Journée mondiale du diabète : la difficile épreuve de l’amputation

Préparation d'une prothèse de pied et jambe suite à une amputation transtibiale au cabinet de l'orthoprotésiste Olivier Boyer à Cayenne
Ce 14 novembre est la journée mondiale du diabète. Plus de plus de 4,3 millions de personnes sont atteintes de cette pathologie en France. En Guyane, 8 à 10% de la population vit avec cette maladie, un enjeu de santé publique. Certains patients ont dû être amputés du ou des pieds. Deux d’entre eux ont accepté de nous raconter leur parcours. Jean-Luc Jason fonctionnaire retraité de la police et Maximilien Nacimento fonctionnaire militaire en mi-temps thérapeutique.

"Surmonter le choc de l’amputation" : le témoignage de Jean-Luc Jason

Fonctionnaire de police à la retraite, ancien footballeur et actuellement président du club de basket le Cygne et membre du comité directeur de la ligue de basket, Jean-Luc Jason ne s’est pas laissé abattre après l’amputation de son pied droit il y a 13 ans.

Jean-Luc Jason

« On passe d’une vie très active à une vie restrictive. Pour moi qui étais un sportif toujours sur la brèche. Maintenant il faut faire certaines choses avec moins de mobilité physique. »

Un arrêt brutal de la vie professionnelle

Parti en métropole pour défendre le dossier du nouveau commissariat pour le syndicat de la police, Jean-Luc Jason, grand insomniaque a passé 13 jours sans dormir. Lors du retour en Guyane, il fait un coma diabétique. Il ne savait pas qu’il avait du diabète. Pourtant chaque année dans le cadre de ses fonctions, il passait une visite médicale et cela n’avait jamais été diagnostiqué.
Hospitalisé en urgence, on lui enlève d’abord 2 orteils le 11 décembre 2011 et finalement le chirurgien procédera une amputation trans-tibiale (en dessous du genou le 13 décembre). Il part en hexagone 2 mois plus tard pour être appareillé et rééduqué dans un centre spécialisé à Villeneuve Saint-Georges. Il apprend à se déplacer avec un appareillage et au bout de 4 mois, parfaitement adapté à sa prothèse, il revient en Guyane en marchant.
Toutefois, le policier ne reprend pas ses activités et il n’obtiendra pas un poste adapté et décide de faire valoir ses droits à la retraite.
C’est un homme qui marche beaucoup et use ses prothèses qui déjà ont été changées 5 fois :

« Il y aussi une évolution dans l’appareillage, j’en ai maintenant deux. Une habillée exactement comme ma jambe et une aqua compatible pour aller à la mer ou à la piscine. »

Tout en ayant réduit ses sorties, Jean-Luc Jason a continué d’aller danser, sa grande passion, et d’avoir multiples activités, notamment au sein de son club.
Souffrant d’une douleur au tibia, il est actuellement en fauteuil roulant. La forte chaleur actuelle joue aussi sur son moignon qui diminue. Or il ne faut pas qu’il y ait d’espace entre le moignon et le manchon de la prothèse pour éviter toute irritation susceptible de provoquer une plaie. « J’ai appris à vivre avec un membre en moins, je continue à faire ce que je sais faire. Du bénévolat dans le basket, j’aide les jeunes... Au départ, j’ai eu un choc mais j’ai dû m’y faire. Finalement cette jambe devait partir avant moi. Dans mon enfance, j’ai eu une double fracture puis une entorse grave du genou. Je suis aussi tombé d’un arbre à Sinnamary, je me suis fracturé le fémur. J’étais gaucher au football, donc ma jambe droite étant ma jambe d’appui, j’étais voué à cela ! »

Jean-Luc Jason sait pouvoir compter sur son épouse qui le soutient continuellement et l’accompagne partout. Il se déplace pour assister aux entraînements et rassemblements du club. Il poursuit ses activités avec un groupe de carnaval.
Parallèlement, Jean-Luc suit rigoureusement son traitement, surveille sa glycémie, fait des analyses régulières. « À partir du moment où l’on se trouve dans cette situation, on devient très réactif. Heureusement, je n’étais pas un adepte ni de l’alcool, ni de la cigarette. Il faut être vigilant, savoir interpréter les signaux pour détecter la maladie, c’est le conseil que je pourrais donner.  »

