"Victoire Jasmin siégeait au bureau [du Sénat]. C'était le 12 juillet dernier." Devant un parterre d'invités, composé d'élus, de proches, d'amis, de collaborateurs parlementaires et de quelques artistes réunis pour rendre hommage à la sénatrice socialiste, morte brutalement le 6 octobre, le président de la chambre haute du Parlement, Gérard Larcher, raconte l'un des derniers moments que l'élue guadeloupéenne a passé au Sénat. C'était ici même, dans le salon de Boffrand, une des nombreuse et majestueuse salle du Palais du Luxembourg, à Paris. "Elle était là, vers le bouquet de fleurs que vous voyez dans le fond, précise le président, pointant du doigt un coin de la pièce. Victoire était une collègue très engagée (...), elle avait toujours des choses passionnantes à nous dire."
Pendant près de deux heures mardi 10 octobre, les collègues, les amis et la famille de Victoire Jasmin, qui avait 67 ans au moment de sa mort, se sont passés le relais pour raconter leur Victoire. La Victoire politique. Militante de gauche. Mais aussi la sœur et la mère de famille, qui était même devenue grand-mère au mois de septembre.
"L'ambassadrice" de la Guadeloupe
Dans le salon du Sénat où trône un portrait de l'ex-sénatrice réalisé par l'artiste Jean-Loup Othenin-Girard, de nombreux parlementaires ont fait le déplacement pour saluer cette femme qui s'est démarquée pour son engagement politique. Ancienne ministre des Outre-mer lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, Annick Girardin, récemment élue sénatrice de Saint-Pierre et Miquelon, insiste sur l'héritage laissé par Victoire Jasmin. "Gardons les combats qu'elle a menés, gardons la force de caractère qu'elle avait", dit-elle au micro d'Outre-mer la 1ère.
Tous les députés de la Guadeloupe sont présents : Olivier Serva, Christian Baptiste, Max Mathiasin et Elie Califer. "Khoty nous laisse un grand vite", lâche ce dernier, en nommant l'ancienne sénatrice par son surnom.
Bien qu'ils ne siégeaient pas dans le même groupe politique, son collègue guyanais Georges Patient est venu saluer non seulement la mémoire de l'élue, mais surtout celle de son amie. "Elle a laissé son empreinte dans cette maison, exprime-t-il. Elle était une petite femme dynamique, déterminée, qui souriait tout le temps." Au sein du Sénat, chambre qui défend les intérêts des collectivités, "elle était l'ambassadrice, la voix, la force de la population guadeloupéenne", estime Patrick Kanner, le chef de file des socialistes auxquels appartenait Victoire Jasmin.
Une grande militante
Les sénateurs qui défilent au pupitre détaillent avec passion son action en tant que parlementaire. Membre de la commission des affaires sociales, elle était avant-gardiste sur les sujets de santé, elle qui travaillait dans ce milieu avant de se lancer en politique et qui n'a pas hésité de s'opposer à la vaccination obligatoire des soignants, alors même que son groupe politique la défendait.
Gérard Larcher, le président du Sénat issu du bord politique opposé, ne manque pas de souligner son dévouement et sa pugnacité. Mais aussi son engagement pour son territoire : elle a fait voter un amendement à l'unanimité pour la prise en charge des tests chlordécone ; son dernier rapport concernait la parentalité dans les Outre-mer, un sujet hautement important dans ces territoires où les violences intrafamiliales sont plus marquées que dans l'Hexagone.
Malgré sa récente défaite aux élections sénatoriales du 24 septembre qui lui a empêché de re-signer pour un second mandat, Victoire Jasmin a gardé l'aura d'une grande militante. Parmi les orateurs de la soirée-hommage, il y a Claudine Fagour, la présidente de l'association Amazones Paris, qui accompagne les femmes atteintes d'un cancer. "Chère Victoire, nous sommes sous le choc de l'annonce de ton départ", lance la Martiniquaise. Victoire Jasmin devait participer à un évènement organisé par l'association le week-end dernier. "Les Amazones te disent merci."
"Maman, nous t'aimons"
Dédiée pour les bonnes causes, Victoire Jasmin était aussi entièrement dévouée à sa famille. Ses frères et sœurs, dont certains ont pu faire le déplacement, saluent celle dont la "porte à Morne-à-l'Eau était toujours ouverte, tout comme son cœur."
C'est le discours de son fils, Fabien, qui a le plus chamboulé l'assemblée. La disparition de sa mère est "une des plus fortes douleurs de [sa] vie". Digne dans les mots, il raconte cette maman féministe, qui rendait le monde meilleur que ce soit par un simple sourire ou par son action au Parlement.
Féministe engagée, nous ne sommes pas étonnés qu'elle ait pris son envol pendant le mois d'octobre rose, ce mois dédié aux femmes.
Fabien Jasmin, fils de Victoire Jasmin
Pour finir, le jeune homme tient à partager le dernier moment qu'il a passé avec sa mère, vendredi dernier. "En partant, alors que ma petite sœur lui tenait la main droite et que moi-même je lui tenais la main gauche, elle a versé une très petite larme, perlée. Cinq secondes avant son dernier souffle. Une si petite larme, mais qui renfermait en elle des milliards d'étoiles. Ce soir, je peux vous dire que, dans l'une de ces étoiles, on pouvait y voir son envie d'être encore là, avec nous." Et de conclure : "La Guadeloupe a perdu l'une de ses plus grandes dames, l'une de ses mamans. Maman, nous t'aimons."
Premier hommage populaire en Guadeloupe
Un jour choisi aussi par ses amis pour convier tous ceux qui le voudraient à venir lui rendre hommage. Une soirée populaire au Centre Rémi Nainsouta devenu pour l'occasion un lieu de convergence pour tous.
Pas de frontière politique, pas de barrière sociale, tous sont venus exprimer à leur manière les qualités de cette femme qui aura su marquer par son implication de multiples domaine de la vie sociale ou sanitaire de la Guadeloupe.
Pêle mêle dans cette salle se croisent et s'écoutent la famille, les voisins de Morne-à-l'Eau, les amis rencontrés à telle ou telle époque de sa vie, les hommes et les femmes politques de tous horizons, des journalistes, des parents d'élèves, et puis, simplement, des Guadeloupéens touchés par ce décès brutal ou reconnaissant pour l'une ou l'autre des actions qu'elle a menées au CHU, à la FAPEG, pour les femmes et pour les familles, à Morne-à-l'Eau ou au Sénat.
Des réactions résumées par Roseline Chatelot, une ancienne collègue membre du Zenta Club, Jacques Kancel, un homme politique, Nicole Valton, une amie, Jocelyne Unimon, une voisine et Christina Jasmin, membre de sa famille.