[Dossier] Crise migratoire : des vagues répétées d'arrivées de migrants depuis 18 mois sur le territoire

La tension est palpable actuellement en Guyane. Depuis un an, les Guyanais sont soumis à des rudes traitements. Entre couvre-feu et confinement, la situation est tendue. Ce lundi, ils étaient plus de 200 à manifester devant la préfecture. La récente arrivée de nouveaux migrants ne passe pas.

La tension est palpable actuellement en Guyane. Depuis un an, les Guyanais sont soumis à des rudes traitements. Entre couvre-feu et confinement, la situation est tendue. Ce lundi, ils étaient plus de 200 à manifester devant la préfecture. La goutte d’eau : l’arrivée de nouveaux migrants.

« Je suis allée manifester. Je crois que c’est la première fois dans ma vie que je me mobilise. J’ai 76 ans, et j’étouffe. Nous sommes depuis plus d’un an confinés, reconfinés, soumis à des règles très strictes. Nous ne pouvons pas voyager et depuis un an, nous apprenons que des personnes franchissent des frontières fermées pour réclamer l’asile politique en Guyane. Ces personnes dorment dans la rue. Les rues sont sales. Lors du couvre-feu, le dimanche Cayenne ressemble à une ville fantôme avec des personnes qui errent sans but. La Guyane est une terre d’accueil, nous le prouvons tous les jours, mais nous n’en pouvons plus d’être stoïques, de nous taire, nous mourrons à petit feu.

Suzette

Comme Suzette, ils sont nombreux à s’être mobilisés à l’appel de Trop Violans, les lanceurs d’alerte. Un peuple loin de vouloir faire la révolution, mais convaincu de vivre une profonde injustice. Des commerçants, des artisans, des anonymes essayant de retrouver l’esprit du mars 2017. Depuis plus d’un an, la crise sanitaire se dégrade et l’arrivée de nouveaux migrants ne passe pas.

Des vagues successives

La Guyane, seul territoire français en Amérique du sud a toujours été une porte ouverte aux flux migratoires. La situation s’est accélérée ces derniers mois, générant une crise sans précédent, doublée par une gestion de l'épidémie très critiquée : des élections territoriales qui peuvent - malgré le risque sanitaire - se tenir, les voyages aériens sous fortes contraintes, un couvre feu et un confinement maintenus des mois durant, et une fois de plus, des migrants qui franchissent allégrement les frontières fermées. La population a le sentiment d'être submergée par la pression migratoire, sans pouvoir agir. 

Des tentes installées aux Amandiers

En janvier 2020, 160 Syriens demandent l’asile en Guyane arrivés par le Brésil voisin. Ce sont environ 70 personnes qui s’installent dans le dénuement le plus total, place Auguste Horth, ancienne place des Amandiers, lieu traditionnel de promenade. La Guyane ne compte en effet aucun centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) malgré plus de 2 000 demandes déposées en 2019 - pour la plupart de personnes originaires d’Haïti - selon les chiffres de la Cimade.

 

Un camp Pointe Buzaré

En octobre 2020, arrive une nouvelle vague, cette fois des demandeurs d’asile d’origine cubaine et syrienne. Ils s’installent à la Pointe Buzaré et autres artères de la ville, en attendant que leur situation soit régularisée. Une majorité de demandeurs d’asile est finalement relogée en février 2021 : 152 personnes concernées par un critère de vulnérabilité ou en demande d’asile, placées dans des hébergements temporaires. Les autres, encore sur place, sont expulsés, sans solutions d'hébergement. D'autres trouvent refuge dans un hôtel. 

Des migrants par charter

En mai 2021, une autre vague migratoire, à très grande échelle cette fois. L’arrivée via le Surinam, de centaines de personnes venant d’Haïti par charter, fuyant la misère, les enlèvements et les kidnappings. Des hommes et des femmes dans l’espoir d’une vie meilleure. Seulement, cette arrivée massive génère de nombreuses interrogations : la question des frontières fermées, la localisation des migrants une fois sur le territoire, l'absence avérée de réalisation de tests Covid aux frontières. Des événements qui ont provoqué une forte émotion sur fond de circulation active du virus, donnant l’impression d’une passivité de l’Etat.

 

Des riverains traumatisés

Enfin, cette dernière arrivée, ce week-end, 70 migrants d’origine cubaine, vénézuelienne et syrienne se sont installés rue madame Payée à Cayenne, non loin du siège de la Croix Rouge, armés de leurs tentes et leurs bagages, attendant une prise en charge. Les riverains échaudés, eux, préviennent les autorités. Très vite, le ton monte. Cette rue a en effet une histoire : en septembre 2018, des membres des Grands Frères avaient essayé de déloger des squatteurs à la demande des habitants de cette artère, afin de mettre fin à un trafic de drogue et à des faits de violence. Pour ces faits, les Grands Frères en avril dernier, ont écopé de peines d'emprisonnement de 8 et 6 mois avec sursis.

