2009 et de 2021, qui ne sont pas simplement sociales mais atteignent une envergure sociétale et surtout politique, interpellent quant à la légitimité de ceux qui les animent.
Une différence notoire d’ailleurs entre les deux crises, en 2009, dès le début, c’est le thème revendicatif autour de la vie chère qui va porter le mouvement et faire descendre dans la rue plus de 60 000 personnes.
Bien différent du contexte de 2021 où, le point de départ se limite à la question de la vaccination obligatoire et au pass sanitaire et plus généralement, aux conséquences de la loi sur les personnels soignants et assimilés suspendus dans leur fonction et privés de salaire. Des revendications sociales qui peuvent effectivement être portées par des organisations syndicales.
Une guerre de légitimité
Mais lorsque la plate-forme de revendications est publiée, elle comporte des thèmes qui sont bien loin de cette seule cause, des thèmes qui relèvent de la politique locale ou nationale.
De fait, quand ils élisent des conseillers municipaux, communautaires, départementaux, régionaux, des députés... Quand tous ceux-là élisent des sénateurs, quand ils élisent un président de la République, les électeurs font un choix de société en fonction des tendances qui se proposent à leurs suffrages.
En l’occurrence, même si l’abstention fragilise leur élection, elle n’enlève rien à leur légitimité. Puisqu’en démocratie, celui qui veut faire de la politique passe par les urnes pour recevoir une telle légitimité et être légalement investi par la population pour agir en son nom, quel que soit le pourcentage d’électeurs qui le lui aura permis.
Dans une note écrite sur ce sujet, en observateur avisé, Pierre-Yves Chicot rappelle que :
En démocratie : le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple est l’œuvre des élections. Les citoyens électeurs choisissent leurs représentants qu’ils élisent au nom de la démocratie représentative. Ceux-ci ont vocation à gouverner les institutions au service de la régulation sociale et agissent par des normes qui ont une portée générale.
La représentativité des élus de la nation a une forme de portée générale quand la représentativité des syndicats est circonscrite à leurs mandants.
Les syndicats ont vocation à défendre les intérêts matériels et moraux des actifs.
Ils n’ont pas le pouvoir d’administrer la société et ne peuvent agir en créant des normes
Il est vrai que, l’important taux d’abstention enregistré à chaque scrutin rappelle aux uns et aux autres la nécessité de changer de discours, de posture et d’engagement pour convaincre les électeurs.
Mais il n’en est pas moins vrai que, ni les sondages, ni même les manifestations populaires ne peuvent conférer ce statut et cette légitimité à ceux qui portent tel ou tel projet, telle ou telle revendication.
La rue contre les urnes
Peut-être parce qu’ils étaient eux-mêmes déconnectés du statut que les urnes leur confèrent, peut-être d’ailleurs pour s’assurer de la bienveillance des membres du Collectif, l’entrée en scène des élus dans l’actuel conflit a été l’un des actes qui aura, de fait, légitimé la position du Collectif. Tous ou presque, dans leurs premières déclarations, ont scrupuleusement veillé à dire que le Collectif avait raison ou, pour le moins, à ne rien dire contre les arguments du Collectif.
Certains iront même jusqu’à dire qu’eux-mêmes n’étaient ni pour l’obligation vaccinale, ni pour le pass sanitaire, contredisant ainsi la position prise par d’autres qui s’étaient résolument engagés en faveur de la vaccination afin de la conseiller vivement aux Guadeloupéens.
Une stratégie qui les conduits ensuite à jouer la carte locale : tous Guadeloupéens pour parler d’une seule voix, réveillant de la nuit où elle était plongée, l’idée d’autonomie rendue plus "guadeloupéano-compatible" par la notion de "domiciliation des pouvoirs".
Peut-être d’ailleurs n’avaient-ils pas réfléchi aux conséquences de cette fraternisation de surface. De fait, ils ont eux-mêmes accordé au Collectif la même légitimité qu’eux, se faisant dès lors, partenaires de discussion. Ainsi, ceux qui ont eu mandat pour agir se sont exposés aux critiques de ceux qui n’avaient que la délégation de la rue.
Dans le cas de la Guadeloupe, on assiste à une concurrence entre autorités, ce qui constitue une forme de bizarrerie politique. Les syndicats considèrent que les élus sont tellement peu crédibles en raison de leur légitimité qu’ils considèrent faible en raison de l’abstention de plus en plus massive, des affaires judiciaires trop nombreuses dans lesquelles certains sont impliqués et pas des moindres, le degré très perfectible en terme d’efficacité des politiques publiques.
