L'organisation non gouvernementale internationale "Global Initiative Against Transnational Organized Crime" (Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée), a étudié l'emprise des gangs sur la société haïtienne en interrogeant des politiques, des membres des forces de l'ordre, des chefs d'entreprise, des associations humanitaires, des citoyens. Une présence qu'elle juge considérable.
Des gangs en constante évolution
Le phénomène des gangs n'est pas nouveau dans le pays. Ils existaient déjà dans les années 50, avec les Tontons Macoutes, une milice particulièrement violente et meurtrière, créée par François Duvalier "Papa Doc" afin de réprimer toute opposition. Au fil des années, ils ont toutefois connu une évolution radicale.
Ainsi, selon son dernier rapport rendu public le 12 février dernier, l'organisation indique que le nombre de gangs a considérablement augmenté en taille et en "bras" par rapport aux années 2000 et 2010.
Début 2024, on estimait qu'ils étaient environ 200 dans le pays. Des groupes opérant principalement dans la zone de Port-au-Prince, comprenant les communes de Port-au-Prince, Delmas, Cité Soleil, Tabarre, Carrefour et Pétion-Ville.
Leur taille a également évolué. D'une cinquantaine à une centaine il y a une vingtaine d'années, ils comptent aujourd'hui jusqu'à 1 500 à 2 500 membres.
Pour les rapporteurs, les gangs les plus puissants actuellement n’existaient même pas il y a dix ans, alors que de nouvelles bandes émergent chaque semaine.
Des chefs de gangs bien connus en Haïti
Le rapport dénonce aussi les liens entre les chefs de gangs et les réseaux politiques et économiques "qui leur assurent mécénat et financement, contacts au sein de la police et du système judiciaire". Des connexions qui leur permettraient également d'avoir accès à des armes de gros calibre ou à de la drogue.
Parmi ces chefs de gangs haïtiens, plusieurs ont servi dans les forces de sécurité du pays ou dans des partis ou mouvements politiques. Par exemple, Jimmy Chérizier (Barbecue), chef du G9, est un ancien policier, tandis que Chery Christ-Roi (Krisla), chef du gang Ti Bwa, est un ancien militant politique.
Racket et extorsion comme sources de revenus
Comme sources de revenus, ces organisations criminelles s'appuient essentiellement sur le racket et autres formes d'extorsion.
Certaines imposent des impôts en échange de la protection d'activités commerciales. Ce qui serait une spécialité du gang G9, selon l'étude.
Le contrôle des ports et terminaux pétroliers de la capitale, ainsi que la zone de Delmas, centre commercial, les entrepôts, les marchés et les sièges sociaux, leur permet d'obtenir de juteux revenus.
Des sources locales affirment que ces rackets de protection sont gérés par des intermédiaires qui organisent négociations et paiements entre les gangs et les chefs d'entreprise. Certains paieraient entre 4 500 et 18 500 euros par semaine pour avoir le droit de travailler, ainsi qu'une taxe sur chaque conteneur sortant des navires.
Selon des habitants, le paiement se fait parfois en armes et munitions au lieu d'espèces.
Des barrages filtrants payants organisés
Autre source de revenus pour les gangs, les points de contrôle installés dans la capitale et ses environs. Des barrages payants devenus, au fil des années, de plus en plus sophistiqués. Ainsi, un transporteur de biens ou de personnes peut demander une carte pour la semaine afin de payer la somme extorquée au lieu d'être taxé chaque jour.
Selon les témoignages recueillis confirmés par le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, certains points de contrôle rapportent des millions de Gourdes (monnaie officielle d'Haïti) par jour, soit entre 5 000 et 7 500 euros.
Si ce système de "carte" permet un certain degré de sécurité, les déplacements restent extrêmement dangereux, exposant les habitants à des menaces, des violences physiques, des vols et des enlèvements.
Les enlèvements, un business criminel florissant
De plus, le kidnapping est devenu l'un des marchés criminels les plus importants dans et autour de la capitale.
Riche ou pauvre, pratiquement tout le monde à Port-au-Prince connaît au moins une personne qui a été kidnappée au cours des deux dernières années. Selon le Centre d'analyse et de recherche en droits humains (CARDH), plus de mille enlèvements ont été recensés. Des chiffres que le CARDH reconnaît en deçà de la réalité. Si l'on se réfère aux témoignages, ce chiffre pourrait être 50 fois plus élevé, surtout si l’on considère la montée des "enlèvements collectifs", des bus entiers de passagers, par exemple.
Le kidnapping est devenu une "industrie" générant des millions de dollars par an selon les rapporteurs de "l'Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée".
Et là encore, le système est très organisé. Les groupes les plus puissants peuvent maintenir des dizaines de personnes en captivité. Et pour contrôler les locaux dans lesquels sont gardées les victimes, des "gardes" sont choisis au sein du gang ou recrutés parmi les citoyens. Le transport des kidnappés donne également lieu à des échanges d'argent. Pour gagner davantage, les gangs enlèvent leurs victimes dans les quartiers riches, plus éloignés de leurs territoires. Ils doivent ensuite payer des "sous-traitants" qui contrôlent les routes utilisées pour transporter les victimes jusqu'à leur destination. Certaines personnes kidnappées se souviennent avoir été transportées par des bandes. Chacune endossait un rôle spécifique et s'occupait d'une partie du transfert, avant que les personnes enlevées ne soient remises au gang principal.
Ces violences ont suscité de violentes réactions d’autodéfense de la part des habitants contre les ravisseurs.
Le trafic d'organes, une réalité désormais
Enfin, plusieurs sources locales ont indiqué que certains gangs se sont récemment tournés vers le trafic d'organes, notamment à Cité Soleil et Canaan. Bien que ce sujet nécessite une enquête plus approfondie, des témoins au cours de cette étude ont cité des cas de cadavres dépourvus d’organes vitaux et laissés dans les rues – à Port-au-Prince et dans plusieurs zones rurales où des gangs ont attaqué et kidnappé des personnes. Enfin, d'autres sources au sein des hôpitaux ont confirmé ces dires affirmant que certains gangs exploitent désormais leurs cliniques, non seulement pour soigner leurs soldats, mais aussi pour prélever des organes sur les personnes enlevées.