« L’amputation est une autre vie » le témoignage de Maximilien Nacimento

Maximilien Nacimento, 62 ans, souffre de diabète depuis 20 ans. Son état s’est peu à peu dégradé jusqu’à l’amputation trans-tibiales de ses deux jambes. Nous l’avons rencontré chez son orthoprothésiste, Olivier Boyer qui procède à un réajustement de ses prothèses :

Olivier Boyer, orthoprothésiste à Cayenne

« Il avait une deuxième prothèse d’étude et d’entrainement qui permet de se remettre debout et de faire les premiers pas appareillé et de se rééduquer. Cette prothèse réalisée en plastique permet de nombreux réglages et de suivre l’évolution des moignons car ils maigrissent et il y a souvent des œdèmes post opératoires. A la reprise de la marche, petit à petit, ils changent jusqu’à la stabilisation. A ce moment-là, on peut envisager l’appareillage définitif. »


Ces ajustements prennent un certain temps ce qui donne au fonctionnaire militaire l’opportunité de témoigner avec lucidité sur son parcours.

« L’amputation c’est vraiment une autre vie »

« Je suis amputé de ma jambe droite depuis 2 ans et de ma jambe gauche depuis 1 an. Cela est du à mon diabète, mes artères ont rétréci. J’ai aussi un problème aux reins, je suis dyalisé 3 fois par semaine. C’est parti d’une toute petite plaie qui s’est développée à la vitesse de l’éclair avec le diabète. Cela a été pareil pour les deux jambes. J’ai fait de la rééducation à l’hôpital Saint-Paul pour muscler les cuisses et je marche avec les deux prothèses provisoires en utilisant le déambulateur, difficilement avec les béquilles mais cela change la vie. J’ai arrêté de travailler durant 4 ans et là j’ai repris le travail en mi-temps thérapeutique à 50% depuis deux mois, en télé travail et en présentiel une fois par semaine. Je suis chargé de prévention et des risques professionnels, j’assure la gestion des personnels civils et militaires à la direction des infrastructures et de défense des Forces armées en Guyane.

Maximilien Nacimento vérifie que les prothèses lui conviennent

C’est une autre vie, on voit la vie d’en bas, on est souvent assis. Avec le diabète on perd tout. Moi j’ai perdu mes jambes, j’ai perdu mes reins, j’ai bousillé mon cœur. Pour ma vue, j’ai subi plusieurs opérations.  C’est une maladie qui ne fait pas mal, on ne la sent pas mais quand elle arrive les dégâts sont considérables. »

Maximilien Nacimento a découvert son diabète lors d’une visite médicale effectuée avant de partir en mission. Il se sentait épuisé. Le contrôle urinaire réalisé par le médecin révèle un taux de sucre très élevé. « Pourtant j’étais sportif, et je m’alimentais normalement. »

Depuis 3 ans, il ressent les douleurs comme si ses jambes étaient toujours là. Une sensation horrible qui vient et repart : « Je déplore de n’avoir pas eu de préparation à la douleur avant et après. Pour ma jambe droite, j’ai été amputé 4 fois. D’abord les orteils, le milieu du pied, au départ de la cheville et sous le genou. Pour la deuxième jambe cela s’est fait en une fois. Il y a eu le suivi médical. Je suis resté un an à l’hôpital. Moralement, cela a été dur, c’est une autre vie mais il faut l’accepter et j’ai encore des capacités. »

Ce père de famille fait partie de l’association des Sénégalais de Guyane. « J’aime bien, il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de papiers, j’aide la communauté. Je suis né et ai grandi à Dakar, et j’ai des origines cap-verdiennes. Nous avons des rencontres culturelles et gastronomiques et des activités solidaires. On s’entraide et on ne ressent pas l’éloignement. J’étais venu pour 4 ans en Guyane et j’y suis depuis 9 ans, c’est sans doute le" bouyon wara" ajoute-t-il en riant ».

Il devra partir car dialysé 3 fois par semaine, il lui faut un rein. « Je suis heureux en Guyane, tout me va. J’ai vu beaucoup de pays comme militaire et le diabète m’a eu ! Il faut avoir une aide psychologique pour accepter son état. J’ai été trois fois en réanimation, j’ai même reçu l’extrême-onction. Je m’accroche à ma foi et me suis remis à pratiquer. Je suis la messe à la télévision. »

Durant l’entretien, il essaie ses prothèses, une fois, deux fois. L’orthoprothésiste procède à d’autres petits réglages, Maximilien va repartir avec des prothèses plus légères bien adaptées à ses moignons. Il est resté plus de 3heures dans le cabinet.

