Eglise : deux enquêtes judiciaires et une enquête du Vatican en cours en lien avec le mandat de Monseigneur Lafont

Emmanuel Lafont, Évêque de Guyane de juin 2004 à octobre 2020

Le Vatican a lancé « une enquête approfondie sur les accusations portées contre Monseigneur Emmanuel Lafont », évêque de Guyane jusqu’en octobre. Au niveau judiciaire, des enquêtes sont menées sur deux procédures concernant l’ancien évêque.

Le Vatican a lancé « une enquête approfondie sur les accusations portées contre Monseigneur Emmanuel Lafont », évêque de Guyane jusqu’en octobre. Une lettre de l’archevêque de Port of Spain, le représentant du pape pour la zone Caraïbes, a été lue en Guyane lors des messes du week-end Pascal. Au niveau judiciaire, des enquêtes sont menées sur deux procédures concernant l’ancien évêque.

Le 19 octobre 2020, Monseigneur Lafont, évêque de Guyane, porte plainte. Il dit avoir été agressé par un jeune homme majeur hébergé depuis plusieurs mois à l’évêché, à Cayenne. Le suspect, un migrant dans la précarité, est interrogé au commissariat à Cayenne. Selon nos informations, il parle aux enquêteurs de relations intimes avec l’évêque, et de cadeaux reçus de ce dernier. A la mi-mars, le jeune porte plainte pour abus de faiblesse. Précisons à ce stade que Monseigneur Lafont dément catégoriquement toute relation de ce type.

Une plainte pour « harcèlement moral »

Autre procédure en cours : celle lancée par une économe de l’évêché licenciée en 2008, licenciement qualifié d’ «abusif » sur la forme par les prudhommes. Trois ans plus tard, l’ex salarié porte plainte pour « harcèlement moral », avec constitution de partie civile. Elle évoque une comptabilité non conforme, qu’on lui aurait demandé de valider sous la pression, une confusion entre le compte de l’évêque et celui de l’évêché et une liaison présumée entre le prélat et un jeune hébergé sur place. Une juge d’instruction ordonne une commission rogatoire et demande à la police d’enquêter, mais rien n’est fait. En 2019, changement de juge : à nouveau auditionnée, la plaignante maintient ses propos. En poste depuis deux ans, le procureur de la république, Samuel Finielz, confirme le surplace puis la relance du dossier :

C'est un dossier, malheureusement nous en avons quelques uns comme cela, qui a subi un certain nombre d'événements négatifs avec des investigations qui ont été sollicitées par le juge d'instruction et qui, malheureusement n'ont pas été effectuées. Un juge d'instruction a relancé le dossier en 2019 et entendu cette partie civile et là a relancé les investigations en 2019, on en attend le retour.

 

Entrée de l'évêché de Guyane

La plaignante a quitté la Guyane… Elle n’a pas répondu à nos sollicitations. En 2019, elle a dit à la juge d’instruction avoir été détruite physiquement et moralement par cette affaire.

Une enquête du Vatican confiée à un ami de l’évêque !

Autre alerte, lancée par des prêtres du diocèse en 2008 : cinq d’entre eux envoient un courrier au nonce apostolique de la zone Caraïbes. Ils évoquent un management autocratique du diocèse par l’évêque, des doutes sur la gestion financière de l’Eglise et les mœurs de Monseigneur Lafont. En 2009, Monseigneur Bonfils, évêque émérite de Nice est mandaté par Rome pour mener une enquête en Guyane. Contacté à Nice, l’évêque nous a indiqué qu’il avait d’abord refusé la demande du Vatican.

J'avais fait savoir à la congrégation que j'étais plutôt gêné de remplir cette mission et que mieux aurait valu avoir recours à quelqu'un d'autre. Finalement, ils ont tellement insisté à Rome que moi j'ai accepté. Emmanuel Lafont est un ami, je le connais depuis 20 ans... J'ai fait une enquête la plus objective possible. Je ne me suis pas laissé influencer par les états d'âme...


