#21 Confinée dans la tête… d’une situation financière !

Je sais à quel point il est délicat de parler argent chez le commun des mortels enclin à une certaine pathologie pudique du porte-monnaie. Tout est confidentiel. Comme si nous avions prêté une sorte de serment d’Hypocrites du Fric. Nous n’aimons pas dire combien nous gagnons mais nous aimons étaler nos richesses. Vu que tous les voyants sont au rouge et qu’il n’y a plus d’apparences à sauver, je peux passer ma situation sur le billard pour une opération à cœur ouvert, parce que là, j’ai les boules ! J’sais pas si je vais m’en sortir avec un masque ou sur un corbillard. Le nerf de ma guerre a été rudement sectionné. Mes perfusions sont vides et mes poches sont trouées. Certains tentent de me rassurer en débitant une philosophie marxiste à deux balles qu’ils me vendent comme du Feng Shui.
— Vois le côté positif de la situation. Nous sommes tous reliés par nos chakras pour que l’énergie circule mieux et que nous combattions le capitalisme néolibéral en adoptant une vie plus sage renforcée par une croissance spirituelle et l’abandon de l’égo. Vois comme les puissances s’effondrent et les cotations en bourse sont en souffrance. Vois comme le pétrole volé glisse totalement des mains des actionnaires pétroliers. Vois comme cette épreuve est là pour nous rappeler que l’argent n’a jamais fait le bonheur et que les chiffres resteront toujours relatifs que ce soit pour un pauvre ou pour un riche. Vois comme nous sommes dans le même bateau…
— La ferme !
Combien ça coûte pour qu’elle se taise ? Elle n’a pas dû voir Titanic en entier ! Tous dans le même Paquebot mais à la fin c’est sauve qui trouve un canot. Moi j’voulais juste voir-venir. Au moins, j’aurais anticipé et fais mes courses en 1996 pour traverser cette crise. J’aurais stocké mes conserves et mes pâtes à l’époque où manger coûtait 50 francs. Depuis que l’on nous a pratiquement tous hospitalisés à domicile en bonne santé, en nous privant d’une partie ou de la totalité de nos revenus, nos portes-feuilles sont à l’article de la mort. Vivre n’a jamais coûté aussi cher alors que pratiquement toutes les boutiques sont fermées. Toutes mes économies partent en fumée dans du savon, des petits-pois et des cacahuètes. Si je fais une consultation de solde, je dépense actuellement tout ce que je ne gagne plus dans des choses que je ne consommais pas ou très peu avant. À cette allure, je n’irai plus en vacances aux Bahamas mais en bas de chez moi avec, comme billet de première classe, les tickets de caisse des six dernières semaines. Je passerai mon temps à recalculer mentalement comment 1,85€ plus 1.69€ plus 2,34€ plus 0,86€ plus 3,70€ plus 5,97€ ont bien pu ruiner mon existence. En plus de manger seule, le plus dur est de ne plus s’entendre dire « laisse c’est pour moi » ou « on divise l’addition » ou « passe dîner à la maison ». Et l’autre qui l’ouvre avec ses chakras pour me dire de voir le côté positif de la situation. Je suis devenue partiellement précaire, activement désargentée, et comme si ce n’était déjà pas assez, je collectionne les tickets de caisses qui me remercient pour ma visite et me disent à bientôt. Ils savent bien que j’irai ponctionner dans mon livret A, puis dans mon assurance vie et dans la tirelire des enfants pour venir mettre du beurre dans leurs épinards. À ceux qui pensaient faire des économies, Coco est en train de nous vider à là puissance 19. Il ne nous aura pas permis d’épargner. L’été prochain nous irons nous promener aux rayons frais avec nos comptes gelés. On s’amusera à prendre des selfies devant les prix exorbitants pour libérer le chakra de l’esprit de création. C’est vraiment la dèche. Paraît que le gouvernement va aider tout le monde ; Les riches à retrouver leur fortune et les pauvres à retrouver leur misère stationnaire. Quant aux autres, ceux qui ont un pied dans l’enfer et l’autre dans le jardin d’Eden, ils deviendront rapidement unijambistes, car n’oublions pas que quand l’État aide de la main droite il se sert de la main gauche pour amputer. Pour sortir de cette crise il aurait fallu tuer cette nouvelle misère. Mais ça aussi, c’est pas gagné d’avance, car quand il n’y a plus de blé il n’y a plus rien à faucher.

Emmelyne OCTAVIE,"Confinée dans la tête de..."