Sonny Rupaire : Déjà 27 ans

C'est le 25 février 1991 que le poète guadeloupéen Sonny Rupaire disparaissait. L'homme, un militant de la cause nationaliste, avait fait de sa poésie une arme identitaire, une arme revendicatrice qui, aujourd'hui encore, reste un sujet de réflexion et d'inspiration
De tout ce que l'on pourrait dire de Sonny Rupaire, il restera toujours l'impression qu'il est trop vite disparu. Pourtant, durant ses 51 années de vie, il a vécu tant de choses, tant de rebondissements, qu'on est presqu'étonné que sa vie ait été si courte.
Quand il naît à Pointe-à-Pître pendant la seconde guerre mondiale en 1940, Sonny Émile Ernest Rupaire semble prédestiné pour une vie à rebondissements multiples; Et le 1er survient alors qu'il n'a que 7 ans, c'est le décès de sa mère qu'il vivra très difficilement. 
Il est encore au lycée Carnot de Pointe à Pitre, lorsqu'il participe pour la 1ère fois aux Jeux Floraux. Sa passion pour la poésie s'exprimera plusieurs fois dans ces jeux . Son poème sur l'esclavage et la colonisation "Les Dameurs" fait déjà parler de lui. Mais il veut être enseignant. En 1959, il entre à l’École Normale et dés 1961, il est instituteur à l'école communal de Saint Claude. 
La Guerre d'Algérie est l'occasion pour lui de refuser d'être incorporé aux troupes françaises, ce qui lui  vaudra d'être condamné en 1963 à Bordeaux pour insoumission. C'est à cette époque-là qu'il part pour l'Algérie soutenir l'Armée de Libération Nationale de l'Algérie. 
Il restera dans ce pays jusqu'en 1969, année où il rentre clandestinement en Guadeloupe. En 1971, il est amnistié par le gouvernement et est désormais un militant politique et syndical actif en Guadeloupe. C'est ainsi qu'il fait partie de ceux qui lancent l’U.T.A (l’Union des Travailleurs Agricoles de la Guadeloupe), le 1er syndicat authentiquement guadeloupéen. Réintégré au sein de l'Education Nationale en 1973, il est partie prenante dans la création de l'UGTG (Union Générale des Travailleurs Guadeloupéens), du S.G.E.G. (Syndicat Général de l'Éducation en Guadeloupe), et de l'U.P.L.G. (Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe)
Parallèlement, il continue de s'exprimer dans la poésie et publie l'oeuvre considérée comme magistrale, le poème « Cette igname brisée qu'est ma terre natale »
Autant d'activités au sein desquelles il s'investit jusqu'en 1991, année où il décède le 25 février. 
Le souvenir de Sonny Rupaire ne s'est pas effacé. Bien plus, lui qui avait aussi choisi l'Education Nationale pour transmettre son savoir à la jeunesse guadeloupéenne, a désormais son nom sur l'un des lycées de l'Archipel : le lycée de la Ramée de Sainte Rose est devenu depuis 2013 lycée Sonny Rupaire.

Pour aller plus loin, consultez le document de la Médiathèque Caraïbe en Cliquant ici
Célèbre poésie de Sonny Rupaire  :

Cette igname brisée qu’est ma terre natale

Au détour de mes silences

j’ai trouvé une éternité.

Je suis la mangue qui prépare

à la saison des orgies.

Je viens mûri aux ardeurs du soleil.

J’ai craché mon latex à l’oreille du vent.

Curieux regards cherchez-vous à savoir

comment j’ai pu quitter si vite mon espoir ?

Lourde cette fleur blanche

de murmures d’abeilles

et subtil ce poison fermenté dans son sein.

La nuit a incrusté dans mon front de fœtus

deux étoiles couvant cette igname brisée

qu’est ma terre natale.

Je suis la sapotille

roulant dans le dédale

des sentiers où l’on craint trop souvent de marcher.

J’ai craché mon latex à l’oreille du vent

en suivant la tête crépue

de mon astre

plaquée sur la voûte céleste

comme un énorme sexe

dans la virginité monastique d’un mur.

Je suis une surette ocrée

par des atomes de lumières.

Et mon écharde garde encor mémoire d’une

contraction rose de chair blessée

et de la mélopée monotone d’un cœur

muée en frénésie.

Je suis une primeur au verger des poètes.

De la fumure des souffrances

jaillira le fleuve d’espoir

avec des cliquetis de chaînes qui se brisent.

Contradicteurs pleurez, ma vérité offense.

Regrets abandonnés au volcan de ma force

j’ai craché mon latex à l’oreille du vent.

Ma lave affermira les douleurs qui battent.

Au sein de l’Atlantique

mon igname brisée

ancrera ses racines.

Et qu’il me sera doux

ô

maître séculaire

d’entendre au fond des soirs multipliés d’insectes

pleurer ton rêve occidental

dans le coui de ma joie !

Sonny Rupaire