Ces successions d'arrivée de migrants et leurs conséquences sur un quotidien déjà fragilisé par l'épidémie de Covid-19, créent un profond sentiment de malaise.  L'Etat doit mettre en place des moyens supplémentaires pour faire face aux prochains flux migratoires.

Aujourd'hui, six familles de migrants arrivées récemment ont été relogées. Les associations de soutien tentent de trouver des solutions pour les autres, le temps de l'examen des demandes d'asile. L'état d'urgence sanitaire, quant à lui, a été prolongé jusqu'au 18 septembre pour la Guyane.

 

"La Guyane terre d'asile ou terre d'escale", l'analyse de Thierry Nicolas maître de conférence en géographie à l'université de Guyane

-Le rôle de la Guyane, comme route vers l'Europe des flux migratoires, est de plus en plus important, était-ce prévisible ?

Je pense qu’il faut relativiser cette affirmation. La Guyane est une étape pour certains migrants qui, dès le départ, n’avaient pas vocation à s’installer durablement en Guyane. C’est le cas pour des demandeurs d’asile originaires du Proche et du Moyen-Orient en particulier de la Syrie qui expriment parfois le souhait de se rendre en Europe. Ils cherchent souvent à se rapprocher de leurs proches qui ont émigré vers « le vieux continent » au cours de la grande vague de migration syrienne (qualifiée de « crise migratoire ») à partir du printemps 2015. En l’espèce, c’est moins la France continentale qui est recherchée que l’Allemagne. Il faut en effet rappeler que l’Allemagne est le pays qui, en Europe, a accueilli le plus grand nombre de migrants au cours de cette crise migratoire. En revanche, d’autres migrants font de la Guyane leur terre d’adoption. L’étude Migrations, Vieillesse, Familles menée par l’Ined indique que les Haïtiens et les Surinamiens sont ceux qui parmi les migrants ont la plus forte aspiration à rester en Guyane (69 %).

-Quelles sont aujourd'hui les circuits migratoires les plus empruntés ?  

Les migrants qui viennent en Guyane transitent par les pays limitrophes. Le Surinam et le Brésil sont de loin les principales portes d’accès au territoire. L’itinéraire-type combine une traversée des fleuves-frontières dans un premier temps, puis le franchissement des points de contrôle routier d’Iracoubo et de Régina par voie terrestre ou fluviale. Bien qu’en diminution depuis l’ouverture de la RN2 au milieu des années 2000, le trafic maritime reste prégnant. Les échouages d’embarcations rappellent régulièrement aux Guyanais que la mer reste une porte d’accès au territoire. Quant à l’avion, s’il était le principal mode d’accès au territoire en particulier lors des premières vagues de migration haïtiennes, c’est aujourd’hui moins le cas.

-Selon vous, qu'est ce qui poussent ces migrants à venir en Guyane ? 

Les migrants qui viennent en Guyane cherchent surtout à améliorer leurs conditions de vie. En ce sens, ces migrations peuvent être qualifiées de migrations économiques. La vitalité de la demande d’asile au cours de ces dernières années témoigne également du fait que certains migrants aspirent à une protection face à des persécutions ou des violences subies dans leur pays d’origine. Enfin d’autres migrants viennent exploiter les ressources du sous-sol ou tirer profit du trafic interlope.

-L'apparition des Syriens ou même Marocains a-t-elle favorisé une nouvelle route de l'immigration ? 

L’apparition des migrations syriennes montre que de nouvelles routes de l’immigration se développent à longue distance. Si les migrants installés en Guyane sont originaires majoritairement des pays voisins et d’Haïti, d’autres n’hésitent pas à traverser plusieurs continents, pays, mers et océans pour parvenir en Guyane. Ce type de migrations est souvent possible au coup-par-coup. Un tel parcours est en effet plus complexe et suppose l’installation dans des pays dits de transit pendant une période plus ou moins longue.

-Est-il possible d'arrêter ces flux migratoires ?  

Il semble difficile pour les autorités de contenir ces flux migratoires. Un directeur de la police aux frontières avait en son temps affirmer qu’il était impossible de contrôler le linéaire des fleuves-frontières de Guyane. En ce qui concerne la demande d’asile, il est possible de la rendre plus compliquée. C’est le sens du décret du 23 mai 2018 qui a introduit de nouvelles règles en la matière spécifiques à la Guyane. Dans des cas extrêmes, certains pays sont tentés de limiter le droit d’asile. Le Danemark poursuit ainsi l’objectif « zéro demandeur d’asile ». Cette politique consiste à déterritorialiser la demande d’asile en s’appuyant sur des pays tiers. Mais une telle politique semble difficilement concevable en France…