En Guyane les dégâts collatéraux du 100% contrôle à l’aéroport Félix Eboué tournent au phénomène de société

Point du 100% contrôle à l'aéroport Félix Eboué
Le dispositif 100% contrôle a radicalement modifié l’accueil et l’expérience des voyageurs à l’aéroport Félix Eboué de Guyane. Mis en place dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, il atteint à des degrés divers l’ensemble de la population. Selon le géographe, Thierry Nicolas, il traduit aussi une forme de « low-coastisation » de l’aéroport.

La dernière mésaventure d’un voyageur refoulé à tort à l’aéroport Félix Eboué lors d’un contrôle a provoqué un véritable tollé sur les réseaux sociaux et un afflux de témoignages où les Guyanais expriment leur désarroi.

Lire ici : Injuste, discriminant, humiliant » : la colère monte contre le dispositif « 100% contrôle » de l’aéroport Félix Eboué en Guyane.

Thierry Nicolas géographe chercheur

Thierry Nicolas géographe enseignant à l’Université de Guyane travaille avec un collègue de la Réunion à la publication d'une étude portant le trafic de drogue dans les Outre-mer.

« Les Guyanais ont une sensibilité un peu plus grande maintenant vis-à-vis du 100% contrôle en lien avec des témoignages de ce que l’on appelle aux Pays-Bas des voyageurs innocents. Des personnes soupçonnées de participer au trafic et qui subissent des traitements vexatoires, humiliants voire dégradants et considèrent de plus que le profilage opéré s'effectue sur la base de l’apparence et non sur des critères objectifs liés à un questionnaire. Une sélection qui s’opère sur la base du contrôle au faciès. »

Une multiplication des organisations criminelles

Un ressentiment d’autant plus fort que l’on s’interroge sur l’efficacité du dispositif. Tout le monde s’accorde à reconnaître que le système a permis de réduire le nombre de mules aux abords des aéroports parisiens, mais n’a pas réglé le problème du trafic de cocaïne en Guyane.

« La pression est maintenant plus forte sur l’aéroport de la part des organisations criminelles. Elles sont diverses et émanent notamment de l’Europe de l’est, du sud, de l’Espagne ou encore de certains quartiers de l’hexagone, de l’Afrique de l’ouest et plus récemment des factions brésiliennes. Toutes ces organisations criminelles et mafieuses s’intéressent de plus en plus au trafic de cocaïne et contribuent à diversifier le profil des mules. »

Une pression qui s’exerce désormais sur les personnels de l’aéroport

Et de souligner : « Les trafiquants se sont adaptés et exercent une pression beaucoup plus grande sur le personnel de l’aéroport qu’il s’agisse des agents de sécurité, des employés de prestataires de services, du personnel de compagnies aériennes et plus récemment de policiers. Ils ont tendance à surtout cibler les policiers adjoints. »

Des observations consignées dans le dernier rapport sénatorial sur le trafic de stupéfiants. Un document qui fait aussi ressortir « l’impression que le 100% contrôle a été mis en place pour protéger entre guillemets l’hexagone. »

Un second argument qui donne le sentiment aux Guyanais que ce dispositif n'est pas aussi efficace qu'il y parait.

Une désaffection pour un lieu qui a perdu toute convivialité

Le géographe met également en avant le nouveau statut de l’aéroport de Guyane. Un lieu qui remplissait aussi une fonction sociale où l’on prenait plaisir à accompagner des proches, à accueillir des sportifs, des miss. « C’est un espace qui a une signification particulière pour les Ultramarins, un sas porte d’entrée vers l’extérieur et l’occasion d’y passer un bon moment. »

Depuis la mise en application du dispositif 100% contrôle cet aéroport ressemble à un aéroport low coast. Des files d’attente à l’extérieur, pas d’accueil assis à l’intérieur, impossibilité de circuler dans tout le hall et d’avoir accès facilement aux commerces… Autant de manquements qui accentuent cette forme de « low-coastisation ». Et cela a commencé par les mesures prises durant la crise sanitaire covid 19 qui ont fait basculer cet aéroport dans un état d’exception avec des motifs impérieux pour voyager.

Finalement, la population guyanaise subit depuis 5 ans une situation pénalisante qui devient de moins en moins supportable.

Le 100% contrôle existe aux Antilles depuis un an mais que sur certains vols jugés à risque. Au Suriname, ce contrôle anti drogue se fait à l’arrivée.

Se pose ainsi une nouvelle fois dans le cadre des actions à mettre en place pour dissuader les mules, la mise en fonction d’un scanner qui permettrait de voir à l’intérieur du corps et qui ne nécessiterait pas la présence d'un personnel médical.
Un tel outil lèverait tous les doutes et éviterait la multiplication des arrêtés d’interdiction d’aéroport de cinq à dix jours à l’égard de personnes qui n’ont pas ingéré de cocaïne.