Attablés devant le restaurant Mama Africa, rue Madame Payé, à Cayenne, ils sont une poignée à attendre, plein d'espoirs, journalistes et citoyens intéressés par les élections européennes. Tracts imprimés sur leurs deniers personnels posés sur la table, les militants soutiennent la liste de la "Gauche unie pour le monde du travail". Une coalition de cinq partis de gauche dont le plus connu est le Parti communiste français et dont la tête de liste est Léon Deffontaines.
Ces anciens militants de la France Insoumise, en rupture de ban avec la direction nationale depuis les dernières législatives, tiennent ce samedi 1er juin une des rares permanences de campagne organisées dans le cadre de ces élections européennes qui, pour l'instant, ne passionnent pas les foules.
Un impact quotidien de l'Union européenne
Quelques contenus numériques publiés par les militants des différentes listes mis à part, peu d'événements politiques ont été organisés jusque-là alors que la date du scrutin, le 8 juin (le 9 dans l'Hexagone) approche à grand pas. Sur l'île de Cayenne, les panneaux d'affichage électoraux où les 38 listes doivent normalement coller leurs affiches sont pour l'heure encore bien vides. Pour rappel, seules les listes qui dépasseront les 5 % de votes à l'issue de ce seul et unique tour obtiendront des sièges au Parlement.
"On a l'impression que les partis politiques locaux ne veulent pas s'emparer du sujet, il n'y a pas de débats, et pardon de le dire, les médias sont singulièrement discrets. Pourtant, en Guyane, l'Europe a un impact au quotidien, on a du matériel médical qui est payé par l'Europe. Dans de nombreux domaines, la vie des Guyanais s'améliore par des financements européens", lâche sans autre préambule, Henri Pène, un militant du parti socialiste venu "confraternellement", soutenir la liste de la gauche unie.
Dans ces conditions, faut-il s'attendre à une nouvelle abstention record ? En 2019, 86 % des Guyanais inscrits (90 % en 2014 !) sur les listes électorales ne s'étaient pas déplacés le jour du vote. Lors du dernier suffrage, le Rassemblement national était arrivé en tête avec 27,47% des suffrages devant la liste écologiste (18,63%).
Des subventions pour une "Région ultra-périphérique"
Pourtant, l'élection de 720 députés européens - dont 81 pour la France - qui siégeront à 6000 kilomètres de Cayenne aura bien un impact. Par le biais des financements, donc, puisque la Guyane touchera 497 millions d'euros entre 2021 et 2027 au titre de deux programmes (Le Fonds européens de développement régional et le Fonds social européen).
À cela viennent se rajouter les aides spécifiques aux secteurs de l'agriculture et de la pêche. Ces subventions sont plus importantes en Guyane que dans le reste du pays puisqu'elles sont renforcées par le statut de "Région ultra-périphérique" (RUP) que la Guyane partage avec 8 autres territoires tous insulaires et éloignés de l'Europe - dont les Antilles françaises, la Réunion et Mayotte.
À noter que le projet d'évolution statutaire adopté par les élus de Guyane ne remet d'ailleurs pas en question l'appartenance à ce statut de RUP, une manne financière non négligeable pour le territoire. En tout, sur la période 2014 - 2020, l'ensemble de l'investissement européen en Guyane s'est élevé à 662 millions d'euros selon la collectivité territoriale. Faut-il rappeler que le fléchage et l'ampleur de ces fonds peut varier selon l'orientation politique de l'Union ?
Accords de libre-échange, taxes...
Outre les aides financières, les normes pensées depuis Bruxelles ont aussi un impact direct sur le quotidien des Guyanais. Ce fut par exemple le cas avec la taxe européenne de 15 % sur l'export du vivaneau. Lors de sa venue en Guyane, Emmanuel Macron a finalement annoncé la réécriture de ce règlement afin que le vivaneau pêché dans les eaux guyanaises soit considéré comme français, afin de dépénaliser la filière de pêche locale.
On peut aussi évoquer le projet de traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur, finalement enterré suite à l'opposition de la France. Ce texte aurait intégré la Guyane à une zone de libre-échange avec plusieurs pays d'Amérique du Sud, dont le Brésil, ce qui risquait de mettre à mal toute la filière agricole guyanaise en la plongeant dans une situation de concurrence intenable.
La seule instance européenne élue
Si le Parlement européen et ses 720 députés eurodéputés ne sont pas les ultimes décisionnaires de chaque mesure bruxelloise, leur rôle dans cette machine complexe qu'est l'Union européenne n'est pas totalement négligeable.
Pour rappel, chaque norme européenne est le fruit d'un long compromis entre le Parlement et deux autres instances non élues, la Commission européenne, l'exécutif censé incarner la ligne de "l'intérêt général européen", et le Conseil de l'Union européenne, qui porte la voix des gouvernements de chaque Etat membre.
De ces trois instances, le Parlement est celle dont l'influence est traditionnellement la moins forte dans les rapports de force mais c'est aussi la seule élue au suffrage direct, et donc celle par laquelle les citoyens peuvent espérer infléchir - même un peu - la ligne de Bruxelles.
Il est d'autant plus important pour les citoyens de s'intéresser à cette instance de pouvoir qu'il s'agit d'un haut lieu d'influence des groupes de pression - les fameux lobbies - qui servent presque systématiquement des intérêts privés, souvent industriels ou financiers.
Enfin le Parlement endosse un rôle de contrôle démocratique au sein de l'Union, puisque c'est lui qui vote pour le ou la prochaine président(e) de la Commission et qui approuve, sur proposition de la Commission, les membres qui composeront le prochain gouvernement de l'Europe.
Quelques détails techniques le jour du vote...
- Le bureau de vote se situe dans la commune de résidence.
- Chaque citoyen est désormais inscrit d'office sur les listes électorales à sa majorité
- Pas besoin de carte électorale le jour du vote, seulement d'une pièce d'identité.
- La charge des bulletins de vote revient aux partis et non aux communes tenant les bureaux de vote. Par conséquent, si les principales listes (les partis connus au niveau national) sont systématiquement représentées, ce ne sera pas le cas des 38 listes. Les électeurs doivent se renseigner auprès des équipes de campagne et, le cas échéant, imprimer chez eux un bulletin de vote à glisser dans l'urne.