Pris en charge des patients Covid à domicile : deux infirmières libérales témoignent

Au même titre que les praticiens en milieu hospitalier, les infirmiers libéraux, qui vont chez les patients, sont en première ligne pour lutter contre les ravages de la Covid-19. Eux aussi angoissent et fatiguent, alors que la 4ème vague de l'épidémie fait rage. Eux aussi sont confrontés à la mort.

La Guadeloupe vit une situation épidémique inédite, depuis 18 mois. De surcroît, le virus impliqué, la Covid-19, bénéficie d'un regain de circulation, ces dernières semaines, pour nuire chaque jour davantage.

Dans cette guerre, on le sait, la première arme du territoire sont les soignants, qu'ils exercent en milieu hospitalier, ou au domicile des patients.

Très nombreux sont d'ailleurs les malades qui reçoivent leurs soins chez eux, faute de places suffisantes dans les hôpitaux et cliniques de l'archipel. Beaucoup auraient été complètement isolées, sans les infirmiers libéraux qui se rendent à leur chevet. Ces professionnels assistent à la détresse des femmes et des hommes dont ils s'occupent. Eux aussi travaillent dans des conditions difficiles. Eux aussi ont peur. Eux aussi voient trop de personnes mourir, parfois soudainement.

La mort trop fréquente, même à domicile

115 personnes sont mortes des suites de la Covid-19, en milieu hospitalier, la semaine dernière, en Guadeloupe.

Mais combien de malades meurent chez eux ? Les autorités sanitaires ne fournissent pas de chiffres. Mais la réalité est là. Parmi ceux qui peuvent en témoigner, il y a les infirmiers libéraux. Josiane Champion a rencontré une professionnelle expérimentée, qui a accepté de livrer son sentiment. Marie-Claire intervient principalement à Baie-Mahault.

Observez-vous une augmentation du nombre de cas de Covid, parmi vos patients ?

Il y a une minimisation du phénomène, alors que c'est criant. On a des morts à domicile !

Marie-Claire : "De plus en plus on a des patients atteints du Covid. On a 20% de patients supplémentaires, de Covid ! Donc on en a une dizaine, qu'on doit suivre pendant 10 jours, pour des soins deux à trois fois par jour. Il y a une minimisation du phénomène, alors que c'est criant. On a des morts à domicile ! Il y a eu 120 morts, sur deux semaines au CHU [NDLR : entre le 9 et le 20 août], mais je ne sais pas le nombre à domicile. Mais il y en a presqu'autant ! Et cela ne se sait pas !"

Avez-vous été vous-même confrontée à la mort d'un patient ?

Il avait 58 ans. Il est mort dans son sommeil.

Marie-Claire : "Oui ! C'est quelqu'un que je connaissais très bien. Il n'y avait pas de raisons que ce gars-là meure. Il n'avait pas tant de pathologies que ça. Juste un peu de diabète qu'il gérait très bien. Il avait 58 ans. On n'a même pas eu le temps d'appeler le SAMU. On l'a trouvé mort. Il est mort dans son sommeil. Je l'ai eu la veille. On devait faire les démarches. On était en attente d'oxygène. C'est sûrement un manque d'oxygène qui a conduit à son décès.".

Pourquoi le choix d'une hospitalisation à domicile ?

Tous les prestataires étaient en manque d'oxygène.

Marie-Claire : "Il n'y avait pas encore de décision, parce que son médecin était absent. Donc, c'est moi-même qui ai fait les démarches pour avoir l'oxygène, puisque sa saturation commençait à descendre. Et, donc, tous les prestataires étaient en manque d'oxygène... et ça continue.".

Comment collaborez-vous avec les médecins-traitant ?

Marie-Claire : "Les patients sont pris en consultation en visio, avec leurs médecins traitant et nous, on fait le nécessaire, donc la prise en charge quotidienne. On ne fait même pas appel au médecin, quand ça se dégrade, puisqu'à ce moment-là c'est souvent, comme par hasard, très tôt le matin ou tard le soir, donc le médecin traitant n'est pas disponible. Il n'est plus là. Donc, souvent, on fait appel au SAMU."

Et avec l'hôpital ?

C'est un mensonge que de dire que les gens de plus de 50 ans on ne les prend pas au CHU.

Marie-Claire : "L'hôpital est saturé. Mais ils prennent les urgences. J'ai deux exemples : il y a un monsieur que j'ai fait hospitaliser, la semaine dernière. Il est passé par la réa, maintenant il est en maladies infectieuses. J'ai une patiente qui est sortie du CHU dimanche soir et qu'on a ré-hospitalisée mardi, puisque son état se dégradait à domicile. Le premier a 52 ans ; la dame a 71 ans. Alors c'est aussi un mensonge que de dire que les gens de plus de 50 ans on ne les prend pas."

Comment évolue l'état de santé de vos patients Covid ?

Marie-Claire : "Des gens dont on pense qu'ils sont en bonne santé, ils se dégradent aussi vite que des gens avec comorbidités. C'est effarant !"

Vos patients sont-ils vaccinés ?

Marie-Claire : "Du tout ! Du tout ! J'en ai 4 qui sont vaccinés, c'est tout. Et j'en ai plein en comorbidité. Ce matin, j'en ai eu une qui m'a appelée et que je n'ai pas vue depuis un an. C'est une patiente qui m'avait dit qu'elle ne voulait pas nous voir, de peur qu'on la contamine. Comorbidité, obèse... elle a plusieurs pathologies...
Je lui ai dit : - tu es vaccinée ? - Oh non ! Avec tous ces gens qui sont morts avec le vaccin ! Non !
J'ai dit : - réfléchis ! Réfléchis vite !"

Comment allez-vous ?

Marie-Claire : "On a toujours la boule au ventre. On a la boule au ventre pour les patients. On a la boule au ventre pour soi, en se disant que même si on est vacciné, on n'est pas immunisé à 100%. Mais, j'ai choisi ce métier, donc je le fais depuis 36 ans et je continue encore pendant 4 ans."

Une interview que vous pouvez (ré)écouter ici :

Témoignage de Marie-Claire, infirmière libérale à Baie-Mahault

 

Reportage en immersion

Les infirmiers libéraux doivent prendre plus de précautions et se protéger davantage qu’auparavant. L'objectif est, bien entendu, d'éviter d'être contaminé et de répandre le virus, lors de leurs multiples déplacements.
Pour bien se rendre compte de la pénibilité des journée deces professionnels, en ces temps particuliers, rien ne vaut le fait de les suivre, durant une tournée. C'est ce qu'on fait Bruno Pansiot-Villon et Christian Danquin, avec Beya Djerbi, infirmière libérale, qui intervenait à Mare-Gaillard/Le Gosier :

©Bruno Pansiot-Villon et Christian Danquin - Guadeloupe La 1ère