Ce contexte démocratique local délétère crée un espace d’expression pour des syndicalistes et des syndicats dont l’idéologie est particulièrement caractérisée. Par ailleurs, la distance prise par les élus locaux vis-à-vis des représentants du pouvoir central ne semble pas être une réponse efficace pour s’affirmer devant des leaders syndicaux dont le charisme est loin d’être fade.
Il est d’ailleurs probablement plus facile et moins risqué de se prévaloir d’une légitimité de la rue plutôt que de tenter de l’obtenir par les urnes.
Si certains membres des associations culturelles fédérées aux organisations syndicales au sein du Collectif ont été candidats à des élections locales, à l’exception de Jean-Marie Nomertin toujours présent à toutes les élections au nom de Combat Ouvrier, très peu de leaders syndicaux, pour ne pas dire aucun, vont en campagne politique pour proposer leur vision des arguments sociétaux et politiques qu’ils défendent dans les grands mouvements sociaux comme celui du moment.
Une situation qui biaise l’abord des choses et suppose que les organisations membres du Collectif seraient les seules à pouvoir débattre des orientations sociétales qui concernent tous les Guadeloupéens. En quelque sorte, un déni de démocratie.
Mais on l’a dit ici, personne n’a osé leur demander au nom de qui le Collectif parlait. S’il fallait regarder son appellation, il faudrait le limiter aux seules questions liées à l’obligation vaccinale et au pass sanitaire. Mais, l’accord de méthode est né de leurs revendications, leur offrant ainsi une pleine reconnaissance des élus.
Pour Pierre-Yves Chicot :
L’exposé théorique plaide pour une incontestable légitimité des élus locaux mais dans la pratique la difficulté d’apporter des réponses ingénieuses pour résoudre la crise affermit la contestation syndicale, qui sur le sujet de l’obligation vaccinale supplante l’argument de la seule défense des intérêts catégoriels et ce, d’autant plus que d’autres revendications de nature sociétales viennent se greffer sur une colère sociale qui devait être circonscrite et conjoncturelle.
Pourtant, peut-être qu’en chemin, les élus ont pris conscience du piège qui s’est refermé sur eux. Eux qui avaient la légitimité des urnes et le pouvoir de s’en prévaloir, ont d’abord appris à s’exprimer d’une seule voix, créant de fait, une force qui n’existait pas jusqu’alors, un groupe nommé "les élus". Ils ont aussi pris conscience de ce que ce nouveau statut supposait en se retrouvant seuls face au Collectif, ils ont aussi vu qu’ils étaient désormais l’intersection entre le pouvoir régalien et le pouvoir de la rue.
De chacun selon ses responsabilités
Souvent conspués par la population qui, de manière globale estime qu’ils ne font rien, leur prise de conscience les conduits à la nécessité de passer du statut de l’élu "qui fait ça pour moi" tel que les électeurs les conçoivent encore aujourd’hui, à celui de l’élu qui doit savoir quelles sont les prérogatives du mandat qu’ils briguent.
Ainsi, un candidat au conseil départemental saura quand il fait campagne, que son périmètre n’est pas celui du maire ; les conseillers municipaux se souviendront qu’il y a désormais une instance communautaire au-dessus d’eux, les députés sauront qu’ils ne sont pas des "super maires" et qu’à chacun de ces échelons correspondent des responsabilités identifiées qu’ils ont à exercer au nom de la population.
Les organisations syndicales pour leur part ont à jouer le jeu de la démocratie : le peuple n’est pas seulement celui qui soutient sur les barrages, sur les piquets de grève ou dans les manifestations, mais l’ensemble de la population qu’il faut pouvoir convaincre en ayant le courage de s’engager politiquement quand on veut aborder la destinée sociétale de la Guadeloupe. Et c’est vrai qu’avec les urnes, il y a toujours le risque de perdre. Certains le savent si bien que les élections ne sont pour eux que des tribunes d’expression.
Parce que, quand on critique les élus en leur rappelant qu’ils ne sont élus que par moins de 25% des électeurs, il faut aussi pouvoir se souvenir que, même en 2009, la rue n’avait été l’expression que de 15% de la population globale et 5% seulement lors des défilés les plus importants en 2021.
Mais l’important est peut-être ailleurs que dans cette juxtaposition de chiffres. Cette guerre de légitimité est peut-être la première école de démocratie et de responsabilité politique que les Guadeloupéens s’offrent. Il restera ensuite aux électeurs eux-mêmes à ne plus avoir d’eux une attente personnelle, mais bien un avenir concerté pour la Guadeloupe tout entière.
Pour voir l'intégralité du propos de Pierre-Yves Chicot :