Une couveuse transportée par le personnel du Centre hospitalier de l’Ouest guyanais. Voilà l’un des premiers clichés pris par Nathalie* quelques jours après son accouchement. Son fils, Noah*, 960 grammes à la naissance, s’apprêtait alors à prendre l’hélicoptère pour rejoindre le service de réanimation néonatale du Centre hospitalier de Cayenne. L’établissement étant le seul du département doté d’une maternité de niveau 3, capable de prendre en charge les grands prématurés, c’est-à-dire les bébés nés avant trente-trois semaines d’aménorrhée.
On distingue trois types de prématurité : moyenne ( 7 à 8 mois de grossesse), grande (6 à 7 mois de grossesse) et la très grande (en dessous de 6 mois de grossesse). Le fils de Nathalie sera un très grand prématuré. « Il est né à 26 semaines et 5 jours » se souvient Nathalie.
Une grossesse par PMA
La venue de ce premier bébé, la jeune femme, âgée de 25 ans à l’époque, l’avait ardemment souhaitée. « Avec mon compagnon, nous avons essayé pendant quatre ans. On nous a ensuite inscrits dans un parcours de PMA (procréation médicalement assistée, ndlr) et je me suis rendure à l’hôpital Bichat, à Paris, pour la fécondation in vitro. »
La grossesse se passe à merveille, si bien qu’aujourd’hui encore, malgré toutes les analyses et examens effectuées, personne ne sait expliquer pourquoi Nathalie a accouché prématurément.
Premières contractions à Paramaribo
Alors qu’elle vient d’entrer dans son sixième mois de grossesse, elle se rend au Suriname, pour des vacances. « Tout allait bien et j’avais eu l’accord de ma sage-femme. Quand j’ai eu des contractions, à Paramaribo, j’ai préféré rentrer. » Elle aura le temps d’arriver au Centre hospitalier de Saint-Laurent.
Lorsque Nathalie est examinée, il est trop tard pour lui poser un cerclage, qui empêcherait l’accouchement prématuré. Trop tard également pour la transporter vers Cayenne. « Mon bébé est né à 8 heures du matin. Il a poussé deux cris à la naissance… Mais moi, je n’avais pas réalisé que j’avais accouché… Je ne l’ai vu que deux heures après sa naissance parce qu’il a fallu l’intuber. Ce n’est que dans la nuit que j’a réalisé qu’il était né, que j’avais accouché. »
Sentiment d’impuissance
La jeune maman raconte le sentiment d’impuissance, tenace. « Je ne pouvais rien faire, pas même le prendre dans mes bras à cause des machines. » Dès que sa condition le permet, Noah prend l’hélicoptère pour Cayenne. Ses parents le suivent par la route. « Nous habitons à Macouria et tous les jours nous allions le voir à l’hôpital. Les journées étaient longues. Mon premier réflexe au réveil était d’appeler la réanimation néonatale parce qu’on m’avait expliqué qu’à tout moment son état pouvait se dégrader. »
Même si, à ce moment-là elle peut déjà tirer son lait pour nourrir Noah, l’appréhension de la maternité est compliquée pour Nathalie. « Je ne me sentais pas encore mère. D’ailleurs, quand j’arrivais à l’hôpital, c’était difficile pour moi de dire "Bonjour, je suis la mère de Noah". A ce moment-là, je trouvais très dur de voir les autres mères partir avec leur bébé, sans pouvoir faire comme elles… »
Mon fils, c’est mon petit miracle
Nathalie
Lorsque le bébé prématuré naît, il passe par plusieurs unités d’hospitalisation : la réanimation néonatale, puis les soins intensifs et enfin le service de néonatalogie
Ce n’est qu’à cette dernière étape que Nathalie commence à sentir ce lien avec son fils. « Je l’allaitais exclusivement, alors j’ai pu avoir une chambre et être tout le temps avec lui. C’est là que je me suis sentie mère. »
Aujourd’hui, Noah à deux ans et il va bien aux dires des médecins et de sa psychomotricienne. « Mon fils, c’est mon petit miracle » lâche avec émotion Natalie. Elle, se prend à rêver d’une nouvelle grossesse où tout se passerait bien cette fois, « une grossesse que je pourrai mener à terme ».
Loveline, maman d’Anaëlle
L’histoire de Loveline ressemble à celle de Nathalie : une grossesse où « tout se passe bien » et puis, une naissance impromptue. La jeune femme, âgée de 19 ans à l’époque en est à sa 24 ème semaine d’aménorrhée, c’est-à-dire à la fin de son cinquième mois de grossesse. Un saignement l’inquiète et elle se rend chez son gynéco qui choisit de l’hospitaliser d’urgence. « C’était ma première grossesse, je ne connaissais rien de la prématurité » se souvient la jeune maman.
Quand elle comprend que c’est ce qui risque d’arriver, elle interroge son entourage, notamment la seule de ses sœurs déjà mère, questionne l’équipe médicale. « J’ai eu très peur parce qu’on m’a expliqué que mon bébé pourrait vivre… ou ne pas vivre ».
Je me suis dit qu’il fallait que je sois forte pour elle
Loveline
Anaëlle naît quatre jours après le début de son hospitalisation. « Elle pesait 830 grammes. Je n’ai pas pu la voir de suite parce qu’il fallait que les médecins partent au bloc opératoire avec elle. » Malgré les risques réels, notamment au niveau cardiaque, l’équipe est confiante et explique le parcours que devra suivre la petite prématurée. « Lorsque je l’ai vue, je me suis dit qu’il fallait que je sois forte pour elle. C’était difficile, d’autant plus que j’étais maman solo. Autour de moi, je voyais les autres mamans accompagnées, c’était très dur. » Pour aider Anaëlle, Loveline lui parle constamment. « J’avais besoin de le faire pour qu’elle sache qu’elle n’était pas seule. »
La méthode du « peau à peau »
Sortie de l’hôpital le lendemain de son accouchement, Loveline vient tous les jours voir son bébé et faire du « peau à peau », cette méthode préconisée pour rassurée les tout-petits bébés. « Au début, j’avais beaucoup de mal pour l’allaitement, et j’ai beaucoup pleuré. Mais Lucie, la conseillère en lactation, m’a beaucoup aidée. Le personnel était en or, mais je n’avais qu’une envie, c’était de la ramener chez moi. »
Un cahier de vie, pour se rappeler
Quatre mois après sa naissance, tous les signaux sont au vert. « Le 13 septembre 2023, j’ai enfin pu la ramener chez moi ! » exulte Loveline. « Elle a maintenant un an et cinq mois, elle marche, elle parle un peu. Tout va bien ». Même ses complications cardiaques se sont résorbées De cette période à l’hôpital, Loveline garde le cahier de vie de son bébé, un carnet où l’équipe soignante inscrivait des informations sur le quotidien d’Anaëlle, en y ajoutant des photos. Loveline continue de le remplir.
« Vivre au jour le jour »
Aux parents qui passent par l’épreuve de la prématurité, elle donne un conseil « n’abandonnez pas. Ce n’est pas facile à vivre, mais on n’est pas seul : il faut faire confiance au personnel soignant. » Nathalie, elle aussi a un message : « il faut vivre au jour le jour et surtout parler à son bébé pour lui montrer qu’on est là, qu’on est fort pour lui. »
* (les prénoms ont été changés)