Olivier Boyer ajuste les prothèse de Maximilien Nacimento

L’OMS a défini que 0,5% de la population mondiale a besoin d’être appareillée. Ce pourcentage, rapporté à la Guyane, cela donnerait une population de 1500 personnes qui pourraient être appareillées ou bénéficier de dispositifs transitoires comme le port de chaussures orthopédiques. Dans tous les cas, il y a des actions de prévention à faire. Dans ce processus préventif, le podologue pédicure joue une partition importante.

Le podologue pédicure, un professionnel essentiel pour l’entretien du pied diabétique

Grégory Callender, pédicure podologue exerce en Guyane depuis 15 ans. Spécialisé dans les soins du pied diabétique, il souligne l’importance pour les patients concernés de se contraindre à une hygiène de vie stricte et de respecter les soins prescrits :
"Une grande partie de ma patientèle est diabétique. Les pieds diabétiques sont bien souvent liés à des complications. Elles sont au nombre de deux. La neuropathie diabétique, une perte de sensibilité au niveau des pieds car avec l’effet de sucre dans le sang les nerfs ne fonctionnent pas correctement ce qui engendre des symptômes tels les fourmillements. Les patients affirment sentir leurs pieds dans du coton. Ils subissent une perte de sensibilité importante et sont susceptibles de se blesser facilement sans s’en rendre compte.
La deuxième complication qui touche les pieds c’est l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs appelée AOMI. Il s'agit de l’obstruction des artères des gros et petits vaisseaux par l’effet du sucre. Mais il n’y a pas que le sucre. D’autres facteurs interviennent tels l’hyper cholestérolémie, le tabac et l’hypertension artérielle. Ils diminuent le calibre des vaisseaux et bien souvent, le sang circule alors en quantité infime ou pas du tout ce qui provoque une complication au niveau de la cicatrisation des plaies.

Grégory Callender, podologue pédicure spécialiste du pied diabétique à Rémire-Montjoly

Un patient diabétique qui présente ces deux complications aura plus de mal à cicatriser, ne va pas se rendre compte de la moindre plaie et une plaie qui reste ouverte très longtemps a beaucoup plus de probabilités de s’infecter et de se surinfecter si le pied n’est pas revascularisé. Cela devient le domaine de la chirurgie si toutefois on ne trouve pas d’autres déviations c’est là qu’intervient l’amputation pour éviter que la plaie prenne des proportions considérables. »



Le podologue exerce un rôle préventif essentiel et fait de l’éducation thérapeutique, renseigne le patient sur sa pathologie, sur les soins à faire au niveau des pieds et sur son mode de chaussage. « Nous faisons les soins et assurons l’hygiène des pieds en coupant les ongles au carré pour éviter les ongles incarnés, une exérèse des hyperkératoses. On enlève la corne sous les pieds, pour éviter que sous les peaux mortes, il y ait des plaies qui se forment par rapport aux hyperappuis lors de la station debout ou lors de la marche. On prescrit également des filmogènes en cas de mycoses sous les ongles, des crèmes anti fongiques pour les mycoses dans les espaces interdigitaux appelés « chofies » en créole de manière à traiter et éviter les complications ».

Il arrive que l’on découvre le diabète des années après son apparition selon les symptômes que le patient relate au moment de sa prise en charge. L’éducation thérapeutique est faite dès lors que le patient est diagnostiqué diabétique de manière qu’il sache ce qui l’attend durant sa maladie.
« Dès lors que le patient a pris conscience de sa maladie, la prise en charge se fait. »

Le podologue intervient aussi pour la fabrication de semelles orthopédiques pour décharger les zones d’hyperpression qui sont susceptibles de créer des plaies par irritation lors de la marche.

Grégory Callender intervient également au service de diabétologie de Cayenne. Il constate qu'en Guyane, beaucoup de personnes relèvent de soins de pédicurie.

Mais la prise de conscience se fait petit à petit chez les personnes qui se renseignent et se rendent directement chez le podologue sans attendre un avis médical.