Monseigneur Bonfils n’a pas souhaité nous donner la conclusion de son enquête, livrée à Rome. Selon nos informations, il n’y a pas eu de résultat probant et Monseigneur Lafont a conservé son poste. Par la suite, les autorités ecclésiales recommandent qu’il ne reste pas seul à l’évêché avec les jeunes. Un prêtre dormira là pendant au moins trois ans. Début novembre, des fidèles de l’Eglise catholique annoncent la création de l’association pour la transparence, la moralisation et la vérité dans le diocèse de Guyane. Ils veulent faire la lumière sur les rumeurs insistantes. Cinq mois plus tard, ils évoquent la difficulté de réunir des témoignages :

Pourquoi cette réticence, parce que d'une part la personne qui est mise en cause a représenté une autorité morale et religieuse! La Guyane est un pays très fortement imprégné de cette culture religieuse chrétienne catholique et il y a des gens qui nous ont dit : vous savez les affaires de l'église catholique cela doit rester, le linge sale se lave en famille. Nous avons reçu des messages de ce genre!

Nicole Privat Néron, vice présidente de l’association pour la transparence, moralisation et vérité dans diocèse de Guyane

La cathédrale Saint-Sauveur de Cayenne

L’Eglise de Guyane dépend de l’archidiocèse des Antilles-Guyane, piloté par l’archevêque de Martinique, Monseigneur Macaire. En visite en décembre, il a recueilli une trentaine de témoignages, autant favorables que défavorables à Monseigneur Lafont, nous a-t-il précisé. Et parmi les détracteurs, seulement des témoignages indirects, selon lui. L’archevêque invite les fidèles à tout dire pour y voir plus clair.

Une « odieuse machination » selon les avocats de Lafont

Démissionnaire fin octobre car atteint par la limite d’âge, Monseigneur Lafont vit désormais à Camopi, à la frontière avec le Brésil. Il s’exprime via ses avocats, lesquels dénoncent une odieuse machination basée sur des rumeurs infondées :

Il nie absolument toute relation de ce genre qui aurait été, même avec des majeurs, sexuelle et il rappelle et c'était d'ailleurs assez émouvant pour nous, qu'il s'est dirigé vers la prêtrise en renonçant à toute vie sexuelle, qu'il n'a pas manqué à son serment. D'ailleurs lorsque vous posez la question de savoir s'il y a débat intérieur entre ce qui pourrait être de l'ordre du désir et ce qui serait de l'ordre de l'empêchement, il répond une chose très simple : ma vie intérieure ne regarde que Dieu et moi. Et sur le plan des actes rien!

Maître Christian Charrière Bournazel, avocat de Msg Lafont


Les décisions prises par Monseigneur Lafont étaient collégiales, indiquent ses avocats…L’évêque dément aussi tout manque de transparence sur la gestion des biens de l’église et sur la comptabilité :

Il y a eu un cabinet d'expertise comptable, le meilleur qui existe sur la place, KPMG, qui a le plus d'expérience et eu l'occasion de travailler pour Vatican qui connait bien toutes les comptabilités du clergé, intervient à la demande de Monseigneur Lafont depuis 2007. A peine est-il arrivé qu'il veut mettre de l'ordre et instaurer une transparence. Ensuite ces comptes sont certifiés par des commissaires aux comptes. Donc il y a eu des opérations immobilières, elles ont été suivies par tout le monde, le conseil diocésain, aucune contestation n'a été élevée, aucun doute n'a été émis sur la réalité de tout cela!

Maître Jérôme Gay, avocat de Msgr Emmanuel Lafont


Une précision toutefois : Monseigneur Lafont a demandé l’intervention de KPMG en 2010 et non pas en 2007, pour établir les comptes de la Curie pour 2007, 2008 et 2009, comme l’atteste un « mémo » du cabinet du 13 mars 2021, produit par les avocats de l’évêque. En 2010, une nouvelle organisation comptable et financière a été mise en place, indique ce document, afin de produire pour le diocèse des comptes combinés des paroisses.

Les avocats demandent aux détracteurs de Monseigneur Lafont de saisir la justice, pour faire éclater l’innocence de leur client, disent-ils. Mais le débat pourrait avoir lieu aussi loin de la justice des hommes, sur plan ecclésial. Le Vatican vient en effet de lancer « une enquête approfondie sur les accusations portées contre l’ancien évêque de Guyane ».

Le reportage de Laurent Marot et Yves Robin

Monseigneur Lafont : le Vatican lance